Un site de clavardage en direct qui était devenu un repaire de pédophiles depuis la pandémie a mis la clé sous la porte la semaine dernière. Malgré des centaines de milliers de signalements annuels d’abus sexuels contre des enfants, il aura fallu une poursuite civile intentée par une victime pour pousser Omegle à la fermeture, déplore le Centre canadien de protection de l’enfance.

« C’est une bonne chose [que ça ferme]. Mais ce qui est inquiétant, à la base, c’est qu’un site comme ça ait pu exister. Il y avait un problème. Tout le monde le savait et personne ne faisait rien », dit le porte-parole de l’organisme, René Morin.

Le fondateur d’Omegle, Leif K-Brooks, a annoncé en ligne la fin de sa plateforme. « Pratiquement tous les outils peuvent être utilisés pour faire le bien ou faire le mal, et cela est particulièrement vrai des outils de communication. […] Il ne peut y avoir de compte rendu honnête d’Omegle sans reconnaître que certaines personnes l’ont utilisé à mauvais escient, notamment pour commettre des crimes inqualifiables et odieux », a-t-il admis dans un long message aux utilisateurs.

Cette annonce est survenue quelques jours après que le site a réglé à l’amiable une poursuite civile de 22 millions déposée en 2021 en Oregon par une victime américaine. Elle était tombée dans les filets d’un prédateur, un homme du Manitoba, rencontré sur le site en 2014 alors qu’elle avait 11 ans. Selon l’avocate de la jeune femme, MCarrie Goldberg, la fermeture d’Omegle faisait partie des conditions du règlement, dont les détails sont confidentiels.

Fondée en 2009, la plateforme mettait en contact, au hasard et en temps réel, des étrangers de tous les âges et de partout dans le monde, par vidéo ou messages textes. Pratiquement inconnue des jeunes avant la pandémie, Omegle a vu sa popularité monter en flèche pendant les mesures de confinement, de populaires youtubeurs ayant notamment pris d’assaut la plateforme et ayant invité leurs admirateurs à les y rejoindre.

Abus sexuels

Le site était aussi, depuis plusieurs années, mais dans une plus large mesure depuis 2020, un repaire d’exhibitionnistes et de pervers en quête d’images d’adolescents nus. Une enquête de La Presse1 menée à l’époque avait révélé l’ampleur du problème. En 2 heures, sur 30 conversations, notre cobaye qui incarnait une adolescente de 14 ans avait été jumelé avec 13 exhibitionnistes. De plus, six hommes avaient voulu la faire passer sur un autre site comme Instagram ou Snapchat pour poursuivre la discussion même si elle se disait mineure, et cinq avaient tenté de la convaincre de se déshabiller ou de faire des gestes sexuels.

Depuis, la situation ne s’était pas améliorée. Juste pour l’année 2022, Omegle a lui-même signalé au National Center for Missing & Exploited Children, un organisme américain, plus de 608 000 cas d’abus sexuels contre des enfants sur sa propre plateforme, soit 1600 signalements par jour en moyenne.

Mais cela n’a pas empêché le site de fonctionner librement jusqu’à la semaine dernière. Et ce ne sont pas les gouvernements qui l’ont fermé, souligne René Morin.

Si la fin d’Omegle a été déplorée par de nombreux youtubeurs qui l’utilisaient à bon escient, elle n’est pas passée inaperçue dans les milieux pédophiles non plus.

Le Centre canadien de protection de l’enfance a intercepté sur le dark web plusieurs conversations entre prédateurs qui regrettaient sa fermeture et se demandaient où serait leur nouveau terrain de chasse.

« La nature a horreur du vide. Ils vont se déplacer vers un autre site, ou une nouvelle plateforme va voir le jour. Est-ce qu’il y a des lois pour les empêcher d’exister ? Non », dit M. Morin.

« Un pas dans la bonne direction »

« Il y a d’autres sites du même genre, comme Chatroulette, qui sont toujours accessibles », souligne la sexologue Myriam Le Blanc Élie, qui s’occupe de projets de prévention à la Fondation Marie-Vincent. Elle estime toutefois que la fin d’Omegle est « un pas dans la bonne direction ». « C’était un lieu où il n’y avait aucun contrôle et peu de mesures de sécurité », dit-elle.

La sexologue conseille aux parents d’adolescents de s’intéresser à ce qu’ils font en ligne de la même manière qu’ils s’intéressent à ce qu’ils font hors ligne (leurs activités parascolaires, leurs loisirs, etc.).

L’idée étant de maintenir le dialogue sur les technologies et leurs enjeux, souligne Mme Le Blanc Élie. « Il faut reconnaître que ce type de site de clavardage crée un contexte peu sécuritaire, favorable à des expériences négatives, puisqu’ils sont très fréquentés et qu’on y trouve peu de mécanismes de sécurité », explique-t-elle.

Il ne faut cependant pas tout diaboliser, nuance-t-elle. En jasant avec son ado, on peut aussi reconnaître les côtés positifs de ce genre de sites où l’on peut nouer des liens avec d’autres personnes à travers le monde, apprendre une langue ou faire valoir une cause, par exemple, ajoute Mme Le Blanc Élie.

1. Lisez « J’ai juste 14 ans… »

Pour plus d’information ou pour demander de l’aide 

Consultez le site de la Fondation Marie-Vincent Consultez le site du Centre canadien de protection de l’enfance

La Ligne Parents : 1 800 361-5085