Ceux qui l’ont vu disent qu’il est « énorme », rusé comme un renard et affamé. Un raton laveur sème l’émoi dans les ruelles de Limoilou, où il s’attaque aux poulaillers urbains la nuit, laissant derrière lui une traînée de plumes et bien des questions.

« Il est parti avec une des poules. Je ne l’ai jamais retrouvée. J’ai juste retrouvé ses plumes par terre », raconte, le cœur en miettes, Gaëlle Damestoy.

La résidante de Québec élève des poules en ville comme des milliers de Québécois. La popularité de cette pratique a explosé dans les dernières années. Plus d’une soixantaine de municipalités permettent maintenant l’élevage de poules pondeuses.

Ces nouvelles habitantes des villes n’ont pas seulement capté l’attention enjouée des enfants du voisinage. Les ratons laveurs ont eux aussi remarqué leur arrivée en ville.

Dans le secteur Limoilou de Québec, en l’espace de quelques semaines en septembre, un raton laveur s’est attaqué à au moins trois poulaillers. Est-ce un seul individu ou sont-ils plusieurs ? Impossible de savoir. Mais celles qui l’ont vu décrivent un spécimen remarquable.

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Un raton laveur a attaqué les poules de Gaëlle Damestoy. L’une des bêtes a disparu.

« Je dormais avec la fenêtre ouverte. Vers 4 h du matin, j’ai entendu les poules crier. Je suis sortie en courant et j’ai vu le raton laveur sortir du poulailler. Il était énorme, j’ai fait un pas en arrière ! », raconte Gaëlle Damestoy en se remémorant les évènements de la nuit du 14 au 15 septembre.

Les poules se sont défendues. Il les a griffées et mordues. Elles sont traumatisées. On ne les entend plus, elles se cachent, elles essaient de se remettre de ces blessures. Certaines sont amochées. Ça fait quelque chose.

Gaëlle Damestoy, résidante de Limoilou

L’une des poules n’a jamais été retrouvée. La mère de famille a raconté l’évènement sur une page Facebook du quartier. En réponse, plusieurs résidants ont relaté avoir vécu la même chose dernièrement. « Les deux poules de mon voisin ont été tuées la nuit dernière », a indiqué une dame.

Il y a trois semaines, une autre résidante du quartier Limoilou a vécu un scénario semblable : des poules qui hurlent dans la nuit et un raton laveur dans le poulailler.

« Je l’ai vu ressortir. Il est énorme, on dirait un chien, ça n’a pas de bon sens », se souvient Sophie Grenier-Héroux. Elle a eu plus de chance : elle n’a perdu aucune volaille.

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Sophie Grenier-Héroux a aussi reçu la visite d’un raton laveur dans le poulailler de sa cour de Limoilou.

Suivant des conseils, elle a aspergé les alentours du poulailler de vinaigre et de poivre de Cayenne. Quand elle a entendu parler de la mésaventure de Mme Damestoy, qui habite à l’autre bout du quartier, elle s’est dit que le raton était parti plus loin.

« Mais là, il est revenu il y a trois jours, indique Mme Grenier-Héroux. J’ai peur pour mes poules. »

Une cohabitation inévitable

Les ratons laveurs sont des habitués des villes, comme bien des citadins ont pu le remarquer en retrouvant leurs poubelles éventrées. Ils représentent aussi l’un des plus importants prédateurs des poules en milieu urbain.

« Les volailles ont souvent la tête coupée, la poitrine ouverte et mâchée, les entrailles sont consommées », énumère le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs du Québec dans une fiche explicative, comme autant d’indices d’une attaque de raton au poulailler.

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« Les chercheurs considèrent que les ratons laveurs des villes deviennent de plus en plus débrouillards et fonceurs », explique la Dre Caroline Kilsdonk.

La Ville de Québec n’a pas de données sur le nombre de ratons sur son territoire ni sur les incidents du genre. « Si un citoyen vit des problèmes de cohabitation avec un raton laveur, il sera normalement dirigé vers des services privés ayant une expertise en gestion de la faune urbaine », indique un porte-parole de la Ville, Jean-Pascal Lavoie.

Mais selon la Dre Caroline Kilsdonk, médecin vétérinaire et éthicienne, déplacer les ratons est une tâche sisyphéenne.

« Si on décide d’éliminer les ratons laveurs dans certaines zones des villes, alors les ratons dans les zones autour vont se reproduire davantage et repeupler les zones où ils ont été éliminés », lâche-t-elle.

Il n’y a pas d’autre solution que d’accepter qu’ils sont là et de faire avec.

La Dre Caroline Kilsdonk, médecin vétérinaire et éthicienne

L’avantage des ratons laveurs – si l’on peut le dire ainsi – est qu’ils attaquent la nuit, au moment où les poules sont normalement au poulailler. C’est cette petite installation qu’il faut donc transformer en forteresse.

« Il faut de bonnes portes, de bonnes fermetures et des loquets bien barrés pour la nuit », note Dre Kilsdonk.

Des bêtes de plus en plus futées

C’est la voie que compte emprunter Mme Damestoy, qui a fait appel sur les réseaux sociaux aux talents de bricoleur des habitants du quartier. Mais le raton est tenace. Et même un bon bricoleur peut, la nuit venue, vivre son Waterloo.

Sur des sites spécialisés, les conseils abondent, mais ne sont pas simples. L’un d’eux recommande d’entourer le poulailler d’une clôture haute de six pieds, avec une partie de 18 pouces enfouie sous la terre…

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Pour protéger les poules, il faut sécuriser le poulailler et non espérer que déplacer les ratons laveurs réglera le problème, note la vétérinaire Caroline Kilsdonk.

La recherche scientifique a de mauvaises nouvelles pour les éleveurs urbains, prévient la Dre Kilsdonk.

« Les chercheurs considèrent que les ratons laveurs des villes deviennent de plus en plus débrouillards et fonceurs. Ce n’est pas qu’ils arrivent à raisonner avec leur cerveau pour comprendre comment un loquet ou une poignée fonctionnent. Non, c’est plutôt qu’ils essaient, qu’ils essaient, qu’ils essaient… Et à un moment, ça marche. »

Les victimes des récentes attaques à Québec ont l’intention de sécuriser leur poulailler. Mais elles ne cachent pas leur peur.

L’attaque survenue la semaine dernière a laissé Mme Damestoy meurtrie et songeuse : pourra-t-elle réussir à protéger les trois poules qui lui restent ? Elle se demande si elle veut faire revivre un tel épisode à ses filles de 8 et 12 ans, qui s’étaient attachées aux poules. Celle qui a disparu était la plus sociable.

« C’est sanglant, une attaque de raton laveur. Il y a des plumes à la grandeur, du sang, c’est violent, dit-elle. On ne veut pas le vivre fréquemment. Ça peut freiner du monde. »