Le retour des biens culturels et restes humains autochtones à leurs communautés d’origine doit faire l’objet d’une loi et d’un financement conséquent au Canada, réclame l’Association des musées canadiens (AMC) dans un rapport publié ce mardi.

Des sacs de médecine, des ceintures wampum, des objets perlés et même des restes humains, volés, saisis ou achetés sous la contrainte ont déjà été récupérés dans des musées étrangers, mais les institutions canadiennes sont également interpellées, rappelle l’association.

« La frénésie des collectionneurs a constitué la base de nombreuses collections de musées », reconnaît l’AMC dans son rapport de près de 140 pages consulté par La Presse.

Si cette frénésie a largement bénéficié des politiques et croyances « racistes et génocidaires » en vigueur à l’époque, « des attitudes paternalistes demeurent », souligne le document.

L’enjeu est connu des membres, qui sont conscients du travail difficile qui reste à faire, précise la présidente du conseil d’administration de l’AMC, Heather George, elle-même conservatrice invitée au centre culturel autochtone Woodland, à Brantford, en Ontario.

« Ce rapport s’adresse en partie à nos membres, mais aussi aux gens qui créent les politiques et les structures de financement », souligne Mme George, dont le père est originaire d’Akwesasne.

« N’attendez pas : rapatriez ! », demande l’AMC dans son rapport.

L’association recommande au fédéral et aux provinces de légiférer pour que les Autochtones puissent rapatrier leurs biens culturels, et ce, tant dans les collections publiques que privées.

Le rapatriement pouvant être « très coûteux et exigeant en ressources », l’AMC réclame un financement « dédié et continu » pour les communautés, et demande que le Programme d’aide aux musées soit rehaussé.

L’AMC n’a pas encore déterminé les fonds requis, mais rappelle qu’un projet de loi fédéral avait déjà reçu l’appui unanime des Communes en 2019. Mme George aimerait que cette Loi concernant une stratégie nationale sur le rapatriement de restes humains et de biens culturels autochtones, qui n’avait pas eu le temps d’être adoptée au Sénat, soit redéposée.

Le rapport de l’AMC répond à une demande formulée en 2015 par la Commission de vérité et de réconciliation, qui enjoignait aux musées d’examiner leurs politiques à la lumière de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA).

Les États doivent veiller « à permettre l’accès aux objets de culte et aux restes humains en leur possession et/ou leur rapatriement », prévoit cette déclaration.

Les recommandations de l’AMC, qui visent également les biens détenus à l’étranger, arrivent à quelques jours de la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation du Canada, le 30 septembre.

Elles s’inscrivent dans une tendance de fond.

En Angleterre et au pays de Galles, les musées nationaux devront bientôt considérer les raisons morales invoquées par les demandeurs d’objets détenus dans leur collection, révélait The Guardian dimanche.

Des Autochtones et Métis du Canada en visite au Vatican le printemps dernier ont aussi réclamé des biens exposés par le musée ethnologique Anima Mundi. Une grande partie de sa collection est constituée d’objets provenant de missions catholiques du monde entier, rassemblés en 1925 à la demande du pape Pie XI.

« L’utilisation du terme ‟cadeau” ne fait que cacher toute l’histoire », a déclaré Gloria Bell, professeure adjointe au département d’histoire de l’art et d’études en communication de l’Université McGill, à l’Associated Press.

Longues démarches

À Gatineau, le Musée canadien de l’histoire travaille avec les communautés pour rapatrier des collections « depuis plus de 50 ans », souligne la conservatrice en chef intérimaire et directrice principale, recherche, Bianca Gendreau.

« On a encore des dizaines de conversations avec ces communautés à travers le Canada pour pouvoir leur retourner leurs biens culturels. C’est sûr que ça prend du temps. » L’institution conserve aussi des objets à la demande de certaines d’entre elles qui n’ont pas encore les installations nécessaires.

Le musée tient également compte des volontés des communautés dans la présentation de ses collections.

On travaille avec [les communautés] pour que ce soit leur histoire dans leurs propres mots.

Bianca Gendreau, conservatrice en chef intérimaire et directrice principale, recherche, au Musée canadien de l’histoire

Retracer la communauté d’origine n’est cependant pas toujours simple.

Jonathan Lainey, conservateur, cultures autochtones au musée McCord Stewart à Montréal, a cherché à connaître la provenance de certaines des ceintures wampum que détient le musée.

« Malheureusement, on se bute à des culs-de-sac documentaires », dit-il en évoquant la correspondance de David McCord, qui mentionne seulement des régions comme la baie Georgienne, les Grands Lacs ou Toronto.

Le musée McCord exposera ces ceintures wampum en octobre 2023, lors de la venue de l’exposition Wampum. Perles de diplomatie en Nouvelle-France, qui avait d’abord été présentée au Musée du quai Branly-Jacques Chirac, à Paris.

« On se dit qu’en les montrant, en faisant une exposition qui va les mettre en valeur, peut-être que des gens vont dire : ‟Voici une photo de notre ancien grand chef qui le tient dans sa main ou qui le porte sur son épaule” », espère M. Lainey, lui-même membre de la nation huronne-wendat.

En savoir plus
  • 26 %
    Proportion des établissements du patrimoine culturel canadien qui conservent des objets culturels et des biens appartenant à des Autochtones et, donc, sont concernés par la question du rapatriement
    Source : Portés à l’action : mise en œuvre de la DNUDPA dans les musées canadiens, rapport de l’Association des musées canadiens, septembre 2022