(Montréal) Trente-deux ans après qu’un homme armé, obsédé par sa haine des féministes, eut ouvert le feu sur le campus de Polytechnique Montréal, tuant 14 femmes et en blessant d’autres, la liste des femmes assassinées par des hommes continue de s’allonger au Québec.

Alors que les Québécois se préparent à observer un moment de silence ainsi qu’à participer à des cérémonies solennelles pour commémorer la tragédie survenue le 6 décembre 1989, des militantes soulignent que la vague de féminicides observée au Québec prouve que la violence misogyne n’est pas une affaire du passé.

Depuis le début de l’année 2021, le décompte non officiel s’élève à au moins 18 féminicides survenus sur le territoire québécois.

Nathalie Provost, elle-même blessée par quatre balles tirées par le tueur de la Polytechnique, est bien placée pour savoir que chacun de ces décès est une tragédie.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Nathalie Provost

Si le drame de la Polytechnique demeure l’une des pires tueries de l’histoire du Canada, pour Mme Provost, cette histoire va bien au-delà des statistiques.

En entrevue avec La Presse Canadienne, elle souligne que les victimes n’étaient pas des inconnues ou des visages sur des photos. Pour elles, ces femmes étaient ses collègues, des yeux qu’elle croisait, des voix qu’elle connaissait.

Devant la série de meurtres commis contre des femmes, Nathalie Provost se dit inquiète parce qu’elle voit des similitudes entre les difficultés économiques et le marché du travail en 1989, puis le climat d’incertitude provoqué par la pandémie de COVID-19.

De mon point de vue, en temps de crise, les premiers à en payer le prix sont les femmes et les enfants. J’en suis absolument convaincue.

Nathalie Provost, survivante de la tragédie de la Polytechnique

Louise Riendeau, porte-parole du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale, abonde dans le même sens. À son avis, l’année 2021 a été particulièrement difficile en matière de violence envers les femmes et la pandémie de COVID-19 n’y est pas étrangère.

Elle souligne que le confinement visant à limiter la propagation du virus a aussi eu pour effet de piéger certaines femmes chez elle, sous le joug de leurs agresseurs.

Puis, au moment du retour progressif à la vie normale, ces mêmes agresseurs ont vu leur contrôle sur leur victime s’effriter, entraînant du même coup une hausse de leur niveau de violence.

Lorsqu’elle pense aux victimes de la tragédie de la Polytechnique, Louise Riendeau se dit attristée par le fait qu’elles ont été tuées pour le simple fait qu’elles rêvaient d’occuper les mêmes emplois que des hommes.

« Elles voulaient devenir ingénieures et quelqu’un a voulu les en empêcher », résume-t-elle en soulignant que la violence des hommes envers les femmes vise encore aujourd’hui à les empêcher de s’épanouir pleinement.

Toutefois, malgré tous les parallèles que l’on peut imaginer, Mme Riendeau tient à rappeler que la plus grande menace à laquelle les femmes sont confrontées n’est pas celle d’un tireur inconnu, mais se trouve près d’elles, voire dans leur propre maison.

Des 18 féminicides recensés au Québec cette année, 17 auraient été commis par un conjoint actuel ou passé.

La représentante du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale prévient que les signes de danger les plus clairs sont des antécédents de violence conjugale chez un conjoint et des tendances manipulatrices.

En avril dernier, le gouvernement du Québec a annoncé des investissements supplémentaires de 223 millions de dollars pour lutter contre la violence conjugale. Plus récemment, on a annoncé un projet de loi dans le but de créer un tribunal spécialisé pour entendre les affaires de violence sexuelle. Québec a aussi dévoilé un projet pour forcer des agresseurs à porter des bracelets électroniques anti-rapprochement.

Louise Riendeau estime que certaines choses se sont améliorées pour les victimes, incluant la manière dont elles sont traitées par les policiers et les procureurs. Elle se réjouit aussi d’une plus grande conscientisation de la jeune génération.

Il reste que c’est par l’éducation et par la création d’une société égalitaire que l’on peut enfin espérer mettre fin à la maltraitance des femmes, selon elle.

La cérémonie de commémoration de la tragédie de 1989 aura lieu lundi soir avec l’illumination sur le mont Royal de 14 faisceaux s’élevant vers le ciel et représentant les victimes du drame. En raison de la pandémie, on demande toutefois aux gens de ne pas se rassembler sur place.