(Lac-Supérieur) Les dépotoirs sauvages sont un fléau. Ils se comptent par milliers sur le territoire québécois, avec leurs carcasses de voitures, leurs vieux frigos, leur ferraille et pneus de tracteurs qui déparent les paysages et qui peuvent contaminer les cours d’eau. Comment les éliminer ? La ville de Lac-Supérieur, après des années d’efforts, a trouvé une façon originale de s’en débarrasser.

Dans les années 1960, près de Saint-Faustin–Lac-Carré, des gens avaient la mauvaise habitude de jeter leurs rebuts du haut d’une falaise, près de la voie ferrée. Mais 60 ans plus tard, maintenant que le train a cédé la place à une piste cyclable, celle du P’tit train du Nord, ce sont les amateurs de vélo qui voient les résultats, encore davantage au printemps et à l’automne quand les arbres sont dénudés.

« Depuis cinq, six ans, avec le conseil, j’essaie de faire en sorte qu’on puisse retirer les déchets », explique le maire de Lac-Supérieur, Steve Perreault, au milieu de la piste cyclable. « Évidemment, les gens qui circulent sur la route verte, une des premières choses qu’ils voient en passant, c’est ça. »

Le problème, c’est que ce dépotoir était sur un terrain privé. Il y a quelques années, le maire a pris contact avec les propriétaires pour leur faire part de son projet. « Mais ce sont des gens qui vivent aux États-Unis, dit-il. Ils n’étaient pas intéressés. »

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Steve Perreault, maire de Lac-Supérieur

Pour dénouer l’impasse, il a fallu un alignement de planètes bien particulier, probablement plus facile en région où les gens se connaissent. D’abord, la propriété a été récemment vendue à des gens du coin. Ensuite, un conseiller de Lac-Supérieur connaissait l’existence de PurNat, une entreprise qui offre un service de nettoyage des dépotoirs illégaux ici et ailleurs en Amérique du Nord. Il fallait cependant financer les travaux et recruter des bénévoles.

Par hasard, un producteur télévisuel, Toast Studio, cherchait un site pour relever un défi dans le cadre de la série documentaire L’effet papillon, qui sera en ondes le printemps prochain sur Unis TV. Le concept est simple : trois amis doivent réaliser leurs rêves les plus fous à la télé. Un de ces rêves consistait à faire un « geste concret pour la planète ». L’équipe de production, qui avait eu vent que le maire du Lac-Supérieur voulait se débarrasser de son dépotoir illégal, a contacté la municipalité.

L’affaire était conclue. Lac-Supérieur et Saint-Faustin–Lac-Carré ont partagé la facture de 14 500 $. Les nouveaux propriétaires du terrain « ont sauté à pieds joints sur cette offre », d’autant plus qu’on ne leur demandait pas un sou. Et la boîte de production a coordonné l’opération, fourni les bénévoles, payé le chapiteau et les repas.

« Un nettoyage comme ça, c’est près de 20 000 $ », précise Jean-Raphaël Poiré, qui a cofondé PurNat avec son père Marcel Poiré, en 2012.

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Marcel et Jean-Raphaël Poiré, cofondateurs de PurNat

« C’était gratuit de déposer ces déchets-là. Mais, par contre, ça coûte 20 000 $ pour les sortir. »

Les trois amis qui participent à l’émission avaient pour mission de recruter des bénévoles. « Ça a été un challenge, admet Anne-Marie Gourgues, 22 ans. On a vraiment eu de la difficulté. On a demandé à plusieurs de nos amis, à notre entourage, mais on est mercredi, on est dans la région de Tremblant… Finalement, on a quelques amis qui sont venus. Mais ce qui nous a le plus aidés, c’est notre équipe. C’est exigeant, c’est quand même une grosse job et c’est salissant. Ça peut même être dangereux. »

Le maire de Lac-Supérieur avait aussi passé le mot sur les réseaux sociaux. « On a cinq bénévoles ce matin, précise Steve Perreault. La pluie en a découragé plusieurs. Plusieurs gens m’ont dit, oui, oui, j’y vais demain. Finalement, je ne les ai pas vus ce matin. Il pleuvait à boire debout. »

Une vingtaine de bénévoles

En tout, une vingtaine de personnes étaient sur les lieux, incluant l’équipe de PurNat, qui avait passé la semaine dans ses bureaux de l’île d’Orléans à planifier le retrait des déchets.

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Une vingtaine de personnes ont joint leurs efforts pour nettoyer un dépotoir sauvage à Lac-Supérieur.

« Scénario 1, scénario 2, quel équipement, quels outils on apporte, détaille Jean-Raphaël Poirié. Ici, on ne voulait pas utiliser de la machinerie, des pelles mécaniques, parce qu’on est sur une piste cyclable. Il y a beaucoup de va-et-vient avec les vélos. On a juste utilisé les “’side-by-side” aujourd’hui. On en a deux, ça nous permet de transporter les déchets. »

Pour retirer les débris, on a aussi utilisé des barils de canneberges recyclés. Les bénévoles les ont remplis de petits déchets de métal avant de les remonter à la surface avec un treuil forestier.

« Moi, je trouve ça inspirant, lance Arjuna Boucher, 22 ans, pendant l’heure du lunch. Il y a 40, 50 ans, les gens sont venus déposer ça là parce qu’ils n’avaient pas conscience que ça allait endommager les forêts. Maintenant, on voit que les gens sont plus sensibilisés et ils viennent pour nettoyer les forêts. On n’aurait pas pu faire ça sans PurNat. Mais on n’aurait pas pu faire ça non plus sans le budget des villes et sans nous, l’aide des bénévoles. »

Ce nettoyage avait une signification particulière pour Samuel Roy, 24 ans, qui vit à Val-Morin et emprunte la piste cyclable du P’tit train du Nord matin et soir pour aller travailler à Saint-Sauveur. « Ça me motive vraiment de savoir qu’il y a une cause derrière ça et qu’on nettoie la forêt, dit-il. On voit déjà les résultats après quelques heures de travail. »

Des dépotoirs sauvages comme celui de Lac-Supérieur, duquel on a retiré plus de 30 tonnes de déchets, le Québec en compte des milliers. Leur nombre aurait même augmenté avec la pandémie qui a forcé la fermeture des écocentres pendant une longue période.

« Ça a augmenté de 200 %, 300 % », estime Jean-Raphaël Poiré.

« Certains contracteurs sont véreux, ajoute son père. Ils facturent pour la disposition, mais vont mettre ça dans le bois. » Il y a aussi les mauvaises habitudes des citoyens qui, soit par paresse, soit pour éviter les frais des écocentres, se débarrassent de leurs déchets sur des sites illégaux.

En avril 2021, le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles dénombrait 628 dépotoirs illicites sur le territoire public. C’est dans le Bas-Saint-Laurent, en Abitibi-Témiscamingue et sur la Côte-Nord qu’il y en a le plus.

Mais ces chiffres ne tiennent pas compte de tous les dépôts de déchets sauvages sur des terrains privés. Seulement pour la Côte-Nord, selon PurNat, on compte plus de 500 dépotoirs illicites. Au Québec, il y en aurait plus de 5000. « Ça, c’est des sites que les municipalités ne prennent pas en main à cause de l’endroit et des coûts », précise Jean-Raphaël Poiré.

Ces comportements sont bien sûr interdits et passibles d’amendes qui varient selon les municipalités ou les MRC. Mais encore faut-il pouvoir prendre les contrevenants sur le fait. Et surtout, que faire avec les héritages du passé, ces dépotoirs qui ont été créés avant que la réglementation les rende illégaux ?

« De mon point de vue, il y a beaucoup de sensibilisation à faire, explique Marcel Poiré. En même temps, il faut serrer la vis. Aux États-Unis, ça rentre dans le Code criminel. Ici, c’est une petite claque sur les doigts. Tout le monde paye pour ça et ça coûte cher, des dépotoirs. Moi, quand j’ai parti PurNat, j’ai toujours espéré de le fermer, PurNat. Mais ça ne se fera pas. Écoutez, il y en a tellement, c’est incroyable, et il s’en fait encore. »

Les dépotoirs illicites au Québec

Nombre de dépotoirs illicites répertoriés sur les terres publiques dans les régions, en avril 2021. Il est possible de signaler la présence d’un dépotoir illégal sur le site du ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles.

Côte-Nord : 179
Abitibi-Témiscamingue : 100
Bas-Saint-Laurent : 85
Mauricie : 49
Nord-du-Québec : 46
Outaouais : 37
Chaudière-Appalaches : 34
Saguenay–Lac-Saint-Jean : 33
Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine : 33
Estrie : 11
Laurentides : 9
Lanaudière : 7
Capitale-Nationale : 5