(Ottawa) Des experts exhortent le gouvernement fédéral à ne pas réintégrer l’amiral Art McDonald à la plus haute fonction dans l’état-major, bien que la police militaire n’ait porté aucune accusation après une enquête de six mois sur une allégation concernant sa conduite.

Le premier ministre Justin Trudeau et le ministre de la Défense, Harjit Sajjan, n’ont fait aucun commentaire depuis que le Service national des enquêtes des Forces canadiennes (SNEFC) a annoncé vendredi soir qu’elle avait décidé qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves pour accuser l’amiral McDonald.

Le gouvernement n’a pas précisé si M. McDonald reprendra ses fonctions de chef d’état-major de la défense, poste qu’il a temporairement quitté en février à la suite de l’enquête sur une allégation d’inconduite. À cette époque, il n’était chef d’état-major que depuis cinq semaines.

La nature de l’allégation contre l’amiral McDonald n’a pas été confirmée publiquement, mais selon CBC, elle était liée à une inconduite sexuelle présumée qui remonterait à l’époque où il commandait un navire de guerre canadien en 2010.

Le colonel à la retraite Michel Drapeau, qui est maintenant avocat spécialisé dans les affaires militaires, affirme que le gouvernement doit maintenant décider s’il souhaite que M. McDonald reprenne ses fonctions ou qu’une autre personne occupe ce poste.

C’est le commandant de la force terrestre, le lieutenant-général Wayne Eyre, qui est chef d’état-major de la défense par intérim depuis février.

Art McDonald n’a pas répondu lundi à une demande de commentaires.

Le colonel Drapeau a noté que les chefs d’état-major de la défense sont nommés par le gouvernement, ce qui signifie qu’une décision de ne pas réintégrer Art McDonald sera peu susceptible de déclencher un procès qui auraient des chances de succès ou une autre procédure judiciaire.

« On examinera certainement si l’amiral McDonald aura la haute’autorité morale’requise pour reprendre ses fonctions et bénéficiera à la fois de la confiance du public et des militaires pour porter le flambeau de l’éradication du harcèlement sexuel et de la violence », a-t-il expliqué. « Je ne peux que supposer que la barre sera haute », a ajouté le colonel.

Pourtant, certains experts pensent que peu importe où cette barre est placée, le fait que ce soient les autorités militaires plutôt que civiles qui ont enquêté sur Art McDonald — et décidé ultimement de ne pas porter d’accusation — signifie que des doutes persisteront quant à savoir si l’affaire a été correctement traitée.

« De nombreuses failles ont été diagnostiquées au SNEFC en ce qui concerne les enquêtes sur les agressions sexuelles, donc la légitimité de leurs conclusions sera toujours remise en question », a noté Charlotte Duval-Lantoine, experte sur la place des femmes au sein de l’armée à l’Institut canadien des affaires mondiales.

« Si McDonald est réintégré, il ne serait pas surprenant que les militaires qui ont subi une inconduite sexuelle perdent toute foi et confiance en leur leadership, a-t-elle dit. Cela contribuera à donner l’impression que les officiers supérieurs jouissent d’un certain niveau d’impunité. Les Forces armées canadiennes ne peuvent pas se permettre un tel fossé. »

Le plus haut officier de police militaire, le grand prévôt et brigadier général Simon Prévost, a défendu l’indépendance et le professionnalisme de ses agents, dans le communiqué publié vendredi qui annonçait la fin de l’enquête.

Global News a rapporté que la lieutenante Heather Macdonald, ingénieure en systèmes de combat de la Marine, est à l’origine de l’allégation contre M. McDonald. Mme Macdonald, citée par Global vendredi, s’est dite bouleversée par la décision de la police militaire.

Le colonel Drapeau est d’accord avec le point de vue selon lequel l’ensemble de l’affaire souligne en fin de compte pourquoi les militaires ne devraient pas être autorisés à enquêter sur eux-mêmes.

« Par souci de transparence et de perception d’indépendance, cette plainte aurait dû, dès le départ, faire l’objet d’une enquête par un corps policier extérieur », par exemple la Gendarmerie royale du Canada, a-t-il déclaré.

« En l’absence d’une enquête policière indépendante, selon toute probabilité, un doute persistera dans l’esprit de la victime présumée, d’une partie du public et probablement de nombreux membres des Forces armées canadiennes quant au bien-fondé de l’enquête du SNEFC », a-t-il dit.