Une majorité de Canadiens croient que les facteurs à l'origine des vagues populistes dans le monde sont présents dans leur propre pays, selon un nouveau sondage.

L'enquête menée par la firme EKOS Politics pour le compte de La Presse canadienne démontre cependant que les détracteurs du statu quo au Canada sont plutôt différents de ceux issus des autres mouvements ailleurs, ce qui pourrait signifier qu'un « populisme du Nord » est en train de se former.

Frank Graves, le président d'EKOS, souligne que les « élites » croient que le Canada à l'abri de cette vague, contrairement aux répondants de ce sondage qui perçoivent des éléments pouvant alimenter ce mouvement.

Le populisme est une expression utilisée généralement pour décrire le mouvement politique qui a porté au pouvoir le néophyte Donald Trump aux États-Unis et celui qui a mené à la victoire du « Brexit », pour que le Royaume-Uni se retire de l'Union européenne (UE).

Dans le cadre de son enquête, La Presse canadienne a cherché savoir si les facteurs à l'origine de ces événements existent aussi au Canada, et, si tel est le cas, comment ce mouvement pourrait changer la politique d'ici.

Identifier ces facteurs n'est pas une science exacte. Afin de connaître l'opinion des Canadiens, le sondage a rassemblé plusieurs thèmes chers aux mouvements populistes dans le monde : l'opposition au commerce et à la mondialisation, l'appui à une politique migratoire plus restrictive et une méfiance des individus considérés comme faisant partie de l'élite.

Ces questions ont été soumises à 5568 Canadiens entre le 1er et le 19 juin : « Plusieurs personnes parlent de la montée de ces facteurs aux États-Unis et en Europe. Qu'en pensez-vous ? Et est-ce que cela arrive ici ? »

Quelque 77 % des répondants croient que ces facteurs sont présents et qu'ils sont en hausse modérément ou dans une large mesure.

Le sondage a une marge d'erreur de plus ou moins 1,3 point de pourcentage, 19 fois sur 20.

Parmi les répondants, seulement 33 % estiment que le populisme est négatif, alors que 42 % sont neutres. En revanche, 20 % considèrent le populisme comme étant quelque chose de positif.

Un populisme « canadien »

En fouillant dans les chiffres, il est possible de remarquer des différences entre les partisans du populisme au Canada et ailleurs.

En premier lieu, le libre-échange. Tant la campagne de Donald Trump aux États-Unis que celle du clan du « Leave » (« Quitter ») au référendum du Royaume-Uni ont été marquées par le rejet de la libéralisation des échanges.

Parmi l'une des plus grandes promesses de Donald Trump figure la renégociation de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA).

Seulement quelque 50 % des Américains sondés le mois dernier par le Pew Research Center appuyaient l'ALENA, et des sondages à la sortie des urnes menés lors de la dernière élection suggéraient que 65 % des électeurs de M. Trump croyaient que le libre-échange provoquait des pertes d'emplois.

Mais selon le sondage EKOS, 81 % des Canadiens appuient l'accord commercial entre le Canada, les États-Unis et le Mexique.

Par ailleurs, les plus grands appuis de Donald Trump se retrouvaient parmi les Américains qui se définissaient comme Blancs. Au Royaume-Uni, les régions avec les plus bas pourcentages de résidants nés à l'étranger avaient voté massivement pour que leur pays quitte l'UE.

Au Canada, 22 % des répondants nés ailleurs qu'au Canada croyaient que le populisme était positif, alors que ce chiffre était de seulement 18,5 % pour les Canadiens nés ici.

« Si le populisme de Trump est enraciné dans la classe de travailleurs blancs, cela ne semble vraiment pas être le cas au Canada », est-il écrit dans les documents du sondage.

Les questions de l'économie et de l'avenir du pays semblent influencer davantage les opinions des Canadiens sur les thèmes populistes.

Le sondage suggère qu'une bonne partie des Canadiens sont plutôt optimistes pour l'avenir : 29 % d'entre eux croient que leur vie s'améliorera au cours des cinq prochaines années, alors que 35 % pensent qu'elle restera sensiblement la même. En revanche, 33 % d'entre eux prévoient que leur situation va s'empirer.

Parmi ceux qui croient éprouver des difficultés depuis cinq ans, 25 % appuient le populisme.

Plus de gens qui considèrent faire partie de la classe ouvrière ou pauvre voient le populisme comme une chose positive. C'est moins le cas pour les Canadiens issus des classes moyenne et supérieure.

« En général, nous voyons un paysage politique différent, où la stagnation et le déclin économiques soutenus alimentent une expression de populisme proprement canadienne qui est moins "blanche" et moins fermée que ses expressions en Europe et aux États-Unis », indique le rapport.

« C'est plus enraciné dans le conflit des classes, entre la classe moyenne inférieure et la classe ouvrière croissante. »

Impacts sur la politique

Les conséquences potentielles de ce « populisme canadien » dans le paysage politique canadien pourraient trouver leur source dans la scolarité des partisans du populisme et le parti politique que ces derniers appuient.

Lorsque le premier ministre Justin Trudeau est arrivé au pouvoir, il a profité d'un appui uniforme chez les Canadiens de tous les profils scolaires.

Mais le sondage suggère que ce soutien s'est maintenu seulement chez les Canadiens ayant un diplôme universitaire. Parmi ceux-ci, 42 % perçoivent négativement le populisme.

Les Canadiens ayant un diplôme secondaire ou collégial semblent vouloir retourner chez les conservateurs. Parmi les répondants détenant un diplôme secondaire, 26 % trouvaient le populisme négatif, tout comme 30 % des diplômés au collégial.

« Nous avons effectivement divisé le pays en deux Canada. Ceux qui sont relativement confortables avec l'orientation nationale et fédérale ["le Canada progressiste"] et le Canada conservateur, qui sont mécontents de la direction du pays », résume-t-on.