C'est l'histoire d'une famille coupée en deux. D'un côté, la mère, Betty Dimbu Kiakanda, et ses deux enfants les plus âgés : Elsa, 13 ans, et Joe, 11 ans. À moins d'un miracle, tous les trois risquent d'être expulsés vers l'Angola dès demain.

De l'autre côté, il y a le père, la grand-mère et deux enfants plus jeunes, âgés de 4 et 6 ans. Ceux-là, il ne faut pas les nommer, car la Commission de l'immigration et du statut de réfugié n'a pas encore traité leur demande d'asile.

« Je ne peux pas me séparer de mes enfants, je ne peux pas voir ma famille séparée », soupire Betty Dimbu Kiakanda, complètement anéantie par la décision des autorités canadiennes. Celles-ci ont rejeté tous les recours visant à surseoir à son renvoi en attendant de connaître le sort que le Canada réservera à sa mère, son mari et ses deux plus jeunes enfants.

Comme beaucoup de demandeurs d'asile, la famille de Betty Dimbu Kiakanda a derrière elle un périple long et compliqué. Originaires de la République démocratique du Congo, Betty et son mari ont fui la RDC dans la foulée de l'assassinat de l'ex-président Laurent-Désiré Kabila, victime d'un coup d'État le 16 janvier 2001. Ils ont vécu quelques années dans un pays voisin, l'Angola, où ils ne se sentaient pas non plus en sécurité.

Ils ont abouti aux États-Unis en 2009, avec des papiers angolais. Mais Betty Dimbu Kiakanda espérait plutôt vivre au Canada, un pays qu'elle croyait « bon pour les familles ».

Elle s'est donc présentée à la frontière, avec deux enfants - pour être refoulée aussitôt, en vertu de l'entente sur le « tiers pays sûr », qui permet au Canada de renvoyer les demandeurs d'asile vers le pays d'où ils arrivent, dans la mesure où leur sécurité y sera assurée.

La jeune femme ignorait alors qu'elle n'aurait plus jamais le droit de demander asile au Canada.

RAFALE DE DÉCEPTIONS

En 2015, un malheur frappe la famille de Betty restée en Angola. Des hommes armés abattent son frère et blessent grièvement sa mère, qui viendra rejoindre ses proches à Portland, dans le Maine, où elle devra se faire amputer une jambe.

C'est quand leur demande d'asile finit par être rejetée par les États-Unis, en 2016, que Betty et ses proches décident de mettre le cap sur le Canada, par les chemins irréguliers cette fois-ci, poussant la grand-mère handicapée sur son fauteuil roulant.

C'est à Lacolle que la famille finit par être séparée en deux, entre ceux qui ont le droit de déposer une demande d'asile, et ceux qui n'y ont plus droit.

Suit une rafale de déceptions. Après une réponse négative à la demande d'examen de risque avant renvoi, une procédure qui est rejetée dans plus de 95 % des cas, l'avocate de Betty Dimbu Kiakanda, Marie-Josée L'Écuyer, a porté cette décision en appel devant la Cour fédérale, tout en demandant à l'Agence des services frontaliers de surseoir au renvoi de la jeune femme et de ses deux enfants.

Cette demande a été rejetée le 17 mai. Me L'Écuyer entreprend un ultime recours aujourd'hui, en Cour fédérale, pour faire infirmer cette dernière décision. Si cette démarche échoue, Betty Dimbu Kiakanda, sa fille Elsa et son fils Joe s'envoleront pour l'Angola, demain.

« Je n'ai aucun souvenir de ce pays, je n'y connais personne, j'ai peur qu'ils tuent ma mère et que je me retrouve toute seule, dans la rue », dit l'adolescente qui fréquente une classe d'accueil dans une école de Montréal-Nord.

La mère de 36 ans se demande comment son mari, qui travaille comme emballeur dans une usine de viande, fera pour prendre soin de sa mère de 65 ans, incapable de cuisiner ou de prendre son bain sans aide.

QUEL PRÉJUDICE ?

Selon un rapport de la docteure Farah Désiré, de la Clinique des demandeurs d'asile et des réfugiés, Betty Dimbu Kiakanda est « l'aidante naturelle » qui veille sur sa mère « en perte d'autonomie chronique ». Une expérience qui a d'ailleurs mené la jeune femme à suivre un cours de préposée aux bénéficiaires - métier qu'elle aimerait exercer dès qu'elle en aura l'occasion.

« Le fait de quitter le Canada aurait un impact grave sur Madame Dimbu et ses deux enfants les plus âgés, tandis que cette séparation aurait causerait un stress intense sur les membres de la famille qui resteraient au Canada », écrit la psychologue Marta Valenzuela dans un rapport déposé au dossier de la mère de famille.

Son avocate, Marie-Josée L'Écuyer, est abasourdie par la décision de séparer cette famille unie. « Quel préjudice la société canadienne subirait-elle en les laissant au pays en attendant que la demande du reste de la famille soit entendue ? », se demande-t-elle, en soulignant que ce renvoi, révélateur d'un manque d'humanité, serait contraire aux valeurs canadiennes.

Elle fait valoir que la famille est autosuffisante, puisque le père occupe un emploi qui lui permet de subvenir aux besoins des siens - emploi que ce dernier craint de devoir quitter s'il se retrouve seul avec deux jeunes enfants et une belle-mère malade.

De son côté, l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) ne commente pas les dossiers particuliers, mais affirme « essayer de ne pas séparer les familles dans la mesure du possible ». L'intérêt de l'enfant prime, en principe. Mais lorsque les décisions définitives ne sont pas rendues en même temps, « cela peut avoir un impact sur le renvoi des intéressés », écrit Dominique McNeely, porte-parole de l'Agence.