Dans le but avoué de « mieux s'intégrer et de s'adresser à un plus grand public », le National Socialist Movement, le plus important groupe néonazi des États-Unis, abandonne la croix gammée. Son nouveau symbole de prédilection, la « rune d'Odal », est aussi l'un des tatouages vikings les plus répandus, même au Québec.

ASSOCIÉE AU NAZISME

Tirant son origine de l'alphabet gotique, la rune d'Odal, aussi appelée Ōthalan, signifiait « famille », « prospérité » et « héritage » dans la langue viking. Plusieurs groupes nazis, dont les Jeunesses hitlériennes et certaines divisions SS, se sont approprié le symbole, mais la rune est restée fortement associée au nazisme après la Seconde Guerre mondiale. Alors que certains groupes suprémacistes de la droite alternative américaine (alt-right) ont le vent dans les voiles, le chef du National Socialist Movement a annoncé au New Tork Times en novembre qu'il allait faire de ce symbole son signe de prédilection, au détriment de la swastika, jugée trop offensante par la population. Le symbole a depuis fait son apparition sur les écussons officiels du groupe raciste et antisémite, que seuls les membres en règle peuvent porter lors de manifestations publiques. La GRC a inscrit la rune d'Odal dans son Guide de sensibilisation sur les groupes extrémistes, qui peut être consulté en ligne.

« C'EST DOMMAGE »

Des tatoueurs questionnés par La Presse affirment que le symbole est plutôt populaire parmi la clientèle québécoise. La notoriété de la série télévisée Vikings, dont les personnages sont lourdement tatoués, n'y est pas étrangère. Le tatoueur montréalais Philippe Labbé s'en est lui-même fait dessiner une près du pouce il y a plusieurs années. « Je me suis beaucoup renseigné sur la signification de cette rune avant de faire le tatouage. C'est vraiment le sens familial qui me rejoignait », dit-il. Il a même ajouté une tête de lapin stylisée dans le losange, ce qui démontre l'innocuité du symbole, selon lui. « Je savais que certains nazis l'avaient utilisée, mais ce n'est pas le sens premier qui était retenu dans les livres que j'ai lus. Le fait que des personnes racistes se l'approprient, c'est sûr que ça me dérange. Je ne suis pas raciste et si une personne me demandait de lui tatouer la rune d'Odal dans le but d'afficher son racisme, je l'enverrais promener », dit M. Labbé.

SPÉCIALITÉ : DÉTOURNEMENT

Maxime Fiset, un ancien néonazi qui s'est détaché des mouvements d'extrême droite, affirme que les runes gothiques sont particulièrement populaires chez ces groupes « parce que ce sont des symboles juste assez ambigus pour passer inaperçus ». « Les groupes néonazis font exprès pour se les approprier, et le jour où on les interdira, ils en choisiront un autre », dit-il. « On ne peut rien conclure d'une personne qui se fait tatouer ces signes. Ça peut simplement signifier qu'une personne s'intéresse à la culture et à la mythologie norroise [Norvège]. Mais la rune d'Odal, c'est un cas particulier. C'est un symbole largement associé au nazisme. Si je connaissais quelqu'un qui se faisait faire ce tatouage, avec d'autres signes souvent associés à la mouvance néonazie, je me méfierais. Je poserais des questions à cet ami », suggère-t-il.

D'AUTRES SYMBOLES AMBIGUS

Un autre symbole runique populaire chez les groupes suprémacistes blancs est Algiz, sorte de signe de peace and love inversé, qui signifie la « protection ». Il fait partie intégrante du logo de la National Alliance, un groupe suprémaciste blanc international. Des tatouages d'apparence parfois subtile peuvent aussi cacher un sens extrémiste. Par exemple, le nombre 88, une juxtaposition de deux « H » (la 8e lettre de l'alphabet), signifie « Heil Hitler » pour les néonazis. Un peu plus complexe :  une paire de dés montrant les chiffres 1, 4, 5 et 3 (1, 4, 5 + 3 =8 =1488) fait référence à un slogan suprémaciste blanc en anglais de 14 mots (« We must secure the existence of our people and a future for white children ») accolé au 88 de « Heil Hitler ».