La mort soudaine en moins de quatre mois de quatre hommes qui fréquentaient encore l'an dernier le Collège militaire royal du Canada (CMRC) ébranle la prestigieuse institution à la veille de la rentrée des classes.

Les quatre défunts avaient intégré le Collège en vue de brillantes carrières militaires. Ils ont plutôt terminé leur parcours loin du champ de bataille, dans des circonstances tragiques.

Des enquêtes sont toujours en cours, mais dans un cas, une famille jointe par La Presse a confirmé qu'il s'agissait d'un suicide. Les trois plus jeunes font l'objet d'une seule et même commission d'enquête militaire.

« C'est une situation que nous prenons au sérieux à un point exceptionnel », a affirmé en entrevue le brigadier-général Sean Friday, l'officier au sommet du CMRC. « L'équipe du Collège est touchée en plein coeur par ces décès. C'est une période difficile pour nous et pour les familles. »

Le syndicat des professeurs de l'établissement jure que le personnel ouvre l'oeil afin de détecter des cas de détresse dans les classes.

« La communauté au complet s'inquiète de ce qui se passe avec les élofs [élèves-officiers]. C'est malheureux », a dit Jean-Marc Noël, professeur de physique et président de l'Association des professeurs(es) des collèges militaires du Canada.

« Le nombre d'étudiants est assez petit, donc on les connaît pas mal. » Quant à l'administration du collège, « j'ai l'impression qu'ils ne veulent pas trop trop en parler. C'est ce que je pense », a-t-il expliqué lors d'un entretien téléphonique.

La séquence funeste a débuté au printemps, selon des informations du site spécialisé 45eNord.ca confirmées par La Presse. L'élève-officier Harrison Kelertas, de Beaconsfield, a été retrouvé sans vie le 28 avril dernier sur le campus. Le jeune homme était sur le point de recevoir son diplôme. La dépouille de son proche ami l'élève-officier Brett Cameron, qui devait porter son cercueil lors de ses funérailles, a été découverte au collège l'avant-veille de la cérémonie. Ils avaient respectivement 22 et 20 ans.

Puis, en juin, c'est le Longueuillois Éric Leclerc, 39 ans, qui s'est donné la mort à la base militaire de Borden. Le sous-lieutenant venait de recevoir son diplôme du CMRC quatre mois plus tôt.

Et il y a deux semaines, l'élève-officier Matthew Sullivan a été retrouvé sans vie dans sa ville natale de Saint John, au Nouveau-Brunswick. Il avait 19 ans.

À Longueuil, la semaine dernière, le père d'Éric Leclerc, Guy, était toujours sous le choc après la mort de son fils. Assis à la table de sa cuisine, il s'est souvenu des journées passées au chalet familial, un mois avant le drame. « Il n'était pas là. Il n'était pas dans son assiette », a-t-il dit en entrevue avec La Presse. Quatre jours avant de se donner la mort, son fils lui a envoyé un dernier texto : « Ça va. Un mois encore. » Il faisait référence à une formation qu'il suivait à la base de Borden.

Nicole Rioux, mère du récent diplômé, a confié que son fils lui parlait des décès qui ont eu lieu au CMRC. « Mon fils m'en avait parlé, a-t-elle relaté. Il disait qu'il y en a qui n'avaient pas été capables de tougher. » Mme Rioux ne s'explique toujours pas ce qui s'est passé. « Le plus dur était déjà fait, a- t-elle dit au téléphone. Il est parti avec son secret. »

Les familles Sullivan, Cameron et Kelertas n'ont pas voulu s'adresser aux médias.

PRESSION ET STRESS

Plusieurs officiers-cadets ou récents diplômés du Collège ont indiqué à La Presse que la communauté du CMRC est sous le choc, mais ils ont aussi tenu à lever le voile sur le niveau élevé de pression et de détresse au sein de l'établissement.

« La culture institutionnelle du CMRC favorise l'anxiété », a confié l'un d'entre eux. « C'est difficile de demander de l'aide. C'est plutôt intimidant et rien ne nous laisse vraiment croire que les chaînes de commandement sont enclines à nous aider mentalement », a ajouté un autre.

Un troisième a affirmé que dans certains secteurs du collège, « c'est très difficile pour les élèves-officiers d'avoir des rendez-vous pour des problèmes de santé mentale ». Selon un quatrième, « le problème est une surcharge d'activités ». « Ce n'était pas un milieu de vie sain, a expliqué un cinquième. Les gens ne veulent pas sortir du rang et obtenir l'aide dont ils ont besoin, de peur que leur carrière ne soit affectée. » Tous ont demandé de discuter sous le couvert de l'anonymat parce qu'ils n'étaient pas autorisés à parler aux médias.

Deux autres jeunes ont nié l'existence de problèmes graves à Kingston, l'un reconnaissant simplement un programme « plus demandant » que dans une autre université, l'autre soulignant que chacun était libre de partir s'il le désirait.

« NOUS EN SOMMES TOUS PROFONDÉMENT AFFECTÉS »

Le brigadier-général Sean Friday refuse de commenter directement les circonstances des morts qui font l'objet d'une commission d'enquête. Il a tout de même accepté de discuter avec La Presse de la situation.

« Perdre un cadet est l'événement le plus tragique qui peut survenir. Nous en sommes tous profondément affectés, a-t-il dit. Nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour soutenir la famille et les amis des cadets pendant cette période extrêmement difficile pour eux. »

Le brigadier-général Friday a souligné que les élèves-officiers reçoivent plusieurs cours sur la gestion du stress et la résilience tout au long de leur formation.

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Qu'est-ce que le Collège militaire royal du Canada ?


Le Collège militaire royal du Canada est l'université des Forces armées canadiennes. En plus des cours par correspondance, il offre une formation supérieure aux futurs officiers canadiens, qui sont soumis à la vie militaire entre les murs de l'établissement. Entre 1000 et 1200 jeunes Canadiens le fréquentent : ils vivent, mangent et reçoivent leurs cours en commun. Ils sont divisés en 12 escadrons, qui constituent autant de « chaînes de commandement » dirigées par un élève-officier de quatrième année.