Jacqueline Scott est passionnée de plein air : randonnée pédestre, camping, canot, vélo, raquette, il n’y a rien à son épreuve. « Je fais partie de plusieurs groupes, je guide des sorties à pied et à vélo, raconte la jeune femme. Mais chaque fois que je suis en plein air, je suis la seule Noire. J’en viens à me demander : qu’est-ce qui se passe dans cet espace, qu’est-ce qui se passe avec cette activité pour qu’on voie si peu de personnes racisées ? »

En plus d’être une adepte de plein air, Jacqueline Scott est doctorante à l’Université de Toronto, plus précisément à l’Institut des études pédagogiques de l’Ontario. Sa thèse porte sur la perception de la nature dans l’imagination des Noirs et elle a participé à la rédaction de L’équité raciale et la nature urbaine, un rapport préparé pour l’organisation Nature Canada qui explore justement les obstacles à une plus grande diversité dans le plein air.

Certains obstacles sont physiques, d’autres d’ordre psychologique, note-t-elle.

Distance et temps

Il y a d’abord une question de coûts et de distance : les familles défavorisées et les nouveaux arrivants n’ont pas nécessairement les moyens d’avoir accès à la nature.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Navette Nature espère reprendre son service de transport vers des parcs de la région montréalaise le printemps prochain. L’organisme espère conclure des partenariats pour utiliser des autobus électriques.

Catherine Lefebvre, cofondatrice de Navette Nature, a pu constater cet aspect de la question. Navette Nature est actuellement en pause en raison de la pandémie, mais l’organisme organise normalement du transport à bas coût vers des parcs municipaux et provinciaux. Grâce à des commandites de grandes entreprises, la petite organisation a pu offrir le transport gratuit pour certaines destinations.

« Ce sont sur ces trajets que nous avons vu la plus grande diversité culturelle, raconte Mme Lefebvre. C’était marquant. »

Il y a aussi une question de temps disponible. Lourdenie Jean, fondatrice du projet L’Environnement, c’est intersectionnel, raconte comment elle a organisé une retraite gratuite dans un chalet des Laurentides pour des travailleuses de la santé.

« C’était difficile pour elles de participer à cette retraite parce qu’elles étaient obligées de faire des heures supplémentaires, se rappelle Mme Jean. C’était difficile de prévoir d’avance si elles allaient avoir une fin de semaine de libre. Ce n’était qu’une nuitée, mais ça demandait déjà trop de temps. »

L’accès aux espaces verts dans les villes peut également être problématique : il y a souvent moins de parcs dans les quartiers défavorisés et la qualité de ces parcs peut parfois laisser à désirer.

Lourdenie Jean donne l’exemple du parc Frédéric-Back, dans le quartier Saint-Michel. « C’était un endroit où on mettait les déchets, rappelle-t-elle. Encore aujourd’hui, il y a un grand espace où on traite le compost [avec le bruit et les odeurs qui y sont associés]. Ça joue sur la qualité de l’espace. »

Obstacles psychologiques : à ne pas négliger

Les obstacles psychologiques sont moins visibles, mais tout aussi importants. Plusieurs membres de communautés racisées ressentent un malaise, quand ce n’est carrément pas de la peur, lorsque vient le temps de visiter un espace de plein air fréquenté très majoritairement par des Blancs.

PHOTO FOURNIE PAR JACQUELINE SCOTT

Jacqueline Scott se passionne pour une grande variété d’activités de plein air, du kayak à la randonnée en passant par la raquette et le camping.

Lorsque vous êtes un groupe de personnes noires et que vous allez au parc pour relaxer et pique-niquer, vous avez toujours peur que quelqu’un appelle la police.

Jacqueline Scott

Elle souhaite que les parcs et les organismes de conservation embauchent davantage de personnes racisées.

« Ça facilite les choses si, par exemple, je ne sais pas comment monter une tente et que c’est quelqu’un qui me ressemble qui m’aide, déclare-t-elle. Une telle personne va simplement penser : “C’est quelqu’un qui n’a pas beaucoup d’expérience en camping”. Alors que si c’est une personne blanche, elle risque de penser quelque chose comme “Oh, ces gens ne savent pas quoi faire dans les bois”. Ce n’est pas le même message. »

Des parcs et des organismes commencent à présenter des personnes racisées dans leurs photos promotionnelles, mais selon Jacqueline Scott, ce n’est pas suffisant. Il faut leur faire une place au sein du personnel et des conseils d’administration.

Catherine Lefebvre insiste sur l’importance de la bienveillance, surtout lorsqu’on est un adepte de plein air expérimenté. Membre du conseil d’administration d’Aventure Écotourisme Québec, c’est une question qui la préoccupe particulièrement.

« En tant qu’industrie, comment peut-on se préparer à accueillir cette clientèle ? Comment diffuser de l’information ? »

Une simple question de vocabulaire peut aider les communautés culturelles à mieux apprivoiser le plein air. Le concept même de plein air n’est pas toujours évident pour beaucoup d’entre elles. Catherine Lefebvre suggère ainsi de changer « activités de plein air » par « activités à l’extérieur », et « randonnée pédestre » par « marche en forêt ».

« Une marche en forêt, ça sonne un peu moins comme une épreuve physique ! », lance-t-elle en riant.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

L’organisme Plein air interculturel organise des activités de plein air pour débutants, et notamment pour les nouveaux arrivants.

Outre Navette Nature et L’Environnement, c’est intersectionnel, d’autres organismes au Québec cherchent à faciliter la participation des communautés culturelles et des communautés racisées au plein air, comme Motivaction Jeunesse à Québec et Plein air interculturel, à Montréal.

Ironiquement, la pandémie a contribué à une plus grande diversité en plein air.

« On en avait tellement assez d’être confinés à l’intérieur que bien des gens ont commencé à explorer la nature qui était littéralement de l’autre côté de la rue, affirme Jacqueline Scott. Beaucoup de personnes noires ne savaient pas que de tels espaces existaient près de chez elles. »

Il leur reste maintenant à se sentir les bienvenues.

Consultez le rapport L’équité raciale et la nature urbaine Consultez le site de Plein air interculturel Consultez le site de Motivaction jeunesse Consultez le site de L’Environnement, c’est intersectionnel Consultez le site de Navette Nature

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L’ancêtre du vélo de montagne

À la fin des années 1970, on modifiait des vélos ordinaires pour dévaler les montagnes. Le vélo de montagne a bien évolué depuis.

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Chiffre de la semaine

10

C’est le nombre de collines montérégiennes, depuis les collines d’Oka jusqu’au mont Mégantic.