Si, demain matin, on vous apprenait que vous venez d'hériter de centaines de milliers de dollars d'une tante inconnue, que vous avez gagné un gros lot à la loterie, bref, que le temps et l'argent coulaient à flots, sans limites, et qu'on vous offrait de vous emmener où vous voulez pour souper, où iriez-vous, dans le monde entier?

Vous partiriez à la recherche du plat de nouilles idéal dans la campagne au Viêtnam? Vous organiseriez un festin de champagne, caviar et foie gras chez Ducasse à Monaco? Partiriez-vous dans l'archipel nippon découvrir le fameux fugu japonais - le poisson potentiellement mortel s'il est mal apprêté - ou est-ce plutôt un long repas ouaté dans la vallée de Napa, au fameux French Laundry par exemple, qui ferait votre bonheur?

Les célèbres guides Michelin accordent trois étoiles aux restaurants qui «valent le voyage». Mais quels sont les établissements qui méritent, réellement, qu'on traverse la planète en volant ou qu'on fasse 12 heures de voiture pour y aller?

L'an dernier, le New York Times a fait la liste des restaurants qui, selon le journal, sont assez extraordinaires pour qu'on prenne l'avion pour s'y rendre. On y trouvait notamment le Mirazur, sur la Côte d'Azur, du chef d'origine argentine Mauro Colagreco - qui vient à Montréal pour le festival Montréal en lumière - et M. Wells, diner néo-québécois de Queens du chef Hugue Dufour, aujourd'hui déménagé à la succursale PS1 du Musée d'art moderne de New York, à Long Island City.

Cette année, dans la foulée du tout nouveau guide de la maison d'édition Phaidon Where Chefs Eat (où mangent les chefs), la chroniqueuse Marie-Claude Lortie a demandé à 10 chefs d'ici et d'ailleurs où ils rêvent d'aller manger. Partout dans le monde. Voici quelques-unes des réponses qu'ils nous ont fournies.

1. Rene Redzepi, Noma (Copenhague) :

Lummi Island, Washington

> Le Willows Inn

«Si je pouvais monter dans un avion demain et partir n'importe où dans le monde pour souper, c'est sûr que j'irais au Willows Inn dans l'île de Lummi, dans l'État de Washington», explique le chef du «meilleur» restaurant du monde, le très nordique Noma, à Copenhague. «Blaine Wetzel est aux commandes et en plus d'être une personne très humble et généreuse, il porte en lui un talent extraordinaire pour la cuisine et les saveurs. De plus, l'île semble être l'endroit parfait pour décrocher pour un moment avec une pile de livres. Un joyau de saveurs et de tranquillité.»

2579, Westshore Dr., Lummi Island, Washington, États-Unis

willows-inn.com

Photo The New York Times

Rene Redzepi

2. Dyan Solomon, Olive " Gourmando (Montréal) :

Berkeley, Californie

> Chez Panisse

Dyan Solomon adore San Francisco et toute sa région où se trouve Berkeley, ville universitaire et bastion du progressisme américain. Chez Panisse est le restaurant phare d'Alice Waters, celle qui a démarré la révolution culinaire californienne dans les années 70 en prônant l'utilisation de produits frais, saisonniers, dont beaucoup de légumes. «Pour moi, tout ce qui se passe en alimentation dans cette région est fantastique, explique Solomon. Là, quand on parle de produits frais et régionaux, c'est du vrai. Les chefs ont un esprit ouvert, une créativité illimitée... J'adore le mélange d'immigrants, de mesures progressistes, de hippies et de fermiers incroyables qui sont dévoués à leur terre tout en gardant les gourmets en tête et qui travaillent main dans la main avec des cuisiniers, des artistes, des innovateurs, des amateurs de vin... Le sens de la communauté est formidable.»

1517, Shattuck Av., Berkeley, Californie, États-Unis

chezpanisse.com

Photo André Tremblay, La Presse

Éric Girard et sa partenaire Dyan Solomon.

3. Quique Dacosta, Quique Dacosta Restaurante (Dénia, Espagne) :

Chicago

> Alinea

Le chef espagnol, dont le restaurant de Dénia, dans la région de Valence, en Espagne, vient tout juste de récolter une troisième étoile Michelin, aimerait bien retourner chez DOM, table de son collègue brésilien, Alex Atala, à São Paulo. « Alex est un cuisinier brésilien avec une âme espagnole », dit-il. Il est créatif et a un talent hors du commun, notamment pour faire découvrir les produits de ses terres. Pour découvrir une table nouvelle, cependant, il se tournerait vers Chicago et irait chez le moderniste Alinéa ou alors partirait pour Modène, histoire de goûter à la cuisine de Massimo Bottura à l'Osteria Francescana. «Leurs travaux me donnent de l'énergie positive, explique Dacosta. Ce sont deux cuisines très distinctes, mais qui partagent le même avant-gardisme pur. Et puis j'ai envie de vivre ces expériences. »

1723, North Halsted St., Chicago, Illinois, États-Unis

alinearestaurant.com

Photo New York Times

Quique Dacosta

4. Daniel Boulud, Maison Boulud (Montréal) :

Buenos Aires

> Patagonia Sur

«Je rêve d'aller au Patagonia Sur du chef Francis Mallmann à Buenos Aires», explique le grand chef et restaurateur Daniel Boulud, dont le réseau de restaurants lancé à New York compte maintenant une adresse à Montréal. «Je veux faire l'expérience de la vraie cuisson sur du feu de bois, façon Argentine.» Le plat incontournable du menu du chef Malmann - qui est président d'honneur du festival Montréal en lumière - est un agneau malbec cuit pendant sept heures et demie. «Francis a été formé par les plus grands chefs européens et après une carrière brillante en Argentine, il a décidé qu'il voulait retourner à la technique fondamentale qu'est la cuisson sur feu de bois. Personne ne le fait mieux et n'a plus de panache.»

801, rue Rocha, Buenos Aires, Argentine

restaurantepatagoniasur.com

Photo Reuters

Daniel Boulud

5. Daniel Humm, Eleven Madison Park (New York) :

Barcelone

> 41° Experience

Le chef d'origine suisse qui dirige les cuisines du triple étoilé Eleven Madison Park, à New York, aimerait bien, comme Anne-Sophie Pic, aller manger au Celler de Can Roca, en Espagne. Mais un autre établissement espagnol a retenu son attention, après en avoir entendu parler de façon très convaincante par une adepte : le 41° Experience (qui se prononce quarante-uno grados en espagnol), restaurant expérimental d'Albert Adria, à Barcelone, où le jeune frère du maître moderniste Ferran Adria combine sons, saveurs et atmosphères inédits pour créer des repas nouveau genre poussant encore plus loin les concepts créés au défunt elBulli. «Quand j'entends les gens parler avec passion d'un restaurant, ça me donne toujours envie de l'essayer », dit le chef.

164, av. Paral-lel, Barcelone, Espagne

Photo Reuters

Daniel Humm

6. Anne-Sophie Pic, La Maison Pic (Valence, France) :

Girone, Espagne

> Le Celler de Can Roca

Choisie meilleure femme-chef de l'année en 2011 par le magazine britannique Restaurant, la chef française Anne-Sophie Pic aimerait bien aller au French Laundry, dans la vallée de Napa, pour goûter à la cuisine du chef Thomas Keller, ou encore se rendre chez Hertog à Bruges, en Belgique, «parce que le chef aime les mêmes produits» qu'elle. Mais elle choisit aussi de rêver d'aller au restaurant qui occupe la deuxième position sur la fameuse liste des 50 meilleures tables du monde. Le Celler de Can Roca, restaurant triple étoilé Michelin installé un peu en retrait du centre historique de la ville catalane de Girone et tenu par trois frères, Joan, Josep et Jordi Roca. «Joan Roca parle toujours très élogieusement de ma maison et de son expérience chez mon père au début de sa carrière», explique Mme Pic, qui a repris le flambeau de la Maison Pic après la mort de son père. «De plus, leur sensibilité et leur talent familial [à tous les trois] me touchent.»

48, rue de Can Sunyer, Girone, Espagne

cellercanroca.com

Photo Édouard Plante-Fréchette, La Presse

Anne-Sophie Pic

7. Michelle Marek, Food Lab (Montréal) :

Järpen, Suède

> Fävikenmagasinet

Chef pâtissière aujourd'hui aux commandes du Food Lab de la Société des arts technologiques, en compagnie du chef Seth Gabrielse, Michelle Marek aimerait bien savourer la cuisine de rue de Singapour ou de la région d'Oaxaca, au Mexique. Mais si elle pouvait prendre quelques jours de vacances aux frais de la princesse, elle partirait se blottir chez Fäviken Magasinet, restaurant du chef Magnus Nilsson près de la station de ski d'Are, dans le nord de la Suède, où on ne sert que des produits régionaux, même quand l'hiver fait tomber le mercure à -30 degrés et que plus un légume frais ne se profile à l'horizon, à part ceux conservés par Magnus, avec ses techniques inspirés des Vikings. « J'irais l'hiver, pour pouvoir faire du ski avant d'aller manger. Son restaurant est si irréel. Loin de tout, de 12 à 16 couverts maximum, on doit y passer la nuit. Incroyable que ce soit devenu une destination en soi. Je resterais pour quelques jours si je pouvais. » Autre nom sur la liste de Michelle : Blanca, à Brooklyn, nouveau petit frère du restaurant Roberta's, où il n'y a qu'un menu dégustation.

216, Fäviken, Järpen, Suède

favikenmagasinet.se

Photo Édouard Plante-Fréchette, La Presse

Michelle Marek

8. Normand Laprise, Toqué! (Montréal) :

Dranouter, Belgique

> In Dewulf

Si Normand Laprise pouvait partir demain matin en avion, ce n'est pas un, mais plusieurs arrêts qu'il ferait en chemin. D'abord, une petite escale en Espagne, pour saluer son ami le chef Xavier Pellicer au Can Fabes, en Catalogne, qui est venu cuisiner chez lui il y a plusieurs années et qui a repris cette vénérable institution du grand chef Santi Santamaria, mort subitement l'an dernier. Ensuite, il irait à Sydney, en Australie, chez Tetsuya, restaurant du chef Tetsuya Wakuda, qui a déjà cuisiné au Toqué! au moment du festival Montréal en lumière, il y a 10 ans. Et puis, nouveau rêve, « tout le monde [lui] en parle sans arrêt », il irait dans le sud de la Belgique, à Dranouter, juste de l'autre côté de la frontière française, chez In de Wulf, à la table de Kobe Desramault, un jeune chef innovateur qui réinvente son terroir du Nord avec poésie, originalité, profondeur.

1, rue Wulvestraat, Dranouter, Belgique

indewulf.be

Photo Martin Chamberland, La Presse

Normand Laprise veut miser sur les pratiques plutôt que sur le volume.

9. David McMillan et Fred Morin, restaurant Joe Beef (Montréal) :

Paris

> Bouillon Chartier

David McMillan explique que c'est un lieu on ne peut plus classique, populaire, pas branché du tout, ce qui lui plaît. Un établissement où on a l'impression que rien n'a changé depuis le début du siècle dernier. «On irait pour la langoustine mayonnaise. Un scénario idéal serait de manger plein de légumes - carottes, betteraves, céleri-rave, cornichons, chou-fleur... Aussi, on prendrait du lapin à la moutarde.»

7, rue du Faubourg-Montmartre, Paris

bouillon-chartier.com

Photo La Presse Canadienne

David McMillan et Fred Morin.

10. Yannick Alléno, hôtel Meurice (Paris) :

Shanghai

> Ultraviolet

C'est à Shanghai, en Chine, qu'irait le célèbre chef français, triple étoilé, qui pilote non seulement les cuisines du Meurice à Paris mais aussi les tables de l'hôtel Cheval Blanc, à Courchevel, et du Royal Monsour, à Marrakech. «J'ai beaucoup entendu parler du restaurant de Paul Pairet, Ultraviolet, à Shanghai, et je suis curieux de m'y rendre. Le concept me plaît beaucoup, j'aime sa créativité et je suis curieux de tenter l'expérience. Le fait d'utiliser tous ses sens à ce point au cours d'un dîner me parle et l'expérience gastronomique doit être passionnante et originale.»

18, Zhongshan Dong Yi Lu, Shanghai, Chine

www.uvbypp.cc

Photo AFP

Yannick Alléno

11. Virgilio Martinez, Central (Lima, Pérou) :

Singapour

> Shinji Bykanesaka

Le jeune chef qui s'est fait connaître en pilotant les cuisines du restaurant Astrid y Gaston à Lima, l'un des 50 meilleurs restaurants du monde, dirige maintenant sa propre table, le Central, aussi dans la capitale péruvienne, ainsi qu'un restaurant à Londres, appelé Lima. Son rêve: partir à Singapour goûter à la cuisine de Shinji by Kanesaka, ce « fantastique Japonais » qui travaille avec des produits « incroyables ». Intérieur rigoureusement japonais, service impeccable, sushis qu'on croirait à la fois faits avec la précision d'un laser et le charme d'un poète.

Raffles Hotel, 1, Beach Rd, Singapour





Photo: Supayfotos/APEGA

Virgilio Martinez