Après 15 ans à parcourir les mers sur le voilier Sedna, Jean Lemire est rentré au port. Le cinéaste et biologiste a accumulé les photographies spectaculaires au fil des années, mais il a aussi vu sa confiance quant à l'avenir de la planète se lézarder, jusqu'à ébranler le fondement même de ses convictions environnementales.

Les réflexions de Jean Lemire sont au coeur de son plus récent ouvrage, L'Odyssée des illusions, publié aux éditions La Presse. Il revisite pour l'occasion ses grandes expéditions, depuis l'Arctique jusqu'à l'Antarctique en passant par son tour du globe (1000 jours pour la planète), achevé en octobre dernier. Les quelque 150 photos sont à couper le souffle, fidèles à la beauté sauvage des coins explorés par l'équipage.

Mais plus qu'un journal de voyage pour faire rêver sur papier glacé, ce livre - le plus personnel qu'il n'ait jamais écrit, selon lui - témoigne des doutes, des questionnements et des douloureux constats du biologiste.

«J'ai estimé avoir un devoir de vérité. Parcourir le monde m'a permis d'avoir une vision globale de la situation et de constater que les défis à relever sont importants. Nous avons atteint un point de non-retour; il faut un coup de barre rapide.»

S'il ne veut pas parler de livre bilan - «Ma vie n'est pas finie» -, il admet que l'avenir, le sien comme celui de la Terre, ne pourra pas s'inspirer du passé. Car la naïveté des débuts a disparu. «Au commencement, on croyait qu'on allait changer le monde, qu'on pourrait apporter certaines solutions. Mais les désillusions ont commencé à s'infiltrer.»

Et avec elles, la peur. Notamment, celle que la machine climatique s'emballe avec la disparition des miroirs refroidisseurs que sont l'Arctique et l'Antarctique. «En 2002, nous avons fait une traversée épique du passage du Nord-Ouest entre les glaces de l'Arctique. Nous sommes retournés au même endroit, à la même période, 13 ans plus tard. Il n'y avait plus de glaces, plus de banquise, plus rien.» Autre sujet d'inquiétude pour le biologiste: le blanchiment des coraux et la santé générale des océans. « Un milliard d'humains dépendent du poisson pour survivre», rappelle-t-il.

Réconcilier l'écologie et l'économie

Aujourd'hui, il estime que le sort de la planète ne doit plus rester l'affaire des écologistes seuls. «J'en suis arrivé à la conclusion qu'il faut réconcilier les deux "écos", l'écologie et l'économie. Aucune solution n'est possible sans plus de justice sociale. Les parents dont la priorité est de s'assurer que leurs enfants vont manger pendant la journée ne peuvent pas avoir la même conscience environnementale. Les acteurs du monde financier doivent se mobiliser.» C'est pour cette raison qu'il a demandé à l'homme d'affaires Alexandre Taillefer de signer la préface du livre.

Il souhaite aussi une plus grande implication des décideurs. «L'environnement, ce n'est pas juste un titre qu'on ajoute à une fonction ministérielle. Il faut des gestes. C'est bien beau d'être populaire, de prendre des selfies et de déclarer que le Canada est de retour, mais quand on voit que le gouvernement Trudeau s'apprête à approuver le projet de pipeline, je m'interroge. On en est encore là? Les petites mesures, les petits gestes ne suffisent plus. Est-ce qu'on va finir par faire ce qu'il faut pour empêcher le pire de se produire ? Parfois, j'ai peur que non.»

Jean Lemire se défend toutefois d'avoir écrit un livre déprimant, et encore moins fataliste. «La montagne est haute, c'est vrai, mais il faut la gravir. Sinon, que lèguerons-nous aux générations futures?»

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L'odyssée des illusions, de Jean Lemire. Éditions La Presse. 215 pages. 39,95 $.