Populaire depuis longtemps en Europe, le ski de haute route, qui consiste à grimper sur des peaux de phoque vers des sommets peu fréquentés pour en redescendre dans la poudreuse et les sous-bois, a longtemps été pratiqué ici seulement par une poignée de passionnés. Mais cette activité se répand désormais à la vitesse grand V au Québec. Aperçu et conseils.

Des passionnés en plus grand nombre

Quand Jacques Bouffard arrivait dans une station avec ses petits skis chaussés de (vraies) peaux de phoque, il y a un peu plus de 30 ans, on le regardait comme s'il était un extraterrestre. Un contraste frappant avec ce qu'on observe aujourd'hui, alors que le ski touring, ou ski de haute route, n'est plus l'affaire de quelques coureurs des bois spécialistes de la survie en montagne par 40 degrés au-dessous de zéro. Ceux qui veulent s'offrir les premières traces au lendemain d'une bordée de neige ou brûler quelques calories supplémentaires sur les pentes sont chaque année plus nombreux.

Qu'est-ce que le ski de haute route?

Le sport tel qu'on le connaît est né dans les Alpes, où la réussite par quelques aventuriers de la haute route Chamonix-Zermatt, au début du XXe siècle, a créé le mythe. Imaginez: 100 km sur des sommets et des crêtes acérés, avec l'équipement de l'époque... Aujourd'hui, on parle de ski de randonnée ou de touring alpin. Il se pratique avec un équipement différent de celui du ski alpin classique. La principale particularité, ce sont ces peaux d'ascension que l'on colle sous les skis pour grimper. Leur poil court et dru permet d'avancer en glissant, mais empêche les skis de reculer. Autrefois, on utilisait de vraies peaux de phoque (voir l'onglet suivant sur l'équipement).

Les débuts, chez nous

Jacques Bouffard, guide à l'Auberge de montagne des Chic-Chocs en Gaspésie, fait partie de la première vague de Québécois à avoir adopté cette nouvelle discipline dans les années 70. «J'étais ami avec un Français qui enseignait au cégep de Matane, et il m'a fait découvrir la peau de phoque, la vraie! On a vu qu'on pouvait se déplacer en montagne de façon surprenante, raconte-t-il. On a fait la traversée des Chic-Chocs avec des skis de bois, des bottes en cuir, et on faisait du camping d'hiver. On était parmi les premiers à faire ça. Le but était d'aller dans les montagnes. Après la raquette, le meilleur moyen, c'était ces skis-là. On s'est rendu compte qu'il y avait de belles façades à descendre. On a appris le télémark, qui nous permettait de profiter des descentes. [...] C'était la belle époque, il n'y avait pas beaucoup de traces dans les montagnes», se remémore-t-il.

Les débuts, en station de ski

Pour parfaire son art, il a apporté ses skis et ses peaux en station de ski. «On attirait beaucoup l'attention! On pouvait monter sans payer le billet de ski. On arrivait les premiers le matin, et on avait accès à des pentes vierges, raconte M. Bouffard. On était vraiment des marginaux. Les jeunes ont commencé à nous poser des questions. C'était en même temps que la mode de la planche à neige. Les skieurs voyaient arriver deux mouvements. Il y avait un début de révolution», analyse celui dont le sport l'a mené jusqu'au mont Gasherbrum, dans l'Himalaya.

Un pionnier 

L'homme a l'air d'une sorte de machine invincible. Bâtons de ski sous le bras, une pomme dans une main, un walkie-talkie dans l'autre, il fend une trace fraîche dans 40 cm de poudreuse en grimpant la face abrupte d'une montagne de la chaîne Selkirk, en Colombie-Britannique. Pendant qu'il discute affaires avec une employée restée en ville, à plusieurs dizaines de kilomètres, ses clients le suivent difficilement même s'il leur a tracé la voie. Ruedi Beglinger, un guide suisse, s'est installé à Revelstoke dans les années 80 pour y développer le ski de haute route. Son entreprise, Selkirk Mountain Experience, a le droit exclusif d'utilisation sur 20 montagnes et 14 glaciers. Jamais plus de 20 clients se partagent ce terrain de jeu. «J'ai été surpris en arrivant ici de voir que ce n'était pas populaire. Les montagnes sont meilleures qu'en Europe, où c'était pourtant couru. À mes débuts ici, les clients étaient surtout des skieurs de fond qui voulaient aller sur de grosses montagnes. Mais ce n'étaient pas les meilleurs skieurs alpins», raconte le guide.

À qui cela s'adresse-t-il?

«Quand je suis arrivé au Canada, le vélo de montagne devenait populaire. En vélo de montagne, si tu veux du fun, il faut grimper. Alors je disais aux gens: "Si tu fais du vélo de montagne et que tu aimes le ski, essaie le ski de haute route! Tu vas aimer"», raconte Ruedi Beglinger. «Beaucoup des nouveaux adeptes sont des gens qui skient en centre alpin et qui veulent aller chercher le petit côté cardio supplémentaire. Ce sont souvent des cyclistes l'été», observe Quentin Leroy, de la boutique La Cordée. C'est le cas de Marie-Pierre Podtetenev, qui a eu la piqûre l'hiver dernier. «Après avoir arrêté la compétition de ski, je manquais de challenge sur les pistes. Après quatre ou cinq descentes, je m'ennuyais. Puis j'ai découvert le touring, qui est une combinaison entre la randonnée et le ski. Ça demande de l'effort, c'est cardio. Après la montée, tu as une belle balade en descendant, sur piste ou hors piste», raconte celle qui attend fébrilement d'essayer son premier équipement, cet hiver.

Pourquoi travailler si fort quand il y a le télésiège? 

«Le plus grand trip : tu es à 6 h le matin à la montagne un jour de poudreuse. Tu montes avant l'ouverture des télésièges, tu fais une ou deux descentes, et tu vas travailler après. À Sutton, il y en a plusieurs qui font ça. Le pharmacien, le propriétaire du café du village», raconte Denis Bouvier, l'un des premiers adeptes de ce sport dans la station estrienne. «Le bonheur de la montée, la paix, l'exercice, la nature dans le grand silence blanc. La poudreuse. Je suis un maniaque de poudreuse. L'intérêt, c'est d'aller là où tu n'irais pas avec ton équipement standard», poursuit-il. «Je me souviens être montée avant le lever du soleil l'an dernier après une tempête. On a pu faire deux belles descentes dans la poudreuse avant l'ouverture de la montagne. C'est la liberté!», décrit Marie-Pierre Podtetenev.

La folie

Le touring alpin était autrefois pratiqué en terrain sauvage, mais les stations de ski sont de plus en plus nombreuses à créer des sentiers pour profiter de la manne (voir onglet suivant). «Il y a une hausse de 25 % du nombre d'adeptes du touring alpin depuis quelques années, ce qui se compare à une hausse de 4 % du nombre de skieurs en général, alors que le snowboard baisse un peu. C'est une grosse augmentation. L'énergie de l'industrie est là-dedans présentement», explique Patrick Desjardins. «L'engouement, on le sent définitivement. Il y a quatre ans, il y avait très, très peu de joueurs là-dedans. Le Yéti [maintenant La Cordée] était le seul spécialiste. Maintenant, on le voit, on n'est plus les seuls, Sports Experts et d'autres magasins non spécialisés tiennent de l'équipement, parce que c'est la mode. Le ski s'en va là», ajoute Quentin Leroy. Nostalgique, Jacques Bouffard apporte un petit bémol à cette popularité. «C'est intéressant d'en faire là où il n'y a pas beaucoup de traces. Mais plus c'est populaire, plus il y a des traces!»

Photo fournie par Jacques Bouffard

Le groupe de Jacques Bouffard lors de la première traversée des Chic-Chocs en 1974.

Avant de se lancer...

Comment s'y initier? Comment s'équiper? Où aller en faire? Comment skier en toute sécurité quand on sort des pistes balisées? Avant de flamber des milliers de dollars ou de rouler des heures pour aller skier à un endroit qui n'est pas fait pour vous, voici quelques informations qui pourraient vous être utiles.

Combien ça coûte?

«Pour un kit complet, neuf, il faut compter environ 2000 $», explique Quentin Leroy, à La Cordée. Patrick Desjardins, propriétaire de la boutique GS à Sutton, est plus nuancé. «Si un skieur veut commencer modestement, garder sa botte régulière, avec un ski de base, une fixation hybride et les peaux, ça peut se faire à 1000 $», dit-il.

Peut-on louer l'équipement?

«La location est idéale pour tâter le terrain et voir si on aime ça», dit M.  Desjardins. «On peut louer dans quelques boutiques proches des stations. À Montréal, c'est possible, mais nous sommes assez peu nombreux à louer», ajoute son vis-à-vis chez La Cordée.

Conseil du vétéran

Denis Bouvier, adepte de ski de haute route, y va d'un truc de vieux pro pour le débutant qui s'initie, mais qui ne veut pas débourser 2000 $ tout de suite. «Tu achètes une paire de fixations hybrides, comme des Diamir, qui ne t'obligent pas à acheter une botte spéciale. Tu l'installes sur une vieille paire de skis qui traîne dans ton garde-robe. C'est plus pesant, mais tu vas pouvoir essayer pour 400 $. Après ça, si tu aimes, tu t'équipes mieux», suggère-t-il.

Le poids, nerf de la guerre

«Quelqu'un qui envisage de faire du touring alpin plus de cinq ou sept fois par année doit considérer de payer pour l'équipement le plus léger. En mode hybride, l'équipement peut peser entre 15 et 17 lb», observe Patrick Desjardins. Juste en passant de fixations hybrides à «tech», on peut réduire ce poids de presque la moitié. «Tu ne seras pas forcément plus en forme parce que tu traînes du matériel plus lourd. C'est ton corps qui va être plus taxé», ajoute-t-il.

Pas pour les enfants

Le ski de haute route n'est pas encore très accessible aux enfants. «Le plus jeune skieur que j'ai vu en touring alpin avait 12 ans. Il n'y a pas vraiment de matériel junior. Dès qu'un jeune est en âge de chausser les plus petites tailles disponibles pour adulte, il peut s'y mettre, s'il en a la force», dit Ruedi Beglinger.

Sécurité

On croit à tort que nos petites montagnes québécoises ne présentent pas de danger d'avalanche. C'est vrai autour de la plupart des stations de ski. Mais si le virus du ski de haute route vous contamine, et que vous tentez votre chance dans les Chic-Chocs, en Gaspésie, attention. Des avalanches, même mortelles, y ont déjà eu lieu. Il vous faut un équipement de sécurité. Ça se loue. «Mais si on va une fois ou deux par an en Gaspésie ou dans de plus grosses montagnes, ça vaut la peine d'acheter. Le meilleur système est celui que tu connais. Louer, c'est bien, mais si tu ne l'as pas apprivoisé, dans une vraie situation de stress, tu peux avoir du mal à le faire fonctionner», explique Quentin Leroy. Le centre Avalanche Québec, en Gaspésie, offre des formations en avalanche un peu partout au Québec.

Photo Olivier Jean, Archives La Presse

Monter avant l'ouverture des télésièges pour profiter d'une poudreuse intacte, c'est l'un des grands bonheurs des adeptes de touring.

Où faire du ski de haute route au Québec?

Le ski de haute route peut se pratiquer à peu près partout: sur une montagne sauvage qui vous semble invitante, sur celles qui sont entretenues par des regroupements de skieurs, ou même dans des stations de ski qui ont aménagé un terrain pour la randonnée alpine. Voici quelques suggestions.

Massif de Charlevoix

Le secteur Ligori peut être atteint au terme d'une courte ascension à partir du sommet de la remontée. Le centre Whisjack y propose même une panoplie de forfaits de ski de haute route avec guide, une nouveauté cet hiver.

Mont-Édouard

La station du Saguenay a développé des secteurs consacrés au ski de haute route autour de la station, avec possibilité de coucher en refuge et d'être accompagné par un guide.

Massif du Sud

L'une des stations les plus élevées et enneigées du Québec a ouvert son arrière-pays. Le territoire 915 promet des mètres de dénivelé, de la neige, et bien de la fatigue à la tombée du jour. 

La Réserve 

La station de Lanaudière a partiellement déboisé le versant nature à l'opposé du versant principal, skiable du sommet du télésiège, mais qui force les skieurs à remonter par leurs propres moyens.

Mont Sutton

La station a aménagé des sentiers d'ascension, mais les descentes se font sur les pistes ordinaires. «Mais il y a beaucoup de petits endroits secrets, beaucoup de possibilités sur les montagnes autour de la station», note Patrick Desjardins.

Chic-Chocs

Que ce soit à l'Auberge de montagne, dans le secteur des mines Madeleine ou sur le nouveau sommet prometteur qu'est le mont Lyall, un ancien volcan, les Chic-Chocs demeurent La Mecque du ski de haute route, et à peu près la seule expérience de ski sauvage au-delà de la limite des arbres dans le sud du Québec. Il faut les aborder avec prudence, et en groupe. Ce n'est pas une destination pour débutants. Plusieurs randonnées guidées sont offertes.

Vallée Taconique

Aussi en Gaspésie, la Vallée Taconique offre du ski de haute route ou encore, avec remontée en motoneige pour ceux qui n'ont pas le courage d'attaquer les hautes montagnes de l'arrière-pays de Mont-Saint-Pierre.

Mont Hereford

Haut de 864 m, il se dresse près de la frontière avec les États-Unis, à l'est de Coaticook. Il est géré et entretenu par le groupe Circuits Frontières, et l'accès au site coûte 22 $ par jour, ou 82 $ pour la saison. «C'est LA place en développement en ce moment. J'ai l'impression que c'est une des places proches de Montréal qui ressemblent le plus à la Gaspésie», dit Quentin Leroy. Voilà qui promet.

Vallée Bras-du-Nord

Situé près de Saint-Raymond-de-Portneuf, l'endroit offre des journées de ski de haute route guidé avec possibilité d'hébergement sur place. Denis Bouvier recommande la destination pour les skieurs qui en sont à leurs premières armes hors des stations de ski.

Mont Alta

La petite station de Val-David, fermée il y a quelques années, a été remise en marche par un groupe de passionnés qui ont décidé de la vouer exclusivement au touring alpin. Notez que seuls les abonnés saisonniers peuvent y skier. Coût de l'abonnement saisonnier: 50 $.

Photo Olivier Jean, Archives La Presse

Au mont Sutton, des sentiers d'ascension ont été aménagés, mais les descentes se font sur les pistes ordinaires.