La bière s'impose en Argentine comme un outil de propagande politique pour séduire les jeunes: la blonde Evita défend les couleurs du Péronisme, au pouvoir, face à la brune «Hipolita», égérie de l'Union civique radicale (UCR), le principal parti d'opposition.

Députés et sénateurs sont à couteaux tirés dans l'arène politique, la rivalité est historique. Depuis un siècle, le pays est dirigé en alternance par les péronistes (du nom de l'ex-président Juan Peron, mari d'Evita) ou les radicaux de l'UCR, sauf quand les militaires ont confisqué le pouvoir.

Dans le quartier à la mode de Palermo, le bar «Peron-Peron» a dressé une sorte d'autel débordant de photos, de fleurs, de cierges allumés et de souvenirs en tous genres à l'effigie d'Evita Peron, adorée des Argentins et incarnée au cinéma par la chanteuse américaine Madonna.

Au bar, une bière artisanale nommée Evita mousse dans les chopes. Dans sa version embouteillée, le visage de l'icône d'un pays s'affiche sur l'étiquette. Le barman sert aussi des «17», une brune rappelant la manifestation massive d'ouvriers du 17 octobre 1945, dans les rues de Buenos Aires, pour réclamer la libération du colonel Juan Peron, emprisonné car il faisait de l'ombre au pouvoir militaire en place. Peron gouvernera l'Argentine de 1946 à 1955, puis de 1973 à 1974.

Les Montoneros, la guérilla péroniste des années 1970, ont aussi un élixir à leur couleur, «la bière rouge (rousse)».

La «double K» apporte une touche plus contemporaine, référence au patronyme des deux derniers présidents: Nestor Kirchner, président de 2003 à 2007, et son épouse Cristina Kirchner, au pouvoir depuis 2007. En revanche, pas de mention pour le péroniste de droite Carlos Menem (1989-1999) qui a précipité l'Argentine dans une grave crise économique au début des années 2000. Les bières péronistes, de saveurs diverses, sont à l'image d'un parti rassemblant des tendances allant du centre-gauche à la droite ultra-libérale.

La gamme de bières péronistes se vend également au siège de l'organisation des mères de la place de Mai, dans quelques points de vente et sur internet.

Le patron du bar «Peron Peron», Daniel Narezo, se présente comme un opposant au capitalisme sauvage et veut faire de son établissement un lieu de débat «comme les brasseries de Paris du siècle dernier où se réunissaient artistes, politiciens, philosophes ou intellectuels».

D'ailleurs, il a placé sur son bar la bière artisanale concoctée par la deuxième force politique au Congrès: «Hipolita», référence à Hipolito Yrigoyen, le premier président élu au suffrage universel en 1916, issu de l'Union civique radicale.

En perte de vitesse depuis 10 ans et la fuite en hélicoptère du palais présidentiel du dernier président radical Fernando De la Rua (2000-2001) quand éclate la crise économique, l'UCR social-démocrate a opté pour la bière afin de redorer son blason.

Dans l'arrière-cuisine d'un local de l'UCR du quartier populaire de Caballito, Leandro Villani, un étudiant de 29 ans, s'est reconverti en brasseur artisanal. Il reconnaît que la création voici un an de la bière «Hipolita», brune mais aussi ambrée ou blonde, est une stratégie pour rallier des jeunes à la cause de l'UCR, le parti de Raul Alfonsin, président de 1983 à 1989, au sortir de la dictature militaire.

«C'est difficile d'attirer des jeunes au sein du parti après ce qui s'est passé en 2001, confie le jeune militant radical. Alors nous leur disons "Venez boire une bière"».