En abîmant d'un graffiti un célèbre monument de l'Égypte ancienne, un adolescent chinois a relancé un vif débat en Chine sur les mauvaises manières des jeunes nouveaux riches et des touristes à l'étranger.

La photo de l'inscription laissée à Louxor par le «vandale» de 15 ans a été republiée près de 100 000 fois sur l'internet et plusieurs journaux d'État évoquaient cette polémique en première page lundi.

Lors d'un voyage en Égypte -- un luxe que peuvent seulement s'offrir les Chinois aisés -- le garçon a dégradé un temple de l'ancienne cité pharaonique, en y écrivant «Ding Jinhao a visité cet endroit».

Le graffiti a été commis sur le ventre d'un bas-relief représentant le dieu Amon, dans le «Saint des saints» du temple d'Amenhotep III, sanctuaire restauré et décoré par Alexandre le Grand.

Le cliché du sacrilège a été mis en ligne par un autre touriste chinois qui a confié sa «honte» et sa «tristesse».

Cela a déclenché une traque menée par les internautes -- une pratique controversée mais pas rare en Chine -- pour retrouver la famille de l'adolescent.

Identifiés, les parents de l'enfant, un couple aisé de Nankin, ont présenté dimanche des excuses dans un quotidien de cette ville de l'est de la Chine.

L'affaire est devenue l'une des plus commentées sur les réseaux sociaux, même si de nombreuses personnes regrettaient la stigmatisation du jeune Ding.

Ce dernier a «fait perdre la face à la nation chinoise», a dénoncé un internaute, sous le pseudonyme de VVliangjiazu-xianer.

«L'attitude de Ding Jinhao ruine la réputation de la Chine, il mérite toutes les critiques», a écrit un autre, Yichuangeyaonixi.

Pour Renaud de Spens, sinologue et expert de l'Égypte, cette controverse illustre le «regard des Chinois sur eux-mêmes».

«C'est un Chinois qui a dénoncé (l'adolescent). C'est intéressant. C'est un symbole du fu er dai», a-t-il souligné en utilisant l'expression par laquelle sont désignés en Chine les nouveaux riches de deuxième génération, réputés pour leur arrogance et leur impolitesse.

Ce geste donne selon lui «une occasion pour les Chinois de dénoncer le comportement de leurs élites». La nomenklatura du régime communiste est accusée de bénéficier d'une vie dorée et de nombreux privilèges.

Certains ont rapproché cette affaire du cas du fils d'un général de l'armée qui avait agressé un couple, alors qu'il roulait à Pékin dans un coupé BMW à l'âge de 15 ans. Ou bien encore celui du fils d'un haut responsable policier qui, en état d'ébriété, avait écrasé deux étudiantes en 2010.

«On est en plein paradoxe: parmi les Chinois qui ont la chance d'aller à l'étranger, il y a ceux qui ne sont pas touchés par l'ouverture d'esprit que devrait provoquer le voyage, ils sont là pour consommer et marquer leur place, et il y a ceux qui vont à l'étranger pour découvrir, avec une attitude plus sensible», a ajouté M. de Spens.

Selon lui, dans leurs réactions «les Chinois insistent tous sur le fait que ce site a 3500 ans d'existence, alors qu'eux-mêmes sont abreuvés depuis l'enfance par un discours officiel insistant sur les 5000 ans d'histoire de la culture chinoise, mais qu'aucun site chinois de cette ampleur et de cette époque n'a pu survivre jusqu'à aujourd'hui».

Et, a-t-il poursuivi, «c'est récupéré par la propagande, avec le message: attention les Chinois, quand vous êtes à l'étranger vous représentez la Chine. Soyez loyaux!»

Les Chinois ont été 83 millions à partir en vacances l'an dernier à l'étranger, mais ils s'y voient parfois reprocher des comportements bruyants ou indisciplinés.

Mi-mai, un vice-Premier ministre chinois, Wang Yang, avait vilipendé les actes de certains touristes de son pays tels que «parler trop fort dans des lieux publics, traverser hors des clous, cracher, ou graver des caractères chinois dans des sites touristiques».