Les frontières rouvrent, les restrictions tombent et les avions sont pleins… pourtant, des voyageurs qui rongent leur frein depuis deux ans ont du mal à repartir à l’étranger. La fatigue pandémique et des capacités d’adaptation épuisées pourraient expliquer ces hésitations. Ce qui ne veut pas dire que ce soit une bonne idée de rester cloîtré à la maison…

Voyageur aguerri, capable d’aller retrouver des amis en Europe ou de partir à la découverte d’un nouveau pays à une semaine ou deux d’avis, Alexandre Lépine a l’impression d’avoir perdu ses bons réflexes prépandémiques. « C’est comme si le rouage était brisé. Pour le moment, c’est fini, les départs spontanés. »

Même si les voyages à l’étranger ne sont plus déconseillés par les gouvernements, la logistique reste assez complexe, observe-t-il : « J’ai comme une anxiété nouvelle qui m’est tombée dessus… C’est devenu colossal d’essayer de connaître toutes les règles de tous les pays. »

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Alexandre Lépine, voyageur

Mais il y a plus : après de longs mois de pandémie, les aléas ordinaires de l’organisation d’un voyage — les réservations, les déplacements, etc. — se sont transformés pour lui « en petites montagnes ». « Devant tous ces murs, là où je me sentais très à l’aise avant, mon épuisement est venu beaucoup plus facilement. »

J’ai abandonné des projets de voyage parce que la quantité de stress que j’envisageais était trop grande par rapport au peu d’énergie que j’avais…

Alexandre Lépine, voyageur

Un phénomène tout à fait normal, estime la Dre Christine Grou, présidente de l’Ordre des psychologues du Québec, qui évoque la fameuse « fatigue pandémique ». À force de faire sans cesse face à de nouvelles réalités, « la grande majorité des gens a des réserves adaptatives épuisées ». En gros : l’élastique a été trop étiré. « Depuis le début de la pandémie, précise-t-elle, le cerveau est en hypervigilance, c’est-à-dire très réactif. Après deux ans, il est donc très fatigué. »

Y aller mollo

Alors, tant pis pour une virée dans un autre pays ? Surtout pas, répond la psychologue. « La seule chose qu’il ne faut pas faire, c’est de rester enfermé chez soi. »

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La Dre Christine Grou, présidente de l’Ordre des psychologues du Québec

L’évitement entretient la peur. Donc, plus on va recommencer à voyager, moins on va avoir peur longtemps.

La Dre Christine Grou, présidente de l’Ordre des psychologues du Québec

La clé, en cas d’hésitation, c’est d’y aller tout doucement. « Vaut mieux commencer par de petits déplacements et là où on a du contrôle, suggère-t-elle. Voyager en auto, c’est moins stressant qu’en avion. On est capables de revenir chez nous par nous-mêmes si ça devient trop stressant. » Et pas besoin de dépistages pour traverser la frontière américaine ni pour rentrer à la maison... par la route.

Après plus de deux ans à la maison, ou tout près, certains voyageurs disposent pourtant d’un budget considérable à l’approche d’un troisième été pandémique. Au point d’envisager, par exemple, de faire au cours de l’été le safari en Afrique auquel ils rêvent depuis toujours. Ce serait une trop grosse bouchée pour un premier voyage postpandémique, croit la Dre Grou. « Le voyage d’une vie, ça peut être le meilleur des souvenirs, mais ça peut aussi être source de déception si on est mal préparés, dit-elle. Il faut s’assurer d’être en état de tolérer les impondérables, les choses qu’on ne contrôle pas… »

Pour Stéphanie Bordeleau, par exemple, gérer les inconnus en voyage, ça semble désormais possible… mais pas avec les enfants. La possibilité d’avoir à faire face à des changements de vol ou d’hébergement, voire de tomber malade à l’étranger en leur compagnie, c’est trop de stress. « Si je partais seulement en couple, ça m’irait, témoigne la mère de deux enfants d’âge scolaire. Mais avec mes enfants, ça m’apparaît un casse-tête très désagréable pour le moment. »

Rodage en cours…

Les voyageurs ne sont pas les seuls qui ont besoin d’une période de rodage au moment où les déplacements reprennent. Toute l’industrie touristique est dans le même bateau.

Les transporteurs aériens, qui ont mis à pied nombre de leurs employés au cours des dernières années, peinent à répondre à une demande qui explose. En début de semaine, Sunwing a connu des ratés avec son système informatique, clouant au sol des milliers de passagers. De longues files se sont aussi formées dans les grands aéroports américains et européens à l’occasion du récent congé pascal, ont rapporté de nombreux médias, citant notamment une pénurie de main-d’œuvre.

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Des passagers de Sunwing ont dû attendre de longues heures avant de s’envoler plus tôt cette semaine, à cause d’un problème informatique.

Le 15 avril, Air Canada a transporté plus de 100 000 passagers en une seule journée pour la première fois depuis le 13 mars 2020. Et le volume continue de croître, a fait savoir la compagnie, qui redouble d’« efforts en matière de recrutement et de formation », afin « de rendre opérationnelle la demande commerciale aussi rapidement qu’elle se concrétise », écrit Pascale Déry, directrice, relations avec les médias, chez Air Canada.

Air Transat estime aussi être en mesure de répondre à la forte demande qui se dessine pour l’été. « Nous avons procédé à plusieurs embauches au cours des derniers mois pour améliorer le traitement des demandes à notre Centre contact client », précise par courriel le porte-parole, Pierre Tessier.

Alexandre Lépine travaille dans un hôtel montréalais, où les visiteurs reviennent tranquillement. « On est rouillés, nous aussi ! », observe-t-il. Mais la reprise est bienvenue. Et peu à peu, tout le monde finira bien par sortir de sa torpeur. D’ailleurs, après avoir l’avoir reporté au moins deux fois, Alexandre pense bien faire un voyage en Europe à la fin de mai, si le virus ne vient pas gâcher ses plans.

Le prix des voitures de location a triplé, celui des hébergements a grimpé aussi, il ne sait pas encore s’il pourra voir tous ses amis, du Portugal à la Suisse, mais l’amour du voyage semble enfin prendre le dessus sur l’inquiétude. « Le stress de tout planifier est encore là, dit-il, et je vais devoir voyager autrement, mais là, j’ai super hâte ! »

En savoir plus
  • 187 000
    Le 16 août 2019, Air Canada a connu sa journée record en matière de passagers transportés. Cette année-là en moyenne, le transporteur a accueilli 150 000 voyageurs quotidiens.
    2175
    En plein confinement de la première vague de la pandémie de COVID-19, Air Canada n’a transporté que 2175 passagers le 23 avril 2020.
    Air Canada