Même avant la pandémie, c’était de plus en plus rare : ouvrir la boîte aux lettres et y découvrir une belle carte postale envoyée par un proche en voyage à l’autre bout du monde. Quelques mots, une anecdote, des impressions. Une signature, trois petits x signifiant autant de baisers.

La carte, surtout si elle faisait rêver, se retrouvait sur le frigo, fixée avec un petit aimant.

Avec l’avènement des réseaux sociaux, les plus jeunes ont délaissé la carte postale pour documenter leur voyage pratiquement en direct, sur Facebook ou sur Instagram. Pas de cartes postales à acheter, pas de timbres à dénicher. « La nouvelle génération, qui a grandi avec l’internet et le cellulaire, a complètement abandonné ce médium de communication », affirme Claude Lavergne, président de Créations Manitou, le plus important éditeur de cartes postales au Québec et dans l’Est ontarien.

« Depuis 2000, on parle d’une diminution des ventes de 60 % à 70 % dans le monde », soutient M. Lavergne.

À l’époque, Créations Manitou devait visiter toutes les semaines les boutiques de souvenirs du Vieux-Montréal pour remplir les présentoirs. « On n’y va plus qu’une fois par mois. »

Nouvelle vocation

PHOTO YAN DOUBLET, LE SOLEIL

Une partie de la collection d’Yves Beauregard

M. Lavergne prend soin de préciser que cette baisse a eu lieu avant même la pandémie. Le confinement a évidemment empiré les choses parce que les touristes étrangers ont dû rester à la maison. Ce sont eux qui achètent les cartes postales, et non pas les touristes de la région d’à côté. « Plus les gens viennent de loin, plus ils achètent des cartes », déclare-t-il.

Malgré tout, la carte postale ne disparaîtra pas. Elle poursuivra simplement sa transformation. Ainsi, bien des gens n’achètent pas de cartes pour les envoyer par la poste, mais bien pour les conserver. « Si vous allez au rocher Percé par une journée de pluie et de brume et que vous êtes incapable de le voir, vous allez acheter une carte comme photo », soutient M. Lavergne.

PHOTO TIRÉE DE LA COLLECTION DE LA BANQ (BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES NATIONALES DU QUÉBEC)

Cette carte postale, éditée en 1913, dépeint une vue de la place Jacques-Cartier en 1880.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Il se vend encore des cartes postales, mais beaucoup moins qu’avant.

PHOTO TIRÉE DE LA COLLECTION DE LA BANQ (BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES NATIONALES DU QUÉBEC)

L’hôtel Riendeau occupait auparavant un emplacement de choix sur la place Jacques-Cartier. La BAnQ estime que cette carte postale a été produite quelque part entre 1910 et 1916.

PHOTO TIRÉE DE LA COLLECTION DE LA BANQ (BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES NATIONALES DU QUÉBEC)

Cette carte postale permet de voir ce à quoi le port de Montréal ressemblait entre 1905 et 1915. On peut voir à droite une partie du marché Bonsecours.

L’entreprise continue à proposer des valeurs sûres, comme des sites touristiques, des paysages marqués par le passage des saisons et des spécimens de la faune québécoise. « Le Canada est identifié à la faune, rappelle M. Lavergne. Et ça intéresse toujours les enfants. Si un enfant se rend dans une boutique de souvenirs, ce n’est pas l’oratoire Saint-Joseph qu’il va regarder, ce sont les petits animaux. »

Il n’est pas nécessaire de renouveler sans cesse le matériel. À moins, évidemment, qu’il ne se développe un nouveau trou au rocher Percé. « Le bel orignal d’il y a 20 ans est pas mal le même, génétiquement parlant, que celui de 2022. »

En ce qui concerne les sites touristiques, pas question d’offrir des angles inusités. « Les gens aiment bien acheter ce qu’ils voient, explique Claude Lavergne. Au Parc olympique, un photographe peut bien se coucher par terre pour faire une photo architecturale montrant des angles extraordinaires dans le béton. Ça peut intéresser un étudiant en architecture, mais ce n’est pas comme ça que les gens voient le Parc olympique. »

Déjà une longue histoire

  • Yves Beauregard, grand collectionneur de cartes postales

    PHOTO YAN DOUBLET, LE SOLEIL

    Yves Beauregard, grand collectionneur de cartes postales

  • Des souvenirs d’Yves Beauregard

    PHOTO YAN DOUBLET, LE SOLEIL

    Des souvenirs d’Yves Beauregard

  • Une partie de la collection d’Yves Beauregard

    PHOTO YAN DOUBLET, LE SOLEIL

    Une partie de la collection d’Yves Beauregard

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Au Canada, l’ancêtre de la carte postale est l’« entier postal », apparu en 1871. Il s’agissait d’un simple carton préaffranchi émis par le ministère des Postes qui servait essentiellement à la correspondance d’affaires, indique l’historien Yves Beauregard, un grand collectionneur qui a participé à la fondation du Club des cartophiles québécois, en 1991.

En réaction à ce qui se passait en Europe, le Ministère a commencé à inclure des images sur ces cartes et, à partir de 1897, a permis à des entreprises d’offrir elles aussi des cartes postales.

C’était le début de l’âge d’or de la carte postale.

« C’est devenu une vraie passion chez les Canadiens comme ailleurs dans le monde », affirme M. Beauregard.

PHOTO TIRÉE DE LA COLLECTION DE LA BANQ (BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES NATIONALES DU QUÉBEC)

Cette carte postale, qui montre un belvédère du mont Royal, aurait été éditée entre 1904 et 1914.

PHOTO TIRÉE DE LA COLLECTION DE LA BANQ (BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES NATIONALES DU QUÉBEC)

Au début des années 1900, un funiculaire permettait de gravir sans effort le mont Royal.

PHOTO TIRÉE DE LA COLLECTION DE LA BANQ (BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES NATIONALES DU QUÉBEC)

L’Oratoire Saint-Joseph, autour des années 1910

On peut dire que la carte postale était une démocratisation de l’image. Ça montrait des endroits où on habitait, des activités, de grands personnages de l’époque. Les gens ont commencé à les collectionner, il y avait plein de clubs d’échanges, des publications, des magasins spécialisés.

Yves Beauregard, grand collectionneur de cartes postales

La Première Guerre mondiale a refroidi les ardeurs et il faudra attendre aux années 1950 pour voir une petite reprise. Mais celle-ci n’atteindra jamais la ferveur de l’âge d’or des années passées.

Dans les années 1960, 1970 et 1980, des stations de radio et de télévision qui organisaient des concours demandaient aux téléspectateurs d’inscrire les réponses sur une carte postale. « C’était moins compliqué que des enveloppes qu’il fallait ouvrir pour avoir les réponses, raconte M. Beauregard. Ça a fait la joie de beaucoup de collectionneurs parce que les stations revendaient les lots de cartes à des magasins à gauche et à droite. J’ai déjà trouvé sur le marché une carte postale que ma belle-sœur avait envoyée ! »

La nouvelle législation sur la protection des renseignements personnels a cependant mis fin à ce petit commerce, et les stations ont dû détruire les lots de cartes au lieu de les revendre.

La création du Club des cartophiles québécois, le seul club de langue française des Amériques, a permis de créer un nouveau marché pour les collectionneurs, avec des salons, des encans et des petites annonces dans un bulletin. « Au fil des années, on a commencé à être un club un peu studieux, à faire des recherches sur les éditeurs de cartes, à faire des répertoires », raconte Yves Beauregard.

Mais comme la philatélie, la collection de cartes postales perd de sa popularité. « C’est assez difficile de recruter de la jeunesse, reconnaît M. Beauregard. Mais il y a plein de cartes postales qui ont des personnages de bande dessinée ; ça peut faire un lien avec la sensibilité des jeunes, ça pourrait les amener. »

Le marché s’élargit avec des acteurs comme Kijiji ou Marketplace. « Ça entre un peu en compétition avec les activités du club, mais l’aspect social demeure important, affirme M. Beauregard. Le club peut servir de lien. Il y a des personnes qui se déplacent à travers le Québec pour rencontrer d’autres collectionneurs. »

« Le but d’une carte postale, c’est de voyager », dit M. Beauregard, philosophe.

Consultez la collection de cartes postales de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) Consultez la collection de cartes postales de la Société d’histoire du Plateau-Mont-Royal