Il y a les jolies photos, les rencontres fortuites et les anecdotes que l’on raconte autour d’un verre. Si les voyages nous ravitaillent en souvenirs, parfois, ils changent carrément une vie. Afin de renouer avec le plaisir de voyager, vous avez été nombreux à nous faire partager vos séjours les plus marquants. En voici cinq.

Face à la montagne

Marie-France Dion n’avait jamais fait d’études postsecondaires. Sa dyslexie et ses mauvaises notes l’avaient convaincue qu’elle n’avait pas sa place à l’école. La sienne était dans le commerce de détail, croyait-elle. « Je suis devenue gestionnaire, mais j’avais toujours l’impression qu’il me manquait quelque chose, que je tournais en rond dans ma carrière », confie-t-elle au bout du fil. Elle a bien songé à retourner sur les bancs d’école, mais à tous les coups, ses doutes la rattrapaient. Qui va payer la maison ? Serais-je à la hauteur ? À 34 ans, la montagne devant elle semblait trop haute. « J’étais découragée. La même année, mon conjoint et moi avions prévu un voyage en Écosse. La journée du départ, j’avais de la difficulté à faire mes bagages », se souvient la jeune femme.

Ils n’ont jamais été des adeptes de randonnée, mais là-bas, Marie-France ressent l’appel de la montagne. Elle ne sait pas pourquoi, mais elle l’écoute. Le couple part à la conquête du mont Ben Lawers. Six heures et demie d’ascension, des jambes endolories et la fatigue intense ne viennent pas à bout de Marie-France Dion, déterminée à se rendre au sommet. Tout là-haut, elle regarde, bouleversée, le monde des possibles sous ses pieds.

« Ce n’était pas la plus haute montagne du monde, mais elle était amplement suffisante pour me faire comprendre qu’avec beaucoup de persévérance et de détermination, on peut tout faire », souffle-t-elle.

Et de fait, à son retour de voyage, elle démissionne de son emploi et s’inscrit à l’université en gestion de ressources humaines. Étudiante à temps plein, elle termine son baccalauréat comme elle a monté cette montagne, un pas à la fois — et avec d’excellentes notes !

No hablo español

PHOTO FOURNIE PAR YVES LAURIN

Yves Laurin, à gauche, et son groupe d’amis au Machu Picchu

En 2012, Yves Laurin et un groupe d’amis décident de se remettre en forme. Huit mois de préparation plus tard, ils s’envolent pour le Pérou, où ils grimperont le Machu Picchu. L’ascension est magnifique, inoubliable. Seul bémol : la barrière de la langue. « Je me suis senti vraiment analphabète et démuni à ne pas me faire comprendre et surtout à ne rien pouvoir déchiffrer des conversations que j’aurais tellement aimé avoir avec la population », se souvient-il.

De retour ici, il se fait la promesse d’apprendre l’espagnol. Pourquoi ? « Pour le simple plaisir d’apprendre une nouvelle langue. » Yves Laurin se munit d’un arsenal linguistique : cassettes d’enseignement, CD de musique latine, films, cours du soir, et même un séjour immersif au Chili, en Argentine et en Uruguay. Malgré ses efforts, son apprentissage n’évolue pas assez vite à son goût. En 2017, il se tourne vers les réseaux sociaux pour trouver une professeure privée. Elle s’appelle Elena. Fraîchement arrivée de Colombie, les yeux rieurs. Vous imaginez peut-être la suite : après deux mois de cours particuliers, ils tombent amoureux et forment une union depuis. Yves Laurin nous le confirme, l’amour est le meilleur moyen pour apprendre une langue étrangère. Aujourd’hui, il rêve en espagnol.

L’échec du matériel

PHOTO FOURNIE PAR ÉRIC BERTRAND

Un coucher de soleil en Thaïlande

Éric Bertrand avait tout. Un emploi payant, une belle maison avec piscine creusée… Le succès dans sa définition nord-américaine. « À un moment donné, je sentais que tout ça était vide. Je manquais de repères dans le bonheur matériel que j’avais atteint », dit-il. Au début de la quarantaine, en pleine séparation, il laisse tout derrière lui et se lance dans un voyage en solitaire en Thaïlande, puis au Laos. Il avait prévu de partir un mois, il y est resté trois.

Là-bas, Éric Bertrand apprend un nouveau rythme de vie. « Dans la philosophie bouddhiste, tu évalues ta vie en fonction des bonnes actions que tu poses et non de la montagne d’argent dans ton compte en banque. »

Le seul luxe qui importe, c’est le temps. Ce dont il manquait cruellement au Québec. De retour de voyage, il a échangé sa maison pour une modeste cabane dans le bois. Dans leur cour, ses petites filles apprivoisent des salamandres et cueillent des bleuets. Au printemps, ils font du sirop d’érable. « Je ne cours plus après un succès matériel », nous confie-t-il. Et pourtant, sa vie n’a jamais été aussi riche.

La puissance de la beauté

PHOTO FOURNIE PAR SERGE GOULET

Une scène captée sur le vif à Varanasi, en Inde

Lorsqu’il a monté le mont Sinaï, en Égypte, Serge Goulet ne croyait pas voir plus beau tableau de sa vie. Pourtant, dix ans plus tard, l’impossible s’est réalisé. La montagne biblique a été surclassée. C’était en mars 2017. Serge Goulet et sa conjointe se rendent à Varanasi (Bénarès), en Inde, ville sacrée aux abords des eaux saintes du Gange. Selon la religion hindoue, mourir à Varanasi permet de se libérer du cycle des réincarnations. Ainsi, la nuit tombée, la ville s’illumine de mille bûchers funéraires, et l’air s’emplit des chants des brahmanes.

De sa petite barque, Serge Goulet assiste à la scène qu’il décrit comme « l’expérience la plus intense et bouleversante » qu’il ait jamais vécue.

À l’aube, des femmes drapées de saris flamboyants se baignent dans le Gange, s’imprégnant de son pouvoir purificateur. « Le soleil venait tout juste de sortir de l’horizon et les éclairait. Dans un tout aussi petit espace, de voir autant de couleurs, j’étais ébloui. Je n’ai jamais rien vu de semblable », décrit le voyageur. Des années plus tard, il se dit toujours aussi chamboulé par la beauté du moment, qui n’a jamais été détrôné. « Oh non ! Je ne pense pas que je vais vivre quelque chose de plus exceptionnel. Ça me semble totalement impossible et improbable. »

La grande aventure

PHOTO FOURNIE PAR DOMINIQUE BORDELEAU

Dominique Bordeleau à bord de L’Aventura

En 1993, la curiosité de Dominique Bordeleau est piquée par une annonce dans La Presse. Homme cherche compagne pour faire du voilier dans les Antilles. Tiens, elle qui adore être sur l’eau… « Il ne me restait qu’une session à mon baccalauréat et je pensais à mon avenir. J’étais prête pour l’aventure. J’étais prête à rencontrer quelqu’un », résume-t-elle. Sans plus y réfléchir, la jeune femme saute dans un avion pour rejoindre « Denis » sur L’Aventura, petit ketch de 46 pieds. Dépourvue d’expérience en navigation, elle s’occupe du ménage, du social et des fourneaux. Parce que L’Aventura n’était pas qu’un voilier de plaisance, il accueillait aussi des touristes, qui passaient quelques jours à bord pour profiter de la mer émeraude des Caraïbes.

« Je ne cuisinais pas beaucoup. J’avais fait des photocopies de recettes avant de partir et je les avais apportées sur le bateau. À ma grande surprise, les clients étaient satisfaits et moi-même, j’ai trouvé que c’était bon, ce que je cuisinais ! » Après cinq mois de sorties en apnée, de rencontres inoubliables et de ciel à perte de vue, Dominique retourne sur la terre ferme. Elle n’est pas devenue une navigatrice hors pair ni une cuisinière chevronnée, mais sa vie en a tout de même été changée. Sur L’Aventura, elle a appris à se faire confiance, à surmonter ses peurs et à vivre au jour le jour, comme l’appelle le quotidien sur l’eau. Et trente ans plus tard, cette aventure unique la suit toujours : « J’ai déménagé l’an passé à Pointe-Claire pour avoir une vue sur l’eau. Je regarde les voiliers et ça me remplit de bien-être. »