Frontières fermées, vols annulés, croisières proscrites, menaces de quarantaine : qui n’a pas vu ses plans de voyage mis K-O par la COVID-19 cette semaine ? Et si la solution, pour s’éviter des maux de tête, était de voyager… sans sortir de chez soi ?

C’est l’une des promesses faites par la réalité virtuelle, qui promet aux usagers de découvrir, (presque) comme s’ils y étaient, le bout du bout du monde ou de se promener dans la plus fréquentée des artères de Milan sans craindre d’être exposé au moindre agent pathogène extérieur. Il suffit de quelques clics pour acheter un casque — livré à la maison — et quelques dollars de plus pour acheter le film pour partir à la découverte de Paris, Londres, Hong Kong, alouette.

Dans ces conditions, la COVID-19 pourrait-elle marquer le début d’une ère nouvelle, celle du tourisme virtuel pour tous et partout ?

Oui… mais non, prévient Erik Champion, professeur à l’Université de Perth, en Australie, spécialiste de la question. Face à la propagation de l’épidémie, « les universités [dont Harvard, NDLR] ont déjà fait le pas vers les cours en ligne, les entreprises optent pour les téléconférences, mais pour le eTourisme, la transition sera plus lente, en partie parce qu’il n’y a pas encore assez d’applications connues du grand public », qui s’y perd dans la multitude de technologies différentes, variété de services, etc.

« Est-ce que quelqu’un paiera 400 $ US pour acheter un casque [de réalité virtuelle] à brancher sur son ordinateur ou son portable pour faire du tourisme virtuel ? Je ne pense pas que le marché soit assez fort en ce moment », analyse-t-il. « Pour que le tourisme virtuel devienne plus accessible, idéalement, cette année, il faudra produire du contenu sérieusement, mais aussi des infrastructures standardisées », observe Erik Champion.

Le titulaire de la chaire de tourisme Transat de l’UQAM, Paul Arsenault, est plus sceptique.

La réalité virtuelle ne remplacera jamais les voyages, l’expérience d’aller sur place, d’avoir toute la connaissance du monde qui nous entoure.

Paul Arsenault, titulaire de la chaire de tourisme Transat de l’UQAM

« Un voyage, c’est bien plus que la somme de ce qu’on voit », insiste Paul Arsenault. Les gens veulent vivre l’expérience pleinement, entièrement, être sur place, goûter, sentir, entendre, se laisser porter, dépayser.

À la rigueur, la réalité virtuelle pourra remplacer (ou aider) les voyages d’affaires (plutôt que d’agrément), en permettant que les rencontres et les réunions puissent être tenues sans qu’il y ait de déplacement. Des congrès auront lieu à distance, des rencontres de travail, etc. « Mais personne ne va se dire : “je vais rester chez moi et m’acheter des lunettes Google au lieu de partir en voyage” », croit Paul Arsenault. Plutôt, on choisira des destinations qui nous paraissent sécuritaires et néanmoins dépaysantes. Le Nunavik ? Anticosti ? La Côte-Nord ? Il y a fort à parier que l’appel des grands espaces et de la nature sera encore plus pressant cette année.

Des expéditions de l’impossible…

Si elle ne remplace pas les « vrais » voyages, la réalité virtuelle ouvre le chemin vers des destinations inaccessibles. Envie d’un séjour dans l’espace sans être milliardaire ? Le parc du Mont-Mégantic proposera l’été prochain une exploration en réalité virtuelle du Cosmos tandis que la NASA, elle, permet aux internautes d’aller encore plus loin : sur des exoplanètes. Envie d’exploits sans être un grand sportif ? L’Everest est dans le domaine du possible sur plusieurs plateformes, tout comme les profondeurs marines, moyennant quelques dollars tout au plus. À échelle plus humaine, des parcs — comme celui de Table Rock Mountain, en Caroline du Nord — offrent aux visiteurs l’option de gravir virtuellement les sentiers de randonnée les plus ardus, sans quitter le pavillon d’accueil du parc. Des musées proposent l’interdit : toucher (virtuellement) des œuvres d’art, avec un casque et des gants.

> Consultez le site Everest Virtual Tour (en anglais)

> Consultez le site National Dive Sanctuaries (en anglais)

… aux balades dans le temps

Dans un autre registre, l’entreprise américaine Rendever a développé un service de voyages virtuels pour lutter contre l’isolement et la dépression des personnes âgées vivant dans un centre de soins prolongés.

Des vidéos personnalisées sont créées afin de permettre aux patients atteints de maladies cognitives de retourner sur des lieux marquants de leur jeunesse (devant la maison de leur enfance, l’église où ils se sont mariés, etc.). « L’idée, ce n’est pas qu’ils retournent ensuite chacun dans leur chambre, mais qu’ils discutent de ce qu’ils ont vu, de ce qu’ils ont aimé, etc. », explique Grace Andruszkiewicz, de Rendever.

PHOTO FOURNIE PAR RENDEVER

L’entreprise américaine Rendever a développé un service de voyages virtuels pour lutter contre l’isolement et la dépression des personnes âgées vivant dans un centre de soins prolongés.

Les patients peuvent aussi, en petits groupes, visiter les grandes capitales du monde qui ne leur sont plus accessibles, avec un guide, qui animera une discussion après le « voyage ».

« Les expériences collaboratives — avec plusieurs participants — s’avéreront plus significatives et satisfaisantes que celles individuelles, même si la facture est plus léchée », croit justement Erik Champion, relevant que cette offre est toutefois très mince pour le moment.

Et la préparation avant le départ

Chez Ubisoft, plutôt que de remplacer le voyage, la technologie est utilisée pour en améliorer la préparation. La société a lancé l’automne dernier un « Discovery Tour » de la Grèce antique, hybride entre le jeu vidéo et le cours d’histoire, fruit des trois années de recherches effectuées par les historiens en résidence d’Ubisoft pour créer l’univers d’Assassin’s Creed Odyssey.

« On avait une mine d’information exceptionnelle à partager. », explique Maxime Durand, historien à temps plein dans les bureaux du Mile End.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Maxime Durand, historien chez Ubisoft

Le logiciel compte 35 « stations » ou sites touristiques avec des présentations d’une quinzaine de minutes en moyenne, dans les décors du populaire jeu vidéo. Les usagers peuvent même se prendre en photo !

« C’est du matériel très intéressant pour les écoles, assure Maxime Durand. Une belle façon d’apprendre l’histoire. » Une quinzaine d’établissements secondaires de Montréal l’utilisent déjà, mais il circule aussi dans des classes d’Europe, d’Asie et des États-Unis.

En 2018, un volet sur l’Égypte a été commercialisé, dans la foulée d’Assassin’s Creed Origins. Quelque 2,5 millions de « joueurs » ont été recensés pour ce volet.

Il faut dire qu’au lieu d’avoir recours à des casques de réalité virtuelle, le produit d’Ubisoft ne requiert qu’une souris d’ordinateur ou, mieux, une manette de jeu vidéo. Or, c’est justement l’une des avenues les plus prometteuses, selon Erik Champion, qui croit qu’on verra surtout se développer du tourisme à réalité augmentée, utilisant des consoles de jeu plus largement commercialisées.