Plages abandonnées, hôtels fantômes: en Guadeloupe, la grève générale et les émeutes survenues à Pointe-à-Pitre ont touché de plein fouet la saison touristique, qui culmine avec le Carnaval.

«La saison est fichue», lâche Nicolas Vion, président du Groupement des hôteliers touristiques guadeloupéen (GHTG).En Guadeloupe, où le tourisme pèse 370 millions d'euros et soutient 12 000 emplois, dont 2000 dans l'hôtellerie, 80 % des recettes se font pendant la haute saison, c'est-à-dire du 20 décembre au 15 avril, explique-t-il.

Or «entre le 20 décembre et le 30 janvier, on a perdu 30 % de notre chiffre d'affaires. Au mois de février entre 70 et 80 %. Et en mars, on est à - 100 %», annonce-t-il.

«Cela veut dire que nous n'avons plus de trésorerie et que nous n'arriverons pas à payer les salaires à partir du mois d'avril», conclut le professionnel, qui représente 17 hôtels et 2500 chambres sur un total de 10 000 (gîtes et chambres d'hôtes compris).

«Avant avril, on ne retrouvera jamais notre régime de croisière», confirme Patrick Vial-Collet, coprésident du groupe Des hôtels et des îles (DHDI).

«Dans le meilleur des cas, on va s'en sortir en mai-juin, mais ce sera la basse saison».

Autour de la piscine de La Toubiana, le fleuron de son groupe qui compte 7 établissements et 400 salariés (pour 35 millions d'euros de chiffre d'affaires, dont 18 dans l'hôtellerie), seuls deux clients prennent leur petit-déjeuner, lundi.

Au total sept chambres sur 32 sont occupées, alors que «d'habitude, il n'y a pas une chambre de libre».

De la terrasse, à la vue imprenable sur la côte sud de Grande-Terre et les abords de Sainte-Anne, on aperçoit la plage déserte du Club Med, qui, lui, a fermé.

«Au début de la crise, j'estimais que le tourisme perdait entre 1 et 1,5 million d'euros par jour sans compter le transport aérien», calcule M. Vion.

«Si on ne compense pas nos pertes de chiffre d'affaires (par une aide d'Etat qu'il chiffre entre 12 et 20 millions d'euros), les dépôts de bilan vont être en cascade», dans l'hôtellerie, prévient-il.

M. Vial-Collet confirme. «Tous ceux qui ne sont pas adossés à des grands groupes, je ne vois pas comment ils vont tenir». La chance de DHDI : s'être diversifié dans la restauration rapide (franchise KFC, 12 millions d'euros de chiffre d'affaires) et dans l'immobilier (environ 5 millions d'euros de chiffre d'affaires).

Au reflux des touristes s'ajoutent les dégradations des jours d'émeutes, pour lesquelles le maire de Pointe-à-Pitre a demandé le classement en zone sinistrée, et la pression constante du LKP sur les enseignes touristiques, dont la plupart, affiliées au Medef, ont refusé de signer «l'accord Jacques Bino» sur l'augmentation des bas salaires.

«Ce matin (lundi) ils ont réenvahi l'hôtel Clipper» (Le Gosier), tonne M. Vion.

Malgré tout, beaucoup de professionnels restent optimistes.

«La saison a été un peu endommagée mais nous gardons confiance», affirme Yves Mozart, président de l'Association guadeloupéenne des Gîtes de France (20 propriétaires, 600 lits). Son seul regret : que «les agences de voyages n'aient pas joué le jeu». Selon lui, elles ont incité leurs clients à changer de destination.

«C'est un coup d'arrêt», reconnaît Philippe Lacoste, directeur régional d'Air France. «Mais on peut pas dire que c'est irrémédiablement fichu». Même si certains 747 ont atterri à Pointe-à-Pitre avec seulement 60 passagers, le trafic n'a baissé que de 15-20 % en février. «On a évité la casse», dit-il: «après c'est à nous de faire les promotions. Et ce qu'il faut pour faire revenir la clientèle».