Thiago Firmino remarque que les deux téléphériques qui desservent la favela à flanc de colline où il vit ne fonctionnent plus. Sans attendre, il court les photographier avec son téléphone portable et envoie par Twitter une plainte au gouverneur de l'État de Rio de Janeiro.

Guide touristique et DJ à ses heures perdues, M. Firmino, 32 ans, est toujours le téléphone à la main. S'il y a un problème, il réclame. Ce qui lui donne tant de liberté, affirme-t-il, c'est son portable.

«Cela a été comme une petite révolution arrivée peu à peu», raconte à l'AFP cet homme qui tient un blogue pour ses activités touristiques et des comptes sur Facebook, Twitter et YouTube.

Grâce à son téléphone intelligent de dernière génération, il essaie de résoudre les problèmes de sa communauté: d'un trou dans la rue jusqu'à une coupure de courant, rien ne lui échappe.

Ces derniers jours, avec les manifestations massives dans tout le Brésil contre les coûts de l'organisation du Mondial-2014 et pour une amélioration des services publics, les mobiles sont devenus indispensables.

«On échange des SMS, on s'envoie des messages instantanés et on se coordonne pour les défilés. Je vais toujours aux manifestations avec mes deux téléphones chargés» pour pouvoir prendre des photos et les diffuser immédiatement par Twitter, explique M. Firmino.

Wi-fi dans la favela

Santa Marta, la favela de Rio où vit M. Firmino, est enclavée dans la zone sud, la plus riche et touristique de la ville, et a été la première a être reprise par la police aux trafiquants de drogue, en 2008.

C'est également la première à avoir été équipée, dès 2011, de l'internet par wi-fi gratuit.

Une étude récente de l'institut d'enquête Ibope rapporte que le nombre de téléphones intelligents en circulation au Brésil a doublé en 2012: une moyenne de 30 appareils sont vendus chaque minute dans ce pays de 194 millions d'habitants grand comme 15 fois la France, selon le consultant LCA.

Mais la technologie ne fonctionne pas toujours bien, c'est pourquoi beaucoup d'habitants de Santa Marta ont pris l'habitude de se réunir le soir sur une place de la favela, où le signal wi-fi est plus fort.

Environ 73 millions de Brésiliens utilisaient Facebook en mars, six fois plus qu'un an plus tôt, selon l'entreprise.

Téléphone intelligent à crédit

«La nouvelle classe de consommateurs veut avoir accès à ce type de technologie, et l'habitant de la favela a accès désormais aux crédits (bancaires) nécessaires pour faire ces achats», analyse Luis Anavitarte, vice-président pour les études de marché du consultant en technologie Gartner, évoquant les 40 millions de Brésiliens qui ont accédé aux classes moyennes au cours de la dernière décennie grâce aux programmes sociaux du gouvernement et à l'ouverture de l'accès aux crédits.

Et beaucoup veulent maintenant prendre part à la révolution numérique.

Le potentiel de consommation de téléphones intelligents et produits technologiques de la classe moyenne est deux fois supérieur à celle de l'Inde, autre géant émergent, ajoute-t-il. Notamment car les revenus des habitants des favelas sont plus élevés.

«En 2013, les dépenses des Brésiliens pour des produits technologiques devraient atteindre 123 milliards de dollars», pronostique cet expert.

14% de la population - 27 millions de personnes - a un téléphone intelligent, selon une étude de Our Mobile Planet, réalisée pour l'entreprise Ipsos Media CT. En France, ils sont 25 millions.

Fin de la marginalisation

Jusqu'à il y a 15 ans, les favelas n'avaient pas le téléphone fixe, les lignes ne parvenant pas jusqu'aux collines où elles sont érigées, rappelle Sara Machado, 52 ans, habitante de la favela Chapeu Mangueira, située à quelques pas de la plage de Copacabana à Rio. L'abonnement était en outre très cher.

«Maintenant, nous sommes au courant de tout grâce à cet appareil», se réjouit Sara, qui a un mobile, mais pas encore de téléphone intelligent. «Avec le téléphone que j'ai, je fais tout: j'appelle le moto-taxi, je parle avec mon fils».

Les mobiles ont mis fin à la marginalisation des favelas, affirme à l'AFP Sivaldo Pereira, expert en culture contemporaine de l'Université fédérale d'Alagoas.

«La technologie favorise les échanges, déplace ce qui se passe dans ces communautés à d'autres parties de la ville», estime-t-il.

D'après l'Agence nationale des télécommunications (Anatel), fin janvier, il y avait 262,2 millions de téléphones cellulaires en activité au Brésil, soit 133 appareils pour 100 habitants.

«Celui qui n'a pas de portable reste prisonnier sur les hauteurs de la colline, il ne voit pas l'horizon», théorise Thiago Firmino.