À 75 ans, Nicole Walthert, kinésithérapeute orléanaise à la retraite, n'hésite pas à attaquer Nintendo, persuadée que le géant japonais a contrefait une de ses inventions pour élaborer le plateau de la console Wii, vendu à plus de 42 millions d'exemplaires dans le monde.

«Le principe du double plateau avec détecteur d'équilibre, c'est moi qui l'ai inventé, et j'ai déposé mon premier brevet en 1985 !», martèle cette grande et énergique septuagénaire, qui a assigné Nintendo pour contrefaçon devant le TGI de Paris fin 2009.

Un futur best-seller mondial de l'électronique esquissé dans le salon d'une modeste maison d'Orléans? L'assertion peut prêter à sourire, venant d'une retraitée vivant «sans internet et sans téléphone portable».

Et pourtant : relancée cet été par la notification d'une intention de délivrance de l'Office européen des brevets, la démarche de l'ancienne kiné, jusque là confidentielle, a été jugée suffisamment crédible pour attirer l'attention du ministère du Redressement productif, où Mme Walthert a été reçue en septembre.

Lancé en juillet 2007 par Nintendo, et vendu à plus de 42 millions d'exemplaires dans le monde, le plateau Wii Balance Board, semblable à un pèse-personne, a révolutionné le monde du jeu vidéo en invitant les joueurs à se remuer de la tête aux pieds via des épreuves physiques ou de gymnastique.

«C'est l'essence même de mon invention : un détecteur de l'équilibre», souligne Mme Walthert, qui en un quart de siècle a déposé une série de brevets en France, aux États-Unis et dans l'Union européenne.

Sur une table où elle a étalé les brochures du Wii Balance Board et celles, bien plus anciennes, de son «Bulle-Test», distingué au concours Lépine en 1986 et vendu à 2 000 exemplaires avant d'être amélioré en «Lift gym», avec diodes et bobines à induction, l'inventrice pointe de troublantes similitudes.

«Ils m'auraient demandé mon brevet, je le leur aurais vendu pour le prix d'un studio», assure Mme Walthert, qui demande aujourd'hui au minimum 20 millions d'euros de dédommagement.

«C'est une question de reconnaissance, j'y tiens impérativement. Nintendo a fait des milliards de chiffre d'affaires avec mon bébé. Il y en a marre d'être prise pour une imbécile. Et ça pourra donner envie aux jeunes Français de se lancer», souligne-t-elle.

«David contre Goliath»

Née le 21 février 1938, cette fille d'ingénieur fait des études classiques, mais a rapidement «envie d'une activité manuelle». Elle opte pour la kinésithérapie et, diplôme en poche, s'installe à son compte en 1968 en banlieue d'Orléans.

Au début des années 1980, «en pleine mode du "mal de dos"», elle a l'idée de son fameux plateau sur quatre ressorts, destiné à «faire travailler les appuis, la voûte plantaire et tout le corps, bref à faire ressentir l'équilibre». «Je voulais qu'on s'accroupisse, qu'on bouge sur mon truc. Le corps humain c'est magique», souligne-t-elle.

Saluée par des professionnels de la santé, l'invention connaît quelques années de relatif succès, avant de sombrer dans l'oubli, après la disparition de son diffuseur. Nicole Walthert continue pourtant de l'améliorer et de déposer brevet sur brevet.

«En 2008, c'est le choc : sur un quai de gare je vois une publicité pour le plateau de la Wii. C'était mon invention !», raconte-t-elle.

L'ancienne kiné investit toutes ses économies --«quelque 65 000 euros»-- pour faire valoir ses droits. En vain. Nintendo «joue la montre, ils connaissent mon âge», estime-t-elle.

«Je ne suis qu'une masseuse, pas une femme d'affaires. Face à Nintendo et à son armée d'avocats, ce n'est pas évident. C'est un peu David contre Goliath», reconnaît-elle.

Mais la septuagénaire, désormais épaulée par des juristes de renom, espère que la médiatisation de son cas pourra faire évoluer le dossier. À tout le moins, «l'obtention du brevet européen pourra relancer la procédure engagée en France», indique à l'AFP son avocate, Aviva Leszczynski.

Pour Gérard Dorey, président du concours Lépine, «il y a souvent des inventeurs qui estiment avoir été copiés. Mais là, il semble que la technique est identique, et qu'en tout cas les brevets sont compatibles avec la Wii».

En outre, souligne-t-il, «il est très surprenant que Nintendo n'ait pas poursuivi Mme Walthert en diffamation, au vu de la gravité de ses allégations». Contacté par l'AFP, le groupe japonais n'a pas souhaité s'exprimer.