Deux constats se dégagent à propos de la Loi canadienne antipourriel (LCAP), un an après son entrée en vigueur, le 1er juillet 2014 : les entreprises n'y comprennent pour la plupart rien, mais elle est efficace.

La LCAP a officiellement fait lundi sa troisième victime. Le transporteur aérien Porter a accepté de verser 150 000 $ « pour des violations présumées » de la loi, principalement d'avoir omis d'offrir un lien de désabonnement clair dans ses courriels promotionnels.

Porter joint ainsi Compufinder (1,1 million de dollars) et Plentyoffish (48 000 $), les deux seules autres entreprises épinglées jusqu'ici par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) parmi les quelque 310 000 plaintes reçues.

Le faible nombre de cas menés à terme ne devrait toutefois pas masquer une autre conséquence significative de la loi. Un rapport publié il y a quelques semaines par la firme de sécurité américaine Cloudmark constatait que le nombre de courriels reçus par les Canadiens dans leur boîte de courriels était en baisse d'environ 29 % depuis l'entrée en vigueur de la loi.

Cette diminution est attribuable de façon équivalente à la réduction des pourriels et des courriels dits « légitimes ». La firme de sécurité considère les courriels promotionnels, visés par la LCAP, comme des courriels légitimes.

« Réduire le nombre de pourriels du tiers en un an, personne n'aurait osé parier là-dessus l'année dernière », constate Philippe Le Roux, fondateur de Certimail, qui vise à aider les entreprises à se conformer à la loi C-28.

De même, le volume de pourriels émanant du Canada mais destiné aux États-Unis a lui aussi chuté de façon importante, de 37 % plus précisément.

« Avec le nombre de plaintes et la réduction des pourriels, il faut bien constater que la loi est efficace », mentionne dans un premier temps Stéphan Lestage, vice-président chez Cyber Génération. L'entreprise conçoit un logiciel, Cyberimpact, qui permet aux entreprises d'envoyer des courriels dans la légalité.

« Mais là où le bât blesse, c'est dans la perception et la compréhension de la loi par les entreprises », ajoute M. Lestage. « C'est une loi complexe, il y a beaucoup d'avocats spécialisés qui se sont prononcés à son sujet et ils ne sont pas toujours d'accord, de sorte qu'il y a des avis contradictoires. »

COMPLIQUÉ POUR LES ENTREPRISES

« Le bilan que moi j'en fais, c'est que je suis toujours surpris de voir le faible nombre d'entreprises qui ont fait une démarche de conformité, résume M. Le Roux. Je pensais au moins que toutes les grosses entreprises l'auraient fait, mais c'est loin d'être le cas. Et chez les PME, il y en a très peu qui ont bougé. Ce n'est pas que les entreprises ne veulent rien faire, c'est qu'elles ne savent pas quoi faire. »

Un sondage auprès de 500 entreprises commandé par Cyber Génération révèle que 62 % d'entre elles croient que le CRTC « n'a pas bien fait son travail de sensibilisation auprès des PME ».

« Et si je me fie à ce que j'ai vu depuis un an, dans les 38 % qui croient comprendre, il y en a certainement beaucoup qui la comprennent mal », estime M. Le Roux.

Selon M. Lestage, l'un des points les plus complexes pour les entreprises est la notion de consentement. Celui-ci peut être exprès, donc donné directement par le client, ou tacite, soit autorisé indirectement par un client sur la base d'une relation d'affaires en cours.

La documentation mise en ligne par le CRTC n'est pas suffisamment claire, déplore M. Le Roux.

« La loi est bien faite, mais les règles d'application sont floues. Et il y a aussi le côté apparemment aléatoire des poursuites qui confond les entreprises. Celles qui ont fait des procédures se sentent désavantagées parce que le faible nombre de cas retenus jusqu'à présent leur laisse croire qu'elles auraient eu peu de chances de se faire prendre. »

D'autres bénéficiaires

Le CRTC n'est pas le seul organisme à avoir hérité de la mise en application de la LCAP. Cette dernière est aussi entrée dans la trousse d'outils du Bureau de la concurrence et du Commissariat à la protection de la vie privée.

C'est ainsi qu'en mars, le Bureau de la concurrence a déposé un recours de 30 millions contre deux entreprises de location de voitures, Aviscar et Budgetcar, ainsi que leur société mère, Avis Budget Group, en raison de l'envoi de courriels promotionnels contenant des prix qui ne reflétaient pas la réalité.

« Le Bureau de la concurrence et le Commissariat à la vie privée se servent de la LCAP pour donner des dents à leurs lois traditionnelles qui, jusque-là, n'en avaient pas beaucoup », constate M. Le Roux.

La loi en chiffres

• 310 000 : Nombre de plaintes reçues par le CRTC en un an

• 1 298 000 $ : Valeur totale des trois amendes imposées par le CRTC

• 30 000 000 $ : Somme réclamée par le Bureau de la concurrence à trois entreprises de location de voiture affiliées en vertu de changements découlant de la Loi canadienne antipourriel

• 29 % : Baisse du volume de courriels, légitime ou non, au Canada depuis l'adoption de la loi



Source : Cloudmark


• 10 % : Proportion des entreprises qui ont complètement cessé d'envoyer des courriels commerciaux.



Source : Cyberimpact