Google analyse automatiquement le contenu des courriels des usagers de Gmail de manière à leur transmettre des publicités ciblées conformes à leurs intérêts. La pratique est dénoncée comme une forme de «vampirisme» par les critiques les plus virulents de l'entreprise, qui se défend de toute intrusion illégale.

En décembre, les dirigeants de Google, aux côtés d'autres chefs de file de la Silicon Valley, ont annoncé qu'ils entendaient unir leurs forces pour mettre le holà aux atteintes à la vie privée découlant des politiques de surveillance de la National Security Agency (NSA).

Le journaliste et blogueur américain Yasha Levine, très critique, écrit que «cette charade aurait dû susciter rires et moqueries» parce que ces mêmes sociétés «se nourrissent de la vie privée des gens» et que la surveillance «sans contrainte» est la base de leur modèle économique.

Dans son billet, l'auteur note que Google est une nouvelle forme d'entreprise qui cherche à «monitorer notre vie quotidienne autant que possible» en vue de pouvoir jumeler, contre argent sonnant, «les bonnes publicités avec le bon public».

La revue française Marianne affirme, dans un registre similaire, que la société américaine «vampirise nos vies» en aspirant «nos secrets» pour les revendre aux annonceurs.

La force de «l'empire» Google, note l'auteur de l'article, repose sur le «consentement machinal de milliers d'internautes» qui acceptent sans rechigner des «conditions d'utilisation» potentiellement lourdes de conséquences pour leur intimité.

Les critiques envers les pratiques de l'entreprise dans ce domaine ont notamment mené aux États-Unis au lancement de poursuites par des usagers frustrés du service de courriel Gmail.

Depuis son lancement, Google balaie les mots utilisés dans les courriels afin de pouvoir transmettre des publicités ciblées. Les usagers au coeur de la démarche judiciaire affirment que la pratique s'apparente à une forme de surveillance électronique illégale.

«Google, note la poursuite, utilise Gmail comme sa propre machine secrète de collecte de données qui intercepte, entrepose et utilise, sans autorisation, les réflexions privées et les idées de millions d'Américains» utilisant le service sans soupçonner que cette pratique survient.

Google se défend

Cet été, l'entreprise a cherché à faire rejeter la cause par le tribunal en relevant que les plaignants veulent «criminaliser des pratiques commerciales courantes».

Les avocats de Google ont relevé que le contenu des courriels est analysé automatiquement, sans intervention humaine, et que les usagers autorisent cette pratique en approuvant la politique de service et de confidentialité de l'entreprise.

La firme a affirmé par ailleurs que les personnes échangeant des courriels avec un usager de Gmail ne peuvent s'attendre à ce que la confidentialité de l'échange soit respectée.

«De même que l'expéditeur d'une lettre à un partenaire d'affaires ne peut être surpris que l'enveloppe soit ouverte par la secrétaire du destinataire, les personnes qui utilisent des services de courriel en ligne ne peuvent pas s'étonner que leurs communications soient traitées par le fournisseur du service», ont plaidé les avocats.

La juge fédérale chargée du dossier, Lucy Koh, a refusé la demande de rejet de Google. Aucune décision n'a encore été rendue sur le fond de l'affaire.

Alan Butler, un avocat spécialisé de l'Electronic Privacy Information Center (EPIC), note que la cause est «très importante» pour la protection de la vie privée des consommateurs de services en ligne.

La loi, juge ce spécialiste, semble protéger assez «clairement» les usagers contre le type d'interception que pratique Google. Le verdict final risque cependant de reposer sur la question du consentement.

«Le tribunal va devoir définir à quoi l'usager de Gmail a consenti exactement en acceptant la politique de service et de confidentialité de l'entreprise. Il n'est pas clair pour moi que l'usager moyen comprend que ces courriels vont être balayés à des fins commerciales lorsqu'il coche la case donnant son approbation générale», relève en entrevue M. Butler.

Les entreprises favorisées?

Pierre Trudel, du Centre de recherche en droit public de l'Université de Montréal, note que les tribunaux américains ont eu tendance par le passé à trancher en faveur des entreprises à ce sujet. «Ils disent généralement que les individus sont majeurs et vaccinés et sont censés savoir à quoi ils consentent», note-t-il.

La porte-parole de Google Canada, Leslie Church, a insisté hier sur le fait que le contrôle du contenu des courriels se fait «sans intervention humaine» et permet de transmettre des publicités susceptibles d'intéresser les usagers tout en éliminant virus et pourriels. Elle note que le recours à la publicité est ce qui permet à la société d'offrir ses services gratuitement.

Plus largement, Mme Church assure que l'entreprise fait tout en son pouvoir pour garantir que les données des usagers sont «sécurisées» et leur confère un large contrôle «sur ce qu'ils veulent partager» au moyen d'une série de paramètres.

Des concurrents de Google tentent d'exploiter la polémique pour convaincre les usagers de Gmail de recourir à leurs services. La firme Microsoft a notamment lancé une campagne à ce sujet pour faire la promotion de son service Outlook.

À terme, juge Alan Butler, la décision du tribunal pourrait avoir une grande incidence sur le modèle économique de l'entreprise et sur celui d'autres géants, comme Facebook, qui utilisent le contenu mis en ligne par leurs usagers à des fins commerciales.