Auteur chinois basé à Shanghai, Jin Song prend un malin plaisir à battre l'armée des censeurs d'internet en parvenant à glisser sur la toile ses commentaires sur la passation de pouvoir imminente en Chine, la première de l'ère des réseaux sociaux.

Avec à peine trois ans d'âge, les «microblogues», équivalent chinois de Twitter, introduits à l'initiative d'entrepreneurs privés, représentent déjà un immense défi pour le Parti communiste chinois (PCC), désormais confronté, dans une Chine post-totalitaire, à l'émergence d'une opinion publique volontiers frondeuse.

Pas facile, pour autant, de désigner nommément sur la toile le 18e congrès du PCC, qui s'ouvre jeudi à Pékin. Un message sur le sujet a toutes les chances d'être promptement effacé, confirme Jin Song.

L'astuce consiste à employer des mots différents mais dont la sonorité en chinois ressemble à celle des mots censurés. Avec 368 millions d'utilisateurs, Sina Weibo, le «Twitter chinois», donne de toute façon du fil à retordre à la «police de la pensée».

Ainsi, l'«harmonie» prônée par le président Hu Jintao s'est vue tournée en dérision en devenant une «rivière de crabes», homophone en chinois.

«Si tu veux envoyer un message qui concerne les plus hauts dirigeants ou une importante organisation gouvernementale, tu dois écrire leurs noms avec des caractères différents» des originaux, mais qui sonnent de la même façon à l'oreille, explique Jin Song à l'AFP.

«C'est comme un jeux», assure cet historien de 27 ans, spécialiste de la Chine des débuts du XXe siècle. Il ne compte plus les messages effacés, notamment ceux relatant des manifestations sur les questions d'environnement.

La censure ne le surprend pas. «Le congrès (du PCC), c'est un sujet sensible», reconnaît-il. Il faut donc jouer au chat et à la souris avec les préposés d'un Etat habitué à un contrôle absolu de l'information, mais qui voit sa toute-puissance se réduire.

Depuis 2002, date de l'avènement de Hu Jintao, le président sortant, 538 millions de Chinois sont devenus internautes. Impossible de museler les millions de microblogues : l'information fournie à la vitesse de l'électronique par les «netizens», les «citoyens du Net», le dispute de plus en plus aux compte-rendus officiels des événements locaux.

La volée de bois vert administrée l'an dernier au gouvernement par les internautes après l'accident de TGV de Wenzhou (40 morts) avait offert un contraste saisissant avec le ton de la presse officielle, priée de ne publier que des «informations positives» sur le sujet.

Signe de sa montée en puissance, l'activisme des réseaux sociaux est parfois toléré et peut même se targuer de quelques «victoires»: plusieurs caciques locaux se sont retrouvés sous enquête officielle après s'être fait épingler par les blogueurs de Weibo pour leur luxe affiché.

Mais l'image des dirigeants et du parti unique se devait d'être protégée: les entrepreneurs du net ont dû embaucher à leurs frais des armées de censeurs professionnels, surnommés les «secrétaires».

Pour les Chinois qui s'intéressent au congrès du Parti et à ses enjeux, c'est eux qu'il faut parvenir à «dribler» s'ils veulent donner leur avis sur leur futur président, M. Xi Jinping, qui doit prendre les rênes du parti et donc de l'Etat la semaine prochaine.

Pour l'occasion, le site de Sina Weibo s'est habillé en «patriotique», arborant une photo de la place Tiananmen, du drapeau national et deux colombes survolant les internautes.

Mais si l'un de ses utilisateurs cherche des nouvelles de «shibada» («le grand 18», abréviation du XVIIIe congrès), il se verra répondre qu'«en raison des lois, règlements et politiques en vigueur, les résultats de (sa) recherche ne sont pas affichés».

Jeremy Goldkorn, fondateur du site Danwei et analyste des réseaux sociaux chinois, juge «immense» la liste des mots-clés censurés. Ils vont de «grève» aux noms des dissidents, dont Liu Xiaobo, le prix Nobel de la paix 2010 emprisonné, en passant par des métaphores chinoises à connotation sexuelle.

La semaine dernière, l'article du New York Times relatant la fortune de la famille du Premier ministre Wen Jiabao a été immédiatement censuré, ainsi que toute recherche relative à sa famille.

De même, les tractations en cours entre dirigeants à l'approche du Congrès restent entourées du secret le plus absolu.

David Bandurski, chercheur à l'université de Hong Kong, exclut toute audace de la presse officielle, qui publiera en choeur les articles de l'agence officielle Chine Nouvelle.

«C'est un événement hautement contrôlé et orchestré», dit-il. Tous les journaux devront publier «la même photographie identique des nouveaux membres» de la haute direction chinoise.

Et sur la toile, «on verra des messages sarcastiques qui disparaîtront aussi vite qu'ils apparaîtront».

Parmi eux, ceux de Jin Song, qui continuera à tenter de «dribler» les censeurs, car, dit-il, «les autorités ne peuvent plus empêcher les gens de vouloir s'informer».