Quels produits technologiques conçus ou fabriqués au Québec trouvent leur chemin jusque dans nos salons? Étonnamment peu, a constaté La Presse, qui a déniché trois exemples d'entreprises québécoises qui arrivent à se frotter à la concurrence mondiale.

SE CHAUFFER PAR LA TOILE

Sinopé, « des gens de thermostats qui se sont lancés dans le sans-fil », offre depuis l'automne dernier un produit en bonne voie de se répandre dans les chaumières québécoises : un thermostat contrôlable par internet.

LE PRODUIT

Des thermostats contrôlables à distance, que ce soit par téléphone, avec une télécommande puis par internet, il en existe depuis une vingtaine d'années. Tous, sans exception, ne pouvaient qu'être utilisés avec un système de chauffage central - comme le fameux Nest. Pour les 60 % de propriétaires québécois qui utilisent des plinthes électriques, il n'existait rien sur le marché, à moins d'être un électricien doublé d'un bricoleur patenté.

JUSQU'EN OCTOBRE DERNIER...

Sinopé Technologies, une petite entreprise de Saint-Jean-sur-Richelieu, a alors lancé un produit unique au monde, un thermostat programmable pour plinthes électriques avec interface web. Leur ensemble de départ coûte 199 $. On obtient une interface web qui se branche par câble Ethernet au routeur domestique, ainsi que deux thermostats.

DANS LE BOÎTIER

L'interface est contrôlée par un site web auquel on peut accéder par un ordinateur ou par un appareil mobile. C'est l'interface qui envoie ses ordres aux thermostats, qui lui transmettent ensuite les informations sur la température et le wattage qui les traversent. La communication entre l'interface et les thermostats ne se fait pas par WiFi, mais plutôt par un protocole sans fil « adapté » du Zigbee, « un protocole industriel plus robuste », explique le président de Sinopé, François Houde. Pour s'assurer de la fiabilité du réseau, chaque thermostat agit comme relais et renvoie les commandes aux autres thermostats. Et ça fonctionne : testés pendant plusieurs semaines par La Presse+, les thermostats de Sinopé n'ont jamais flanché.

LES ORIGINES

En 1991, François Houde a fondé l'entreprise Aube Technologies, qui a « développé le premier thermostat de haute technologie », dit-il. Il a vendu Aube à la multinationale américaine Honeywell en 2004 et a repris les installations de Saint-Jean-sur-Richelieu en 2009, quand l'entreprise a déménagé ses activités au Mexique. Le marché des thermostats était alors en plein chambardement : alors que les appareils programmables représentaient auparavant près de 90 % du marché, ils sont tombés graduellement à moins de 10 %. La raison : « La moyenne est de sept thermostats par bungalow, explique M. Houde. Personne n'a envie de passer son temps à les programmer sans cesse. » D'où l'idée d'une seule interface, à laquelle on peut accéder par internet, pour contrôler en un seul coup d'oeil tous les thermostats.

LA STRATÉGIE

D'entrée de jeu, François Houde, ingénieur de formation, décrit son équipe comme « des gens de thermostats qui se sont lancés dans le sans-fil ». Il tient à un point central : ses thermostats sont robustes et fiables. « On en fabrique depuis plus de 20 ans. À l'époque d'Aube, on en vendait 3 millions par année, on les a vus, tous les problèmes possibles. Avec Sinopé, on est rendu à plus de 1 million de thermostats vendus. On a des installations qui ont plus de 300 thermostats : le système est mature. » Il doit généralement répondre à deux autres sujets potentiels d'inquiétude : les ondes émises et la perspective que le site web disparaisse en cas de faillite de l'entreprise. Pour le premier point, il précise que l'interface et les thermostats ne communiquent que quand on les sollicite. Quant à la faillite, M. Houde sourit : « On n'est pas une start-up. J'ai vendu Aube à Honeywell... Disons qu'on a les reins assez solides chez Sinopé. »

ATTENTION, JEUNE POUSSE AU TRAVAIL

Contrairement à Sinopé, les concepteurs de CaSA se décrivent comme « des gens de technologie qui ont fait un thermostat ». Dans le plus pur esprit « start-up », ils ont lancé une campagne KickStarter en octobre dernier. Même si elle n'a pas atteint ses objectifs, ils ont lancé un thermostat WiFi le mois dernier, le Caleo, qui remporte un beau succès sur l'internet.

LE PRODUIT

Le Caleo est un thermostat qui se branche directement sur l'internet, par WiFi, et qui permet le contrôle de plinthes électriques par un site web ou une application mobile. Doté d'un écran tactile LCD couleur, il ne dépend pas d'une interface, donne également une lecture de l'humidité et peut alerter son propriétaire lorsque des anomalies sont détectées. L'appareil met automatiquement à jour son logiciel. L'entreprise CaSA, dont l'usine est à Bromont, dans les Cantons-de-l'Est, prévoit en outre lancer prochainement un produit similaire pour le contrôle des chauffe-eau.

LA STRATÉGIE

La première fournée de Caleo - « plusieurs centaines d'appareils », selon le cofondateur de l'entreprise, Martin Fassier - s'est rapidement envolée en février, simplement grâce aux ventes en ligne. Pour des thermostats vendus 149 $ pièce, l'exploit est notable. « La vente au détail, on l'a faite nous-mêmes, indique M. Fassier. Entrer dans un réseau de distribution, c'est un combat qu'on n'a même pas essayé. » L'entreprise entre maintenant dans une nouvelle phase avec la production de plusieurs milliers de thermostats qui seront également offerts dans certains magasins. Les ententes ne sont pas officielles, mais « il s'agira plutôt de Best Buy que de Rona », précise-t-il.

DANS LE BOÎTIER

Le WiFi est-il fiable pour un appareil aussi éprouvé qu'un thermostat ? Oui, répond sans hésiter Martin Fassier. « Z-Wave, Zigbee, RF433, Bluetooth, on les a tous essayés, et le WiFi, c'est fiable. Nos produits tiennent le coup, on a des prototypes qui roulent depuis plus d'un an. On est quand même allé chercher des gens qui ont de l'expérience, la technologie qu'on utilise, on ne l'invente pas. » Mais c'est surtout l'ajout d'une énième interface dans la maison qui a convaincu les gens de CaSA d'y aller avec des thermostats indépendants. « Ultimement, on a fait une analyse humaine. On a fait le test, et la décision unanime, c'est qu'un seul appareil, c'est mieux que deux. »

LES DÉFIS

Le premier pied de nez aux conventions, c'est d'avoir opté pour une fabrication presque à 100 % « made in Québec ». Seules les coques en plastique sont fabriquées en Chine, tout le reste provient de la petite usine de Bromont. « Au final, avec tous les obstacles, les va-et-vient et les impondérables, ce n'était pas payant de fabriquer en Chine. » On a opté pour une fabrication totalement automatisée, la seule façon de concurrencer les bas coûts de main-d'oeuvre, et on teste soigneusement tous les thermostats produits. Le prix reste cependant plus élevé (150 $) que la norme dans ce marché, « où il y a surtout un souci de rentabilité », estime M. Fassier. Il espère que l'accroissement des ventes permettra de réduire le prix. Il rappelle qu'en permettant jusqu'à 35 % d'économie sur la facture de chauffage, les thermostats se remboursent d'eux-mêmes rapidement.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

CaSA fabrique un thermostat intelligent pour le secteur résidentiel. 

LA TECHNO À TOUTES LES SAUCES

Compteurs intelligents, montres GPS pour personnes souffrant d'alzheimer, luminaires haut de gamme, circuits imprimés de toutes sortes : même s'ils sont surtout destinés à des clients industriels, les produits de Varitron Technologies sont probablement ceux que vous risquez le plus de retrouver dans votre maison.

LES PRODUITS

Fondé en 1991, Varitron Technologies est le plus important fabricant d'équipements électroniques au Québec, et figure dans le top 5 canadien. Des centaines de produits différents, commandés par d'autres entreprises, sont sortis de son usine de Longueuil, qui emploie quelque 300 personnes. C'est là qu'on produit par exemple des compteurs intelligents dont Hydro-Québec a commencé l'installation en 2012. Certains produits résidentiels haut de gamme de la firme Lumenpulse, spécialisée dans les éclairages à DEL pour les commerces, les institutions et les municipalités, y sont fabriqués. Plus de 13 000 radios militaires utilisées par l'armée canadienne viennent de l'usine longueuilloise. Enfin, un modèle bien particulier de montre GPS pour personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer, la Vega, y est mis au point pour être envoyé en Europe.

DANS LE BOÎTIER

Du moulage du boîtier aux circuits imprimés, « on fait tout », résume Martial Vincent, chef de la direction de Varitron. « T'as une idée, on peut te la fabriquer. » Les produits sont testés tout au long de la chaîne de production pour s'assurer qu'une autre « marque de commerce », la fiabilité, soit respectée. « Le test est très important, il y a une science ici qu'on a poussée au maximum, dit M. Vincent. Ça et l'automatisation, c'est comme ça qu'on peut battre l'Asie. On est rendus qu'on fabrique au Québec des produits qui s'en vont en Chine. »

LA STRATÉGIE

« Notre marque de commerce, c'est la propriété intellectuelle », dit Martial Vincent. Les précautions entourant une visite dans les installations de l'entreprise, où règne un étonnant silence feutré, rappelle à quel point le secret commercial est important ici. En automatisant le processus de fabrication, « on a triplé notre chiffre d'affaires en trois ans et on continue encore d'embaucher », dit M. Vincent. « Il y a six ans, on avait un ingénieur : maintenant, on en a 15.  »

LES DÉFIS

En acquérant une usine à Boston et en concluant un partenariat stratégique avec le groupe français Adetel, Varitron s'est assuré d'avoir accès à des marchés en pleine expansion. Aux États-Unis, notamment, il était incontournable d'avoir des installations locales pour profiter des contrats publics, en vertu du Buy American Act. Le chef de la direction rêve maintenant d'un «  Buy Québec Act  » qui donnerait un coup de pouce au secteur manufacturier et technologique de la province. «  On est très forts en électronique, ça provient de Nortel, qui a fait des petits. Il y a ici une science, on est surpris à quel point on est bons quand on se compare à l'étranger.  » Son autre sujet de fierté, c'est d'avoir un personnel stable, diversifié et compétent. «  Le taux de roulement est très faible, le monde est souriant, vous le constatez. Et on a 22 cultures représentées ici.  »

Photo André Pichette, La Presse

Martial Vincent, chef de la direction de Varitron.

DES PRODUITS SPÉCIALISÉS

On ne compte plus les applications, oeuvres culturelles et jeux vidéo québécois qui font le tour du monde. Pourtant, en ce qui concerne la « quincaillerie » à l'appui de ces réalisations, les produits technologiques qui se rendent jusque dans nos salons, les créations québécoises sont étonnamment rares.

Pourquoi n'y a-t-il pas de lecteurs Blu-ray, de télécommandes, de chaînes stéréo « made in Québec » ? La raison est simple : les prix sont généralement trop bas pour faire vivre une entreprise basée au Québec. « C'est de la technologie qui n'évolue pas vite, c'est du haut volume dans lequel il est difficile de concurrencer l'Asie, estime Martial Vincent, chef de la direction chez Varitron. On peut battre l'Asie pour certains produits, mais on ne peut pas les affronter sur le marché des télécommandes à 10 $. »

Une étude commandée par le gouvernement du Québec montrait d'ailleurs, dès 2010, comment les exportations d'appareils électroniques ont souffert de la concurrence, notamment asiatique. Ces produits, qui trônaient au premier rang des exportations vers les États-Unis en 2000, ont dégringolé au sixième rang moins de neuf ans plus tard.

QUELQUES EXCEPTIONS

La recherche de produits techno menée par La Presse ces dernières semaines a permis de constater une évidence : l'écrasante majorité des produits mis au point au Québec sont destinés aux secteurs commercial et industriel. Très peu vont se retrouver sur les tablettes des grands magasins d'électronique. Chez Best Buy, par exemple, on ne vend aucun produit fabriqué au Québec. « Mais nous avons des produits d'entreprises établies ici comme Ubisoft, Eidos et Nespresso », précise le porte-parole, Thierry Lopez.

Quelques exceptions notables : les haut-parleurs de Totem, une entreprise de Saint-Léonard considérée comme un leader mondial dans ce domaine, dont on retrouve les produits dans certaines boutiques spécialisées. Ironiquement, un des secrets de fabrication de ces produits est qu'ils ne contiennent justement aucune pièce... électronique.

Le marché québécois très spécifique des thermostats, alors que les plinthes électriques équipent 80 % des nouvelles habitations, explique quant à lui le fait que deux jeunes entreprises québécoises ont pu s'y trouver une niche.

Les semi-conducteurs de l'usine IBM de Bromont, par exemple, sont destinés à des serveurs. « Le volet consommateur est quasi inexistant pour le moment », a précisé par courriel un porte-parole de l'entreprise.

MONTRÉAL ET QUÉBEC

Nombre d'entreprises fabriquent des produits de haute technologie, comme de l'équipement médical ou informatique que le commun des mortels n'utilisera jamais. La liste des entreprises de ce type, compilée par Techno Montréal, totalise plus de 500 entrées, dans des domaines aussi variés que les télécommunications de pointe, la fabrication d'équipements laser ou la détection électronique d'odeurs.

À Québec International, l'agence de développement économique de la région de la Vieille Capitale, on a compilé, à la demande de La Presse+, une liste de sept entreprises technologiques. Or, elles sont « présentes dans notre vie courante, mais pas directement dans des produits d'usage courant », précise la porte-parole, Catherine Labonté. On y retrouve, par exemple, Optosecurity (détection des explosifs dans les aéroports), Dectro (divers appareils d'esthétique) et Infodev (comptage électronique de personnes).