«Que fais-tu dans le vestiaire des filles?» Sébastien, 21 ans, est un pédophile bisexuel. Il s'est retrouvé à l'Institut Philippe-Pinel après avoir agressé une enfant de 10 ans. Muni d'un visiocasque de réalité virtuelle, il est soudainement transporté dans le vestiaire d'une piscine. Là où il a commis son crime. Une fillette nue l'interpelle.

Sur l'ordinateur des chercheurs, dans le local d'à côté, le graphique commence à s'animer. La réponse érectile de Sébastien est mesurée par un anneau pénien et traduite à l'écran. Les cobayes, tous délinquants sexuels, appellent cet appareil «l'anneau d'or».

«Veux-tu jouer avec moi?» demande l'avatar d'une petite voix. Une chercheuse anime le personnage 3D et contrôle ses émotions à l'aide d'une manette.

«Tu devrais te rhabiller. Où sont tes parents?» lance Sébastien, méfiant.

«Je suis seule. On pourrait aller au parc, poursuit la fillette.

- Je ne sais pas.

- On pourrait se cacher.»

Uniue

Ce jeu de rôle balisé, inusité et troublant, permet de faire une évaluation précise des délinquants sexuels pour mieux orienter leur traitement. Ça ne se fait nulle part ailleurs.

«On valide du même coup l'efficacité des personnages virtuels qui seront réutilisés plus tard en thérapie», explique le concepteur Patrice Renaud. Chercheur à l'Institut Philippe-Pinel, il est aussi codirecteur du Laboratoire de cyberpsychologie de l'UQO et professeur de psychologie.

«En plaçant le sujet dans un milieu virtuel à risque, on peut suivre sa progression durant le traitement. Applique-t-il les stratégies thérapeutiques enseignées? C'est de la réinsertion sociale avant même que le sujet ne se retrouve à l'air libre.»

Jusqu'à maintenant, les résultats sont prometteurs. «Dans un an, on pourrait voir le début de l'utilisation clinique», prévoit le chercheur, qui a commencé à confirmer ses données. L'étude, en cours depuis 2003, devrait être complétée en septembre 2009.

La réalité virtuelle est, semble-t-il, plus efficace et plus «éthiquement acceptable» que l'approche traditionnelle. On a l'habitude d'utiliser des photos saisies par la police, précise Patrice Renaud. «Les personnages virtuels sont plus réalistes et les stimulations, mieux ciblées.»

Grâce à l'expertise des programmeurs et animateurs 3D d'Hexagram, les thérapeutes arrivent même à modeler des personnages sur mesure qui prennent vie dans différents scénarios. «Certains sujets sont excités par une réaction de peur ou par une scène de violence», souligne Patrice Renaud. La thérapie devrait en principe modifier la donne.

Traquer le regard

Patrice Renaud pousse l'expérience plus loin: il a fait breveter en 2006 un appareil qui enregistre la réponse oculaire dans l'environnement 3D. Unique au monde.

«On traque le mouvement de l'oeil des patients pour étudier leur rapport avec les objets et les personnages virtuels présentés. On voit s'ils évitent du regard ou fixent certaines parties du corps», explique-t-il.

Les sujets normaux et les délinquants sexuels ont, selon l'étude, une façon bien différente de balayer du regard. «Pour contrôler la réponse érectile, il y a des patterns d'évitement oculomoteur évidents. On peut identifier les patients qui tentent de fausser les données de laboratoire en détournant les yeux.»

La réalité virtuelle arrive à motiver une clientèle souvent réfractaire au traitement. «Ils veulent recommencer, ils aiment se mesurer à la machine.»