La Coupe Rogers aurait dû s’amorcer ce lundi au stade IGA avec les meilleures joueuses du monde et une tenante du titre canadienne, Bianca Andreescu. La pandémie de COVID-19 a toutefois forcé le report de la compétition à 2021 et, faute de pouvoir suivre les exploits des athlètes, nous vous proposons à compter d’aujourd’hui un retour sur les 40 ans de cet évènement phare de la scène sportive à Montréal et au Canada.

L’histoire d’un succès

Les Internationaux de tennis du Canada sont disputés depuis 1881, mais ce n’est que depuis le début des années 1980 que le tournoi a vraiment acquis une dimension internationale. Et il le doit à la passion des quelques visionnaires qui étaient convaincus que le sport canadien pouvait être autre chose que le hockey !


Eugène Lapierre est l’un d’eux. Aujourd’hui vice-président principal de Tennis Canada, il est aussi le directeur de la Coupe Rogers. « Nous avons souligné l’an dernier le 40anniversaire du tournoi tel que nous le connaissons aujourd’hui, même si l’édition de 1980 n’était pas encore officielle », a-t-il rappelé récemment en entrevue.

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Martina Navratilova lors des Internationaux de tennis du Canada à Montréal, en 1980

« La première année, il s’agissait d’un tournoi invitation pour les femmes et c’est Martina Navratilova qui l’avait emporté. On jouait au vieux stade Jarry et je me souviens qu’il n’y avait que quelques centaines de personnes dans les gradins, même pour les quarts de finale. »

Un total de 8000 billets fut vendu pour ce premier tournoi qui offrait une bourse de 100 000 $. Pas vraiment un gros succès, mais le tournoi avait été disputé en pleines vacances de la construction et la pluie avait bousculé les horaires. Les bases étaient quand même posées et les organisateurs ont obtenu que le volet masculin des Internationaux soit disputé à Montréal l’année suivante.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Eugène Lapierre, directeur de la Coupe Rogers

Il faut se rappeler que ce tournoi a vu le jour en 1881 et qu’ils avaient toujours été disputés à Toronto ou dans sa région. Ils étaient venus une fois à Montréal, dans les années 1930, et les dirigeants de la Fédération ont décrété que c’était un fiasco, de façon à ne pas revenir.

Eugène Lapierre

« Le fait que le tournoi soit revenu en 1981, 100 ans plus tard, doit beaucoup à la commandite des cigarettes. La loi antitabac du gouvernement fédéral interdisait la publicité dans les médias, ne laissant que les bâtiments et les évènements. Tennis Canada est donc allé voir Imperial Tobacco… »

L’avenir du tennis canadien s’est ainsi joué dans le bureau de Paul Paré, le grand patron de la société de tabac, qui a accepté d’acheter les droits de commandite du tournoi pour plusieurs années, en fixant toutefois une condition : il fallait venir au Québec.

John Beddington, le premier directeur du tournoi, expliquait l’été dernier en entrevue : « Le plus compliqué a été de convaincre les dirigeants des circuits féminin et masculin que c’était possible de faire alterner les joueurs et les joueuses d’une ville à une autre. Quand cela a été réglé, la formule du tournoi a été fixée et elle a vite connu beaucoup de succès. »

Richard Legendre, qui a succédé à Bennington en 1990, ajoute : « Encore aujourd’hui, ce système d’alternance est unique dans le monde du tennis. »

Croissance des foules et des revenus

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Rafael Nadal se rend au court central avant la finale, l’an dernier.

C’est Legendre qui a géré la période de croissance du tournoi, avec notamment la transformation du vieux stade de baseball en un stade de tennis digne des grands circuits, un investissement de 39 millions : « Le tournoi allait déjà bien, mais nous savions qu’il nous fallait de meilleures installations. Ce nouveau stade, inauguré en 1996, a été un tournant dans l’histoire du tournoi. Il nous a permis de monter d’un cran au chapitre des foules et des commandites. »

De 8000 spectateurs en 1980, on est passé à plus de 223 000 en 2019 !

Notre tournoi est un happening dès les premiers jours et les joueurs se sentent vraiment appréciés. Nous offrons un bon spectacle et ça commence avec la présence d’un public connaisseur qui est prêt à applaudir et à encourager les joueurs.

Eugène Lapierre

« Il y a une proportion intéressante de touristes parmi nos spectateurs, mais ce sont quand même majoritairement les Montréalais, les Québécois qui envahissent le stade, et ça aussi, c’est une composante importante de nos succès. »

Et sur le plan des commandites, les revenus ont aussi explosé.

Claude Savard, vice-président aux partenariats corporatifs de Tennis Canada, s’est joint à l’équipe du tournoi en 1990. « Je suis le plus vieux de l’équipe actuelle puisque j’ai commencé avec Richard Legendre, souligne-t-il avec fierté. Nous avons la chance d’avoir un tournoi qui est vite devenu un évènement majeur à Montréal et nous avons pu bénéficier rapidement de commandites importantes.

« Nous avons évidemment dû nous adapter à la situation, particulièrement quand nous avons perdu la commandite du tabac [en 2000]. Il ne faut pas oublier que c’est Imperial Tobacco qui nous a “mis sur la map” et nous avons eu la chance de dénicher d’autres partenaires majeurs, d’abord AT & T, puis Rogers. Par la suite, nous n’avons plus jamais regardé en arrière. »

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La perte des revenus de commandites de tabac a été un dur coup pour les Internationaux du Canada. Sur la photo, on voit le stade, alors appelé Du Maurier, en 2000.

La popularité du tournoi auprès des joueurs permet d’amener les meilleurs à Montréal, mais Claude Savard insiste : « Il y a eu des années où certains joueurs n’étaient pas là, des périodes où il n’y avait pas de vedettes locales, mais cela ne nous empêchait pas d’attirer les commanditaires. Pour ces derniers, c’est surtout notre public qui est intéressant, ce sont les amateurs qu’ils veulent rejoindre et la clientèle reste déterminante, au point de vue corporatif.

« Les services que nous offrons sont établis en fonction de ça. Je me souviens d’avoir dit à Richard Legendre, il y a plusieurs années, que nous commencions à manquer de place pour les salons privés. Nos nouvelles installations ont permis de corriger ça et nous travaillons constamment à améliorer le site du tournoi afin de bien servir nos partenaires, d’aller en chercher de nouveaux et de les conserver longtemps. »

Cette combinaison du succès populaire et commerciale permet à la Coupe Rogers d’être la principale source de financement de Tennis Canada, et ce sont plusieurs millions qui ont été réinvestis dans le développement du sport au cours des années.

Avant la pandémie, ce beau succès n’avait été compromis que deux fois. En 2000, on l’a dit, quand le tournoi a perdu la commandite d’Imperial Tobacco, mais aussi quelques années plus tôt, en 1997, quand les joueurs du circuit masculin ont voulu diminuer le nombre de tournois.

« Nous avons réussi à garder notre place parmi les tournois Super 9, puis Masters 1000, raconte Eugène Lapierre, mais la question de notre statut revient régulièrement. On a longtemps pensé qu’il faudrait se battre avec le tournoi de Cincinnati, qu’il n’y aurait de la place que pour l’un de nous en Masters 1000, mais l’ATP a décidé de garder les deux.

« Il y aura d’autres occasions, car la situation reste très volatile. Le défi quand je suis arrivé [en 2001] était de ne pas nous laisser distancer par la concurrence au plus haut niveau. Avec nos moyens, nous avons réussi à développer des installations de qualité et un tournoi dont le succès ne s’est jamais démenti. Nous devrons continuer de le faire au cours des prochaines années. »

Les artisans du tournoi

Eugène Lapierre insiste pour le préciser : le succès de la Coupe Rogers, c’est un gros travail d’équipe et il estime pouvoir compter sur une « super équipe ».

« J’ai la chance d’être entouré de gens extrêmement compétents qui maîtrisent parfaitement leurs secteurs. Notre succès, ça commence par vendre le tournoi, et Claude Savard s’occupe de tous nos partenaires corporatifs.

« Il y a aussi Paola Toribio, qui dirige notre billetterie à Montréal et qui s’assure que les amateurs soient bien servis à ce chapitre. Claudine Ferragut est une autre collaboratrice importante au financement.

« Richard Quirion fait un gros travail aux opérations, alors que nous avons embauché récemment Nicolas Joël, qui venait de passer 10 ans au Palais des congrès, pour diriger nos installations.

« Jean-Marc Bouffard s’occupe de l’intendance de stade et du tournoi. Il est le fils de Jean-Guy Bouffard, qui avait été avec nous pendant plusieurs années. Ces deux-là connaissent littéralement tous les vis et les boulons du stade IGA !

« Et je ne veux pas oublier Valérie Tétreault, aux communications, qui fait un boulot remarquable et avec qui c’est tellement agréable de travailler. »

Un stade et un centre d’entraînement

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Le parc Jarry et le stade IGA, en 2018

François Godbout siégeait au conseil d’administration de Tennis Canada, au tournant des années 1980, quand la direction d’Imperial Tobacco a exigé que les Internationaux de tennis soient disputés au Québec.


« Il s’est donc mis à la recherche d’un site et m’a raconté être venu au stade Jarry en plein hiver pour sauter la clôture afin d’évaluer la possibilité d’aménager des terrains de tennis, raconte Eugène Lapierre, directeur de la Coupe Rogers. C’est devenu réalité en 1980 et nous y sommes depuis ce temps-là ! »

« Pendant 15 ans, on s’installait dans le stade quelques semaines avant le tournoi pour déménager tout le matériel et aménager le site. Et après le tournoi, il fallait tout ramasser. »

Lapierre était à l’époque l’adjoint du directeur du tournoi, Richard Legendre. Ceux qui ont connu le vieux stade savent qu’il n’était guère approprié pour le tennis et Legendre avait vite compris que la rénovation du site était son dossier prioritaire.

À la fin des années 1980, on voyait que le stade Jarry était devenu un peu trop “pittoresque”, c’est-à-dire désuet. On s’est mis au travail, mais il a fallu convaincre six gouvernements successifs avant d’avoir le financement nécessaire pour aller de l’avant et construire ce nouveau stade vraiment adapté au tennis.

Richard Legendre

Avec une capacité de 11 715 places, des salons, des loges et des espaces pour les médias, ce stade est plus conforme aux exigences des circuits féminin et masculin. L’ajout du court Banque Nationale en 2004 a augmenté la capacité totale du site et le tournoi a régulièrement établi depuis des records d’assistance pour un tournoi d’une semaine, autant pour les femmes que pour les hommes.

En plus de ses stades, Tennis Canada a profité des travaux de rénovation pour aménager un centre de tennis intérieur accessible au public. Richard Legendre se souvient de l’intervention décisive du ministre des Finances de l’époque, André Bourdeau, qui l’avait convaincu de la pertinence d’aller chercher quelques millions de plus pour un projet beaucoup plus porteur socialement.

C’est dans ce centre de tennis qu’allait être créé quelques années plus tard, en 2007, le Centre national d’entraînement qui est au cœur du formidable développement des joueurs canadiens depuis quelques années. « Aujourd’hui, les autres pays envient les succès des Canadiens sur la scène internationale, rappelle Eugène Lapierre. Pour moi, tout ça a commencé en 2007, quand nous avons eu l’audace d’aller chercher Louis [Borfiga] en France et de mettre sur pied cette structure. »

« Ce Centre a permis au tennis canadien de réaliser de grands progrès dans un laps de temps assez court, souligne pour sa part Borfiga. Nos joueurs n’ont pas atteint les sommets du tennis uniquement à cause du Centre, ils le doivent à leur talent. Mais le Centre leur a offert le cadre pour réaliser tout leur potentiel. Mais il ne faut pas s’asseoir sur nos lauriers, bien au contraire, particulièrement en cette période difficile. »