Depuis trois semaines, tout va comme sur des roulettes pour Mohamed Farsi. Le Québécois a réalisé deux passes décisives et est au cœur de la série de trois victoires du Crew de Columbus grâce à sa fougue habituelle qui tient toujours les 90 minutes de jeu. Bref, rien d’anormal, à l’exception d’un petit facteur digne de mention.

Farsi, qui jeûne durant la période du ramadan, n’a pas mangé ni bu quoi que ce soit lors des 15 heures précédant chacune de ces trois rencontres. À la 18e minute du duel contre le Real Salt Lake, disputé la semaine dernière, l’officiel a commandé une « pause rafraîchissement », comme on peut le voir lors des matchs joués sous une chaleur accablante.

Alors que les joueurs se sont dirigés pour se désaltérer, Farsi et l’autre musulman de la formation du Crew, Steven Moreira, ont rapidement ingéré des dattes et une boisson vitaminée avant de regagner leur poste. Un total de 60 secondes se sont écoulées entre les deux coups de sifflet.

Cet arrêt est une nouveauté en MLS. Le circuit Garber a emboîté le pas après que les championnats anglais et allemand eurent fait une annonce similaire plus tôt en mars. La grande majorité des matchs en MLS jusqu’au 20 avril devrait être la scène d’une pause semblable au coucher du soleil.

Ça fait plaisir de voir cette ouverture d’esprit. C’est une minute à des musulmans pour couper leur jeûne. Ça ne fait de mal à personne, en vérité. C’est une forme de respect.

Mohamed Farsi, joueur du Crew de Columbus

Hassoun Camara, défenseur de l’Impact de Montréal pendant sept saisons, a également foulé le terrain alors qu’il jeûnait à l’occasion du ramadan. S’il apprécie l’initiative, il n’en aurait pas été l’instigateur.

« Il y a des règles de jeu. Si la fédération dit qu’il n’y a aucune raison d’arrêter les matchs, je serais même enclin à être de l’avis de ces fédérations-là, a-t-il mentionné lors d’un entretien téléphonique. Il y a une ouverture et c’est bien. Il faut aussi préciser qu’aucun joueur n’a demandé quoi que ce soit. Donc il faut respecter le choix des fédérations, peu importe leur décision. »

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Hassoun Camara avec l’Impact de Montréal en 2017

Farsi est également d’avis qu’une telle pause n’est pas impérative. Mais seulement parce que le piston droit du Crew est un fin stratège.

« Je vais juste demander à mon gardien de faker une blessure et je vais aller manger, a-t-il lancé en riant. Sans blague, peu importe la décision, on va trouver une solution. Le fait qu’une mesure de la sorte soit prise nous facilite la tâche, mais ultimement, on va la prendre, cette minute-là. »

Rester au sommet de son art

Farsi a expliqué sa routine en long et en large à La Presse lors d’une visioconférence. Tout commence avec un déjeuner sucré à 5 h du matin afin de manger un bon repas avant le lever du soleil. Il retourne ensuite se coucher jusqu’à ce qu’il doive quitter sa maison pour l’entraînement du club. Son prochain repas n’arrive qu’aux environs de 20 h où il prend un plat assez léger, généralement une soupe. C’est ensuite vers 23 h qu’il prend son troisième repas de la journée, un mets consistant. Et ainsi va le jour de la marmotte pendant un mois.

Tout est réglé au quart de tour aujourd’hui. Camara et Farsi ont affirmé que ce n’est cependant pas plus difficile d’accomplir leurs activités pendant le ramadan.

Farsi s’est même permis de voir du positif au quotidien, encore une fois grâce à une petite blague.

Est-ce une charge de plus ? Non, pas vraiment. C’est plutôt une de moins, car je n’ai pas à calculer ce que je mange !

Mohamed Farsi, joueur du Crew de Columbus

Le mot d’ordre pour Farsi est de ne jamais se servir du ramadan comme excuse : « Personnellement, période du ramadan ou pas, je trouve que j’ai de l’énergie et je suis capable de courir. Alors si je ne suis pas bon, je ne vais pas mettre ça sur le dos du ramadan, car je l’ai fait depuis des années. Si je ne suis pas bon, c’est parce que je ne suis pas bon. »

PHOTO DAN HAMILTON, ARCHIVES USA TODAY SPORTS

Mohamed Farsi (à gauche)

Non seulement ce n’est pas un point négatif selon les deux sportifs, mais Camara explique que, selon lui, le ramadan a été un moment précieux.

« Ça peut être bénéfique, dit l’ancien défenseur droit. Il me permet de réajuster le plan alimentaire pour être plus performant. En changeant tes habitudes, tu équilibres les choses. Pour moi, ç’a toujours été une période de réajustement. »

Confondre les sceptiques

Si les entraîneurs de Camara et de Farsi ont toujours été empathiques et ouverts d’esprit, dont certains qui ont adapté les séances d’entraînement pour mieux convenir aux joueurs pendant la période du ramadan, ce ne sont pas tous les entraîneurs qui ont cette sensibilité.

Plus tôt en avril, l’entraîneur-chef de Nantes en première division française, Antoine Kombouaré, a décidé de ne pas sélectionner le défenseur Jaouen Hadjam lors de la rencontre contre le Stade de Reims puisque le joueur ne voulait pas rompre son jeûne lors des jours de matchs. Lors des neuf derniers duels du club, Hadjam a été titularisé à sept reprises et a été remplaçant deux fois.

Une décision que Camara et Farsi ont fustigée.

« Du point de vue de la communication de l’entraîneur, je trouvais ça injuste, déplore Camara. Ce n’est basé que sur de la théorie et il termine en imposant une sanction. On a l’exemple concret d’un Karim Benzema qui a inscrit six buts en une semaine avec le Real Madrid tout en faisant le ramadan, donc il n’y a pas spécialement de corrélation.

« Il y a des joueurs qui se sentent moins bien et on doit les écouter. Mais à partir du moment où un joueur est apte, il n’y a aucune raison de l’enlever. […] S’il est performant, il n’y a aucune raison de le laisser sur le banc. »

Dans une méritocratie, la base d’un club sportif, la sélection des joueurs a toujours été imputable à leurs performances. Personne n’a empêché Maradona de jouer, car il aimait la fête jusqu’à tard le soir, alors si ledit joueur offre une bonne performance pendant le ramadan, pourquoi serait-il laissé sur le banc ? La question s’impose.