Wilfried Nancy le dit sans détour : le style de jeu qu’il souhaite voir ses joueurs appliquer sur le terrain, il « n’est pas facile ».

« Je leur demande de mettre leur ego en danger, d’être courageux, explique-t-il dans un entretien virtuel avec La Presse. […] Je pars du principe que dans mon approche et dans les valeurs que je prône, le fait de prendre des initiatives dans la vie, ça t’amène quelque chose même si tu ne réussis pas. Tu as plus de confiance, plus d’ambition. »

Pourquoi vous parle-t-on spécifiquement des stratégies de l’entraîneur-chef du CF Montréal en ce doux samedi matin ?

C’est qu’elles ont été le sujet de débats et de questions, chez les partisans autant que chez les journalistes, dans les dernières semaines. Les résultats couci-couça du onze montréalais en ce début de saison de la MLS ont motivé les critiques. Le club a accordé 15 buts en 6 matchs. Plusieurs d’entre eux ont été qualifiés de « ridicules » ou d’« évitables ».

Mais Nancy ne dérogera pas de sa philosophie. Sa réponse lorsqu’on l’interroge à ce sujet est sans équivoque.

Pour moi, c’est la meilleure façon de gagner. Je peux aller dans un autre club, mais Wilfried Nancy, sa façon de jouer, ça va être comme ça.

Wilfried Nancy

N’ayez crainte, il ne menace pas ici de partir vers d’autres cieux. Loin de là. Il se plaît très bien dans son rôle d’« entraîneur formateur ».

« La raison pour laquelle je fais ce métier-là va au-delà de gagner ou de perdre. Je fais ce métier-là pour créer une synergie, une union, une dynamique collective avec les gars. Après, les gars s’expriment sur le terrain par rapport à un projet de jeu. C’est pour ça que je n’oublie jamais les joueurs. Parce que je les mets en danger. […] Ils prennent du plaisir par rapport à ça. »

Mais alors, quel est son fameux système ? vous demandez-vous sûrement à ce moment précis de votre lecture.

Plongeons ensemble.

« En une passe, ou deux, on peut aller au but »

« Si je résume mon modèle de jeu, c’est la créativité à l’intérieur de la structure », explique Nancy de l’autre côté de l’écran, assis dans son bureau du Centre Nutrilait.

On dit souvent que l’entraîneur-chef du CFM souhaite construire le jeu à partir de l’arrière. La croyance populaire veut qu’impérativement, le gardien doive toujours faire la courte passe à son défenseur devant lui. Que le défenseur doit ensuite remettre au milieu de terrain, puis qu’on monte graduellement sur le terrain.

C’est de cette conception qu’émanent les plus vives critiques. Notamment parce que la passe courte devant le filet a mené à plusieurs revirements coûteux en 2022.

« Ce n’est pas que j’essaie de partir de l’arrière, corrige Nancy. L’objectif est d’éliminer le plus de lignes possible pour aller au but. »

Les « lignes » sont le résultat des positions des joueurs sur la pelouse. Une formation classique du 4-4-2, par exemple, consiste en quatre défenseurs, deux ailiers et deux milieux de terrain centraux, ainsi que deux attaquants de pointe. En 2022, on a vu le CF Montréal en position de 3-4-3 ou en 3-4-2-1, donc avec une défense à trois.

Sans aller dans le détail, on peut simplement imaginer que si le ballon est au pied du gardien, il faut généralement traverser au moins trois rideaux de joueurs adverses pour se rendre au but.

« Si l’équipe adverse ne défend pas bien, si elle est tout écartée, pourquoi ferait-on des passes ? demande Nancy. En une passe, ou deux, on peut aller au but. »

« Par contre, si elle est bien en place, notre projet de jeu, c’est d’essayer de trouver une ouverture pour éliminer les lignes. Soit on va porter un peu plus la balle, soit on va faire plus de passes pour que les espaces s’ouvrent et qu’on soit capables de les pénétrer. »

Il compare son idée à ce qui se fait chez d’autres équipes. Comme celles qui décident d’utiliser le long botté du gardien pour mettre le ballon en jeu, et se battre pour la possession par la suite.

« Il y a des équipes qui préfèrent avoir le ballon et l’envoyer devant, puis jouer sur les deuxièmes ballons. Je respecte ça, mais ce n’est pas mon approche. Je pars du principe que plus on arrive à éliminer des lignes avec l’équipe adverse qui vient nous chercher, si on le fait bien, il y a automatiquement une occasion de but. »

Le défenseur Alistair Johnston, rencontré en mars avant la dernière trêve internationale, avait expliqué la structure montréalaise en d’autres termes.

« On veut absorber la pression et jouer de l’arrière, avait-il analysé. En tant que défenseur, tu te retrouves dans de nombreuses batailles à un contre un. »

Des altercations avec les joueurs adverses les plus avancés, notamment.

« Tu forces les ailiers et les attaquants à défendre et c’est la dernière chose qu’ils veulent faire. »

On revient à Nancy.

« Mon gardien peut jouer avec sa deuxième ligne, donc la ligne du milieu de terrain, précise l’entraîneur-chef. Il peut jouer avec sa ligne d’attaquants. Il n’y a pas de problème. Ce qui m’importe, c’est vraiment de jouer en fonction de l’opposition. »

À ce moment, Wilfried Nancy met le dos de sa main ouverte devant la caméra pour illustrer son propos.

« Si l’opposition est fermée comme ça [il resserre ses doigts les uns contre les autres], on va essayer de faire des passes pour que l’opposition s’ouvre [il écarte ses doigts] et qu’après on pénètre [il insère l’index de son autre main en serpentin entre ses doigts écartés]. Si l’opposition est bien en place, on va essayer de trouver une ouverture pour jouer dans l’espace. C’est pour ça que je crois que lorsqu’on sort de l’arrière et que c’est bien fait, on a automatiquement une situation de but. »

Si tout va bien, ça crée du jeu excitant, rapide, qui décontenance l’adversaire. Mais ce qui a fait défaut jusqu’à présent, « c’est l’exécution ».

« Mon équipe est jeune, concède l’entraîneur. Elle manque d’expérience à un certain moment. »

« Pas dans la même catégorie » que les autres équipes

On le disait plus tôt : Wilfried Nancy se voit comme un « entraîneur formateur ».

« Je sais très bien où je suis, indique-t-il. Je sais que je suis dans un club où on ne va pas dépenser d’argent pour des vedettes, ou très peu. Du coup, je dois former les joueurs que j’ai sous ma main. […] On doit s’ajuster, les faire progresser. »

Il se réfère à l’année 2021, une saison qui « n’était pas dans la normalité ». Le CF Montréal a dû déménager aux États-Unis pour la première moitié de sa saison… ce qui ne l’a pas empêché de déjouer tous les pronostics et de passer à un cheveu de se qualifier pour les séries.

« Je suis quelqu’un qui prône le jeu, qui aime prendre des risques. Si on n’avait pas fait ça l’année dernière, on n’aurait pas écrit l’histoire qu’on a écrite. […] On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Il faut que le club soit conscient de ça. Nous, on l’est. Il faut aussi que les fans en soient conscients. »

Sans limites

On demande à Nancy si la situation actuelle du club lui permettra dans un avenir quelconque de se battre pour un championnat – la Coupe MLS, en l’occurrence.

« Je vais faire très attention parce que là, on marche sur des œufs, commence-t-il par répondre. La philosophie que j’ai avec mon équipe, c’est d’être sans limites. Être sans limites, ça veut dire qu’on peut gagner la Coupe MLS, comme on peut ne pas faire les séries. »

« J’espère bien qu’on va gagner un championnat. C’est une chose qui est fabuleuse. Pourquoi ne pas penser à ça ? On est des compétiteurs. Oui, bien sûr, il y a des différences de niveau, pas de problème. C’est pour ça que le sport est extraordinaire. Tout est possible. »

Wilfried Nancy le dit lui-même : « On n’est pas du tout dans la même catégorie avec les autres équipes. »

« Par contre, quand on est sur le terrain, on joue notre football », conclut-il, le ton frondeur.

Pour le plaisir de jouer

PHOTO VINCENT CARCHIETTA, USA TODAY SPORTS

« On donne de l’autonomie aux joueurs tout en respectant un plan de jeu », fait valoir Wilfried Nancy (à droite).

La philosophie de jeu prônée par le CF Montréal est intrinsèque à celle de son coach, Wilfried Nancy. Mais selon le directeur sportif Olivier Renard, tout part d’en haut.

« Chez nous, un entraîneur doit se plier à la philosophie du club pour accepter d’être entraîneur », lance-t-il au bout du fil.

« À la base, c’est moi qui demande d’avoir un jeu avec une identité sportive, qui ressemble à ce qu’on est en train de faire », ajoute Renard.

« La philosophie de jeu de partir de l’arrière, je sais que c’est un sujet un peu délicat pour le moment parce qu’on a pris des buts ridicules depuis le début de la saison en prenant trop de risques. Mais ce n’est pas l’entraîneur qui demande de prendre des risques comme ça dans les 16 m. Oui, il veut un football propre. Mais les joueurs doivent être assez matures pour savoir si la passe est risquée ou pas risquée. »

De la créativité dans une structure

Laurent Ciman, entraîneur adjoint de Nancy, est heureux de voir l’implantation de cette structure au CF Montréal.

« On a une identité, dit-il au téléphone. On n’en avait pas dans le passé et ça m’énervait un peu. On se positionnait tout le temps en victimes. On attendait. Et on repartait en contre-attaque. C’était comme ça qu’on marquait la plupart de nos buts. »

« Là, on a un style de jeu, une identité, une philosophie, on a envie de la mettre en place, de proposer un football attrayant et efficace. On donne les clés aux joueurs. C’est à eux de choisir et dire : “Voici la meilleure solution qui s’offre à moi.” »

Son propos fait écho à la théorie de Nancy étayée dans le premier onglet : la créativité à l’intérieur de la structure.

« Les joueurs doivent être dans des positions bien précises, expose Wilfried Nancy. Mais à l’intérieur de ces positions bien précises, c’est eux qui développent leur jeu par rapport au plan de match et par rapport à l’adversaire. C’est quelque chose qui est – si je peux me le permettre – jouissif. On donne de l’autonomie aux joueurs tout en respectant un plan de jeu. »

Un modèle apprécié des joueurs

Cette autonomie est bienvenue, selon Alistair Johnston.

« La responsabilité qui est mise sur les défenseurs est quelque chose que l’on désire ardemment, estime l’international canadien. […] L’entraîneur veut qu’on joue avec intensité, qu’on prenne des risques. Évidemment, si tu joues avec le feu, tu te brûles de temps en temps. Mais quand tout fonctionne, on fait flèche de tout bois. »

Parce que oui, les joueurs l’aiment, ce modèle de jeu.

« Ç’a été une des premières choses que Djordje Mihailovic m’a dites après un an, raconte Olivier Renard. Kamal Miller aussi. Ils me parlaient du plaisir qu’ils avaient à jouer. Alistair Johnston vient chez nous en grande partie parce que quand il jouait contre nous avec Nashville, il parlait avec ses coéquipiers du fait qu’on avait un bon style de jeu. »

Plaisir et émotions

« Je regardais les matchs et j’étais intrigué de voir à quel point ils avaient la liberté de s’avancer vers l’avant », a effectivement affirmé Johnston en mars.

« Il y a des joueurs qui ont de grands résultats avec leur équipe, mais qui n’ont pas de plaisir, renchérit Olivier Renard. Et ça, c’est grave. »

« Le plaisir est le mot d’ordre, fait valoir Nancy. Je dis souvent aux joueurs : “Les gars, vous n’êtes pas ambulanciers, vous ne sauvez pas des vies, vous êtes là pour donner des émotions aux gens.” »

« Moi, ce que je contrôle, c’est le projet de jeu, dixit Nancy. Je veux avoir une équipe excitante à voir jouer. Pas pour que ce soit beau, même si j’aime ça, je ne vais pas le cacher. Mais pour moi, ma conviction, c’est que c’est le meilleur moyen de gagner un match. »