La formulation varie, mais le message demeure généralement le même. Pour les gens qui ont frôlé la mort, la perception de la vie change à tout jamais. Dans le bon sens.

À l’hiver 2020, avant le début de la pandémie, Paul Mortas et les autres joueurs de soccer des Carabins de l’Université de Montréal affrontent ceux de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). À l’intérieur, évidemment.

Sur le terrain, à sa deuxième saison, ça ne va pas très bien pour le Français d’origine. La bourse du défenseur latéral gauche – qui joue peu – ne sera pas renouvelée en raison de ses performances insatisfaisantes. Le coach Pat Raimondo est sur le point de lui apprendre qu’il sera éjecté de l’alignement.

Pendant le match, Mortas subit une commotion cérébrale – « assez violente, quand même » – causée par un choc tête contre tête. L’étudiant-athlète aura besoin de quelques semaines sans cours pour récupérer. Même pas de cellulaire. Le repos complet.

Il n’y a pas de lien direct entre la commotion et ce qui suivra, même s’il n’était pas remis entièrement, encore affaibli par le choc à la tête. Simplement, ça a peut-être pu jouer « en sa défaveur », lui aurait-on dit à l’hôpital.

Quoi qu’il en soit, pour Paul Mortas, c’est le point de départ d’une période très difficile dont le pire est à venir.

In extremis

En mars, mal de gorge. Plus que de simples maux, en fait. Sa gorge enfle. La respiration commence à être difficile. Une semaine plus tard, il ne pourrait plus manger ni boire.

Alors qu’il entame ce bout du récit, on le devine toujours affecté par l’évènement.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Après son parcours universitaire, Paul Mortas aimerait avoir sa chance au niveau professionnel.

« C’est encore hyper frais parce que quand j’en parle, j’ai le souffle coupé comme si j’y étais », dira-t-il plus tard pendant l’entrevue.

Paul Mortas va donc consulter un médecin. Rien d’anormal ne sera détecté – y compris dans les prises de sang – et il rentre chez lui avec une ordonnance.

Sauf que rien ne change. Au contraire, sa situation se dégrade. Les difficultés respiratoires prennent de l’ampleur, il maigrit. Il perdra, au bout du compte, 45 de ses 170 lb.

Les jours se suivent et les symptômes persistent. Jusqu’à ce qu’il ne puisse même plus trouver le sommeil.

« C’est un truc qui m’a quand même apeuré. Je n’étais plus capable de dormir allongé. Ça me faisait trop mal aux poumons. Sur le coup, je n’étais pas tellement paniqué. »

J’étais malade, je savais, mais je ne pensais pas que c’était aussi grave.

Paul Mortas

Affamé, déshydraté, épuisé, il ira tout de même consulter rapidement à nouveau. À l’hôpital, cette fois-ci. Par ses propres moyens, mais difficilement.

Après un test de COVID-19 négatif, il est encore retourné à la maison avec une ordonnance, ce qui le surprend un peu cette fois, étant donné son état et des signes physiques manifestement inquiétants.

Puis, autre nuit blanche, autre visite aux urgences. À son arrivée, on lui fournit un masque, COVID-19 oblige.

« Mais je n’étais pas capable de respirer en le portant », assure-t-il.

C’est ce qu’il explique à la dame qui revient constamment lui intimer de le remettre. Jusqu’à ce qu’elle s’impatiente, appelle son supérieur, et que ce dernier amène Paul ailleurs, lui donnant ainsi priorité sur d’autres patients.

« J’ai appris par la suite que ça s’est joué à quelques heures. Si j’avais attendu plus, ç’aurait été fini », raconte-t-il.

Des poumons troués

À l’Hôpital général juif, il est plongé dans un coma artificiel pendant cinq jours. Des nouvelles de l’évolution de son état sont régulièrement données à sa famille, en France. Mais pas de bonnes nouvelles. À ce moment, il est possible qu’il ne s’en sorte pas. Et, en raison de la pandémie, ses proches ne peuvent pas se déplacer à Montréal.

Pendant son coma, il est transféré à l’Hôpital général de Montréal. Sans informations depuis quelques jours, ses parents le croient mort, à plus de 5000 km d’eux.

« Tu imagines ? », demande-t-il…

Évidemment, Paul Mortas n’est pas conscient de tout cela. Heureusement. Puis, il est sorti du coma.

Ça a été un gros choc de se réveiller dans une nouvelle pièce avec des gens que je ne connaissais pas. J’étais un peu affolé. C’était vraiment dur.

Paul Mortas

L’étudiant de 21 ans dit avoir subi tous les tests envisageables : scans, biopsies, échographies et radiographies, notamment. Une panoplie de spécialistes ont été mis à contribution.

« Absolument tout a été fait », dit-il.

Et alors ? Mystère. Sans doute une infection, mais aucun diagnostic précis. Le dossier sera plus tard envoyé à ses médecins français, qui ne comprennent pas davantage.

La cause, donc, demeure inconnue. Mais pas les ravages, par contre.

« Même moi, qui étais complètement shooté par les médicaments, je voyais qu’il y avait un problème. J’avais des trous de plusieurs centimètres dans les poumons. Ils étaient perforés, entaillés. On se demandait comment c’était possible que je vive encore. »

En tout, il passera 29 jours à l’hôpital. Seul.

La rééducation

« Quand je me suis réveillé, j’ai appris que j’avais frôlé la mort. Ça met quand même un sacré coup au moral. Quand tu es jeune, tu ne penses pas à des choses comme ça, tu te penses immortel », souligne Paul Mortas.

Avant toute chose, il devra réapprendre à marcher. La case 1, disons.

Par délicatesse, le corps médical attend un peu avant de lui annoncer la suite. Avec ce que ses poumons ont subi, reprendre le sport sera « compliqué », lui fait-on savoir. Traduction : fort probablement impossible.

Pendant trois semaines, l’étudiant en psychologie et sociologie s’astreint à des suivis tous les trois jours, la prise d’antibiotiques et des perfusions qu’il se fait lui-même. À 20 h, il est au lit, vidé.

On lui avait dit de compter au moins un mois avant de marcher de nouveau. Il coupera la cible de moitié.

Les premières étapes passées, sur la bonne voie, il rentre chez lui pour son anniversaire, en juin 2020, où il poursuivra sa rééducation. En raison de l’annulation de la saison de soccer universitaire québécois, il décide de passer l’année avec sa famille, à Amiens.

Une fois apte à regagner le terrain, il s’aligne avec un club de l’endroit.

Après cette saison où il s’est attelé à la tâche, a redoublé d’ardeur, il est revenu au Québec cet été en grande forme, avec une longueur d’avance sur les joueurs d’ici, privés de leur sport pendant une grande partie de l’année.

Une progression qui n’est pas passée inaperçue aux yeux de l’entraîneur-chef des Carabins. Vendredi dernier, à leur match d’ouverture, Mortas a été titularisé pour la première fois depuis son arrivée avec l’Université de Montréal, dans un gain de 6-2 contre Concordia.

Comment est-ce possible ? Cette infortune a décuplé sa volonté de réussir. Et, surtout, l’a ramené à l’essentiel sur le terrain : cesser de se poser des questions et s’amuser.

Après son parcours universitaire, Paul Mortas aimerait bien avoir sa chance au niveau professionnel. Quelques ex-coéquipiers des Carabins sont en CPL (Première Ligue canadienne). Ensuite, pourquoi pas la MLS ou l’Europe ?

Mais, chose certaine, peu importe la carrière professionnelle ou son absence –, il ne sera plus jamais la même personne.

« Juste boire un verre d’eau, se réveiller le matin, ce sont des trucs dont je n’étais plus capable de profiter et que je craignais ne plus jamais pouvoir faire. Depuis ce jour-là, j’apprécie vraiment la vie. J’apprécie chaque détail et c’est ça qui rend heureux. »