Un ex-joueur de soccer français fait son coming out dans un livre « coup de pied ». Courageux et nécessaire.

Il avait le talent. Le dynamisme. L’intelligence du jeu. Il aurait pu avoir une brillante carrière de joueur de soccer et, qui sait, se tailler une place dans l’équipe de France, comme son vieux pote Moussa Sissoko, arrière pour les Bleus. Mais Ouissem Belgacem avait un secret. Un secret qui lui a coûté ses plus grands rêves : il était gai.

Dix ans après avoir accroché ses crampons, l’ex-footballeur fait son coming out dans un livre courageux, Adieu ma honte, où il raconte son chemin parsemé d’obstacles et de préjugés. Un livre avec lequel il espère contribuer à combattre l’homophobie systémique qui sévit dans l’univers du ballon rond.

« C’est un cri d’urgence. Il faut vraiment faire changer les choses parce que le football est vraiment trop à la traîne en matière d’inclusion et de respect comparé à d’autres sports », dit-il au téléphone.

Né à Aix-en-Provence dans une famille d’origine tunisienne, Ouissem Belgacem a grandi dans une banlieue à l’ombre des HLM. Talentueux, il se retrouve dès l’adolescence dans le centre de formation du club de foot de Toulouse, où il se fait remarquer par son habileté naturelle. Son ascension est étonnante. À 19 ans, il joue même pour l’équipe nationale de Tunisie à la Coupe d’Afrique des Nations.

Mais la réalité finit par rattraper le rêve. Ouissem Belgacem découvre qu’il est gai, un secret lourd à porter dans un univers macho-tolérance zéro, où ses coéquipiers ne cessent de vanter leurs conquêtes féminines et de multiplier les clichés homophobes.

Le défi est d’autant plus grand qu’il est de confession musulmane, où l’homosexualité est largement condamnée. Même sa famille n’est pas au courant.

Ouissem fait « semblant » et joue du mieux la comédie dans un « théâtre » qui ne lui convient pas. Mais cette hypocrisie finit par hypothéquer sa confiance et avoir un impact sur ses performances.

J’avais déserté mon corps. Chaque jour, je devais mettre un masque.

Ouissem Belgacem

Dans l’espoir d’un changement, il part tenter sa chance aux États-Unis, où il croit naïvement que la situation s’améliorera. Il découvre que les préjugés sont aussi tenaces en Amérique. Mal dans sa peau, en perdition, il finit par prendre sa retraite du foot. Il n’a pas encore 21 ans. « J’en pouvais plus de faire semblant », résume-t-il.

Prise de parole exemplaire

Déménagé à Londres, il s’assume et s’épanouit loin du foot. Puis réconcilie sa religion et son orientation sexuelle. Il obtient une maîtrise avant d’être embauché par une importante société énergétique française.

Mais son amour pour le foot reste plus fort. Après 10 ans loin du ballon rond, il décide de revenir à son sport par une autre porte : il fonde One Track, une entreprise qui aide les pros à gérer leur après-carrière. Ses clients sont d’anciennes connaissances, des joueurs de la Premier League anglaise. Les affaires marchent.

PHOTO PASCAL ITO, FOURNIE PAR LES ÉDITIONS FAYARD

Ouissem Belgacem

Mais Ouissem réalise du même coup que la question de l’homophobie n’a pas beaucoup évolué dans le sport. Parce qu’il veut que ça change, et parce qu’il en a ras le bol de porter ce secret, il décide d’écrire un livre où il fera son coming out et s’attaquera au problème de front.

« Il y a des causes qui avancent toutes seules avec le temps, où les gens comprennent, dit-il. Mais j’avais l’impression que le football était un des secteurs où si on ne parle pas, si on ne donne pas un coup de pied à la fourmilière, rien ne change. C’est ce qui m’a décidé à parler. »

Lancé il y a deux mois, Adieu ma honte n’est pas passé inaperçu en France. En s’attaquant à un sujet aussi délicat, l’ancien athlète a jeté un véritable pavé dans la mare. Les médias ont sauté sur son histoire, et les réactions ont été nombreuses.

Ouissem dit avoir reçu beaucoup d’appuis en privé, mais se désole de ne pas avoir été soutenu publiquement par d’autres joueurs de foot ni par la Fédération française de football (FFF), qui est restée silencieuse. La preuve, selon lui, que la question de l’homophobie est « encore un sujet tabou » pour les acteurs du milieu.

Le foot, pire que tout ?

Les préjugés sur l’homosexualité dominent dans la plupart des sports d’équipe, surtout masculins. Mais selon une étude publiée en 2013, le soccer serait le plus homophobe de tous.

Selon Ouissem, cette réalité est le résultat d’une rencontre inévitable entre culture, machisme et religion, qui existe moins dans d’autres sports.

« Je pense que les gens qui composent le football sont souvent des gens qui, comme moi, viennent de milieux populaires, où il y a déjà beaucoup de préjugés sur l’homosexualité. Il y a aussi la dimension religieuse, que ce soit des joueurs musulmans de culture africaine, ou ceux qui viennent d’Amérique du Sud et qui sont très chrétiens. Quand on ajoute à cela une culture très macho, on a un cocktail explosif », dit-il.

Comment inverser la tendance et faire en sorte que le foot suive l’évolution des mœurs et de la société ? Ouissem a quelques propositions. Aux instances dirigeantes, d’abord, de prendre l’initiative. Les grandes organisations du foot font beaucoup pour combattre le racisme, mais très peu pour lutter contre l’homophobie.

Je peux vous assurer qu’il y a plus d’homophobie que de racisme dans le foot. Moi qui suis arabe et homo, je sais de quoi je parle.

Ouissem Belgacem

L’ancien joueur se dit particulièrement déçu que l’UEFA (Union des associations européennes de football) ait interdit au stade de Munich de s’éclairer aux couleurs arc-en-ciel LGBT lors d’un match de l’Euro entre l’Allemagne et la Hongrie, en réaction à une nouvelle loi homophobe adoptée par Budapest.

Par-dessus tout, il souhaite que les grandes stars du soccer se servent de leur influence positive pour lutter contre la discrimination sur l’orientation sexuelle. « Si les joueurs tiennent des propos tolérants inclusifs, ça va amener une vague de tolérance et de bienveillance. »

Encore mieux, dit-il, si une grande vedette finit par faire son coming out. On n’en est pas encore là, apparemment.

Invité à commenter la controverse sur le stade de Munich la semaine dernière, le joueur de l’équipe belge Thierry Meunier a ouvertement dénoncé l’homophobie et prôné la tolérance. Dans la foulée, il a toutefois déconseillé aux joueurs gais… de sortir du placard. Comme quoi il y a encore du chemin à faire.

Adieu ma honte

Adieu ma honte

Éditions Fayard