Quand la cloche annonçant la fin de son combat contre l'Américain Travis Stevens a sonné, Antoine Valois-Fortier a bondi sur ses pieds. Les bras en l'air, du sang sur son judogi, il a éclaté en sanglots. La journée avait été longue: six combats, dont cinq victoires - contre un champion olympique et un vice-champion du monde, notamment. Du lourd.

Son adversaire est resté étendu sur le dos, défait. Le Montréalais, originaire de Beauport, s'est alors mis à balayer du regard le grand amphithéâtre du Centre ExCel: il y avait quelques unifoliés, mais surtout les visages d'Américains qui ne comprenaient rien à ce qu'ils venaient de voir. «Antoine who?»

Valois-Fortier s'est soudainement arrêté, puis a pointé ses parents au loin dans la foule. Il a marché vers eux. Son père Stéphane a enjambé quelques rangées de sièges. Les agents de sécurité ont peut-être pensé intervenir. Mais ils ne l'ont pas fait.

Stéphane, encore dans les estrades, s'est penché comme il le pouvait. Son fils s'est mis sur le bout des pieds, et ils se sont enlacés. Le père avait la voix nouée par l'émotion, mais a tout de même réussi à prononcer une phrase: «Tony! Tony! T'as réussi, c'est incroyable!»

Antoine Valois-Fortier, 22 ans, venait de gagner une médaille de bronze chez les moins de 81 kg. La première du Canada en judo depuis 12 ans.

Quand il a entamé son premier combat, le matin, il était classé 16e au monde. Sa médaille et ses victoires contre ces adversaires prestigieux, personne ne les avait prédites. Personne à part peut-être l'entraîneur national Nicolas Gill et les parents du jeune athlète.

«Il a commencé le judo à l'âge de 4 ans. On a toujours su qu'il avait du talent. Mais ça fait seulement un an qu'on se rend compte qu'il est là-haut, avec l'élite, a confié mardi son père, Stéphane Fortier, professeur adjoint de judo au dojo de Beauport. Je pense qu'on l'a bien vu aujourd'hui!»

Une longue journée de travail

Valois-Fortier n'a pas volé sa médaille. Le sort lui avait réservé un parcours difficile. Son premier combat, vers 9h30 à Londres, l'opposait à l'Azerbaïdjanais Elnur Mammadli, médaillé d'or à Pékin, champion d'Europe en titre et troisième au monde. Le Québécois l'a emporté par décision unanime des juges (3-0).

Sa journée ne faisait que commencer. Il a ensuite passé un ippon retentissant au favori de la foule, le Britannique Euan Burton, 7e à Pékin. Puis, devant le Monténégrin Srdjan Mrvaljevic, vice-champion du monde en titre, il a été sans faille et a gagné par yuko et waza-ari.

Valois-Fortier a connu sa seule défaite du jour en quart de finale, contre le Russe Ivan Nifontov. Il a rebondi avec une victoire lors de son combat de repêchage contre l'Argentin Emmanuel Lucenti.

Enfin, dans le match pour la médaille de bronze, il a totalement dominé l'Américain Stevens, qui l'avait pourtant battu lors de leurs quatre dernières rencontres. Il était 16h30 lorsque la cloche indiquant la fin du combat a sonné. «Une grosse journée de travail!», a souligné Nicolas Gill.

«Je ne me rends pas compte de ce qui m'arrive, pour être honnête! , a lancé Valois-Fortier quelques minutes après son ultime combat. Je ne sais pas trop ce qui se passe, je suis juste super content. Je pense que je vais le réaliser au cours des prochains jours. Pour l'instant, je suis sur un nuage.»

Un nouveau Gill?

L'exploit est d'autant plus impressionnant que Valois-Fortier a failli abandonner son sport à cause d'une grave blessure au dos. En mars 2009, les médecins lui ont diagnostiqué deux hernies discales lombaires. Il a dû arrêter de s'entraîner pendant un an.

«Je n'aurais jamais pensé partir d'une blessure aussi grave et me rendre à mon rêve le plus fou. On me disait d'arrêter le judo, mais j'ai refusé. C'est énormément de sacrifices, j'ai vraiment travaillé très fort, j'ai vraiment tout donné chaque jour depuis ma blessure, et il faut croire que ç'a payé», a lâché le nouveau médaillé.

Cette blessure a masqué sa progression. Nicolas Gill, lui, assure qu'il connaissait l'ampleur de son talent. «Je savais depuis le début que c'était un de nos meilleurs espoirs. C'était plus une question de savoir quand il allait éclore que s'il allait éclore», a-t-il expliqué.

Les comparaisons ont fusé mardi entre la progression de Valois-Fortier et celle de Gill, qui avait surpris en remportant la première de ses deux médailles olympiques aux Jeux de Barcelone, en 1992.

«Antoine est comme Nicolas, il pense à trois choses dans la vie: le judo, le judo et le judo, nous confiait en fin de semaine un ancien judoka proche de l'équipe nationale. Il en mange. Il a une tête de judo.»

Selon Gill, qui a fait son second podium en 2000 à Sydney, la plus grande ressemblance tient dans ce respect commun pour l'effort. «Tout le mérite lui revient. Antoine a tout fait ce qu'il devait faire. C'est lui qui a décidé qu'il voulait remporter une médaille olympique. Le vendredi soir, au lieu d'aller prendre un coup, sa priorité, c'est d'aller faire du judo.

«Antoine a décidé de se rendre jusqu'au bout et that's it», a affirmé l'entraîneur, visiblement heureux.

Puis Antoine Valois-Fortier et Nicolas Gill sont partis enchaîner les entrevues et recevoir des félicitations. La nuit promettait d'être longue. Et pourquoi pas? Après tout, comme l'a si bien dit le père du judoka, c'était vraiment une journée incroyable.

Photo: AFP

Antoine Valois-Fortier avec son entraîneur Nicolas Gill.