(Tokyo) On ne les voit pas, mais leur chant métallique résonne partout en ville. Après la saison des pluies, voici venu le temps des cigales à Tokyo.

Impossible d’échapper à leurs différents bizz, buzz et autres bjit-bjit-bjits entêtants.

Des insectes forestiers par millions dans une mégapole de 35 millions, comment est-ce possible ?

Il est vrai qu’à vol d’oiseau, Tokyo est une mer de béton.

C’est bien mal connaître les oiseaux japonais, qui circulent rarement à vol d’oiseau. Le plus souvent, ils se contentent de voltiger à hauteur d’arbre, ou de buisson en corniche, quand ils ne bondissent pas tout simplement sur le sol, bong, bong, et seraient les premiers étonnés de la vue qu’on peut avoir à vol d’oiseau.

C’est aussi méconnaître la capitale nippone. Derrière les artères grouillantes bordées de gratte-ciels se dissimule tout un réseau de rues et de ruelles format miniature à échelle humaine.

Le moindre interstice est verdi.

La ville a été reconstruite en hauteur et en densité extrême depuis la Guerre. Mais à côté de son hypermodernité, le culte japonais pour la nature trouve à s’exprimer.

La ville a quelques grands parcs, bien sûr. Elle a surtout une multitude de petits squares plantés d’une hallucinante diversité d’arbres. Si bien qu’on peut trouver au bout de la rue un coin de vert, disons plutôt de verts au pluriel, vu la subtilité des aménagements.

PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE

Attraper les cigales avec des filets est une tradition estivale, à Tokyo, au grand amusement des enfants.

Et partout, la cigale trouve un habitat pour pousser ses hurlements érotiques. Les cigales ! Il y en a cinq espèces à Tokyo, manifestement toutes mieux équipées sur le plan sonore que celles de Montréal. Une fois qu’on sait ça, on réalise qu’il y a une variété de « chants » assez époustouflante.

Samedi, j’ai vu des enfants dans le petit parc près de l’hôtel avec ce que je croyais être des filets à papillons. Ce sont des filets à cigales. Une tradition estivale. Je ne sais pas si ça chante dans une cage à la maison, mais c’est comme avoir un AC/DC entomologique.

Je dis : laissons la nature tranquille.

Pour les Japonais, paraît-il, ce n’est pas qu’un bruit parmi d’autres. C’est l’annonce officielle des jours torrides du sauna tokyoïte, la signature joyeuse de l’été japonais. En lisant le Pavillon d’or de Mishima, elles m’ont semblé composer une sorte de trame sonore naturelle du roman, je comprends mieux pourquoi.

J’aime entendre la nature crier aussi fort derrière le masque rigide de cette ville.