Il y a un moment étonnant dans Chosen One, le tout nouveau documentaire au sujet d’Alexandre Daigle. Ce moment survient quand Daigle, avec sa candeur habituelle, admet qu’il a atteint le sommet de son potentiel… dans les rangs midget, à l’âge de 15 ans.

« Je me souviens, le match d’après, je ne voulais pas aller jouer. Mais le coach m’a dit, si t’avais pas marqué ton 50but, est-ce que tu voudrais jouer ? C’est sûr… mais je me sentais plus pareil. »

Devant nous, dans le resto d’un hôtel chic du centre-ville, c’est cet Alexandre Daigle là qui est attablé : franc, rieur, humble. Des regrets ? Pas tellement, comme on peut le constater dans le documentaire en question, offert depuis peu sur Prime Video.

Le titre, évidemment, fait référence à ce rôle de sauveur qu’on lui a imposé assez vite dans les minutes où les Sénateurs d’Ottawa ont prononcé son nom au tout premier rang du repêchage de 1993. Un rôle peut-être un peu trop immense, finalement, pour un jeune homme qui croyait que plus rien n’allait pouvoir battre ce 50e but obtenu trois ans plus tôt dans les rangs midget.

Je pleurais sur le banc lors de ce match-là… C’est comme s’il était arrivé de quoi. On parle beaucoup de santé mentale aujourd’hui, et c’était un peu ça. À cet âge-là, t’es vulnérable. Ma mère l’avait dit à mon agent Pierre Lacroix. Mais dans le temps, c’était mal vu. J’ai pas retrouvé ce feu-là après…

Alexandre Daigle

Ils auront été nombreux, dans le monde du hockey, à se demander ce que l’attaquant québécois aurait pu accomplir s’il avait été animé d’un plus grand désir de vaincre. Il a quitté pour de bon les glaces de la LNH après 2005-2006, avec une récolte de 129 buts et 198 aides pour un total de 327 points en 616 matchs. Des chiffres respectables, certes, mais pas assez respectables pour ceux qui voyaient en lui le prochain immortel.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENE

Alexandre Daigle, premier choix au repêchage de la LNH en 1993, entouré du commissaire de la LNH Gary Bettman et du président des Sénateurs d’Ottawa de l’époque, Randy Sexton

Au fond, c’est peut-être ce qu’on lui a toujours reproché : de ne pas avoir été le surhomme que l’on attendait. Il sourit quand on lui en parle… « Pour devenir super bon dans le sport, dans n’importe quel sport, il faut que ce soit la seule chose dans ta vie. Il faut que tu penses juste à ça.

« Je ne faisais pas l’effort supplémentaire, ajoute-t-il. Il faut toujours que tu travailles sur ton jeu, même l’été. Maintenant, c’est comme ça, mais dans mes années, c’était pas de même ; on arrivait au camp, fin juillet, début août, pour se remettre en forme. Le club me donnait un horaire d’entraînement, et c’est ça que je faisais. Pas plus. Y a bien des affaires comme ça que je savais pas… mais même si je l’avais su, je suis pas sûr que j’aurais fait ces efforts-là de toute façon. »

Il y a aussi que les attentes ne sont pas les mêmes avec un club d’expansion, ce que les Sénateurs étaient encore à son arrivée, la deuxième année d’existence du club. Ces Sénateurs-là ne gagnaient pas – fiche de 14-61-9 en 84 matchs en 1993-1994 –, et c’est Daigle, souvent, qui était montré du doigt pour ces insuccès, parce que c’est lui qui devait être le sauveur.

Parfois, les critiques se transformaient en accusations beaucoup plus graves. « Y a des choses qui sont sorties, et c’était pas vrai… »

Comme quoi ?

Comme les histoires de drogue… Un columnist à Ottawa avait écrit que je prenais de la drogue. J’ai jamais pris de drogue. Pour mes parents, ma mère surtout… ç’a pas mal été la pire affaire. Le reste, c’était des potins, des suppositions.

Alexandre Daigle

Pour ajouter à tout ça, en 1993, Alexandre Daigle a des airs d’électron libre dans le monde très conservateur du hockey. Avec ses pubs – surtout celle du fabricant de cartes sportives Score, où on le voit entre autres en infirmière –, son gros contrat de 12,2 millions de dollars sur cinq ans, et son numéro 91, il était peut-être trop en avance sur son temps.

PHOTO ROBERT GALBRAITH, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Alexandre Daigle devant le gardien du Canadien Jocelyn Thibault, en mars 1997

« J’ai toujours porté le numéro 8, mais ils m’ont donné le 91 dans le junior parce que j’avais été le premier choix (des Tigres de Victoriaville). Dans le pro, j’ai continué avec ce numéro-là, mais c’est une autre affaire que j’aurais dû changer. Dans le temps, presque personne ne portait des numéros élevés comme ça, et plus tard, Pierre Gauthier est venu me voir pour me dire “Alex, je pense que ce serait une bonne idée que tu changes de numéro”. C’était comme ça, il fallait entrer dans le moule. Aujourd’hui, les gars sont devenus des marques, ils sont sur Instagram, c’est bien vu maintenant. Mais il y a 30 ans… »

Il affirme que les fans des Sénateurs ont tout de même été corrects avec lui. Des huées ? Pas tant. « On a pris part aux séries à mes deux dernières saisons à Ottawa, j’ai eu ma meilleure année avec eux en 1996-1997, et ensuite j’ai été échangé… alors ils ont pas eu le temps de me huer ! »

Les valises

Après cinq saisons à Ottawa, Daigle est allé voir du pays : Philadelphie, Tampa, New York et les Rangers, Pittsburgh, et puis enfin au Minnesota avec le Wild de Jacques Lemaire.

Il conserve de moins bons souvenirs des Flyers et de l’entraîneur Roger Neilson, qui ont voulu en faire un joueur défensif, mais il conserve d’excellents souvenirs du Wild de Lemaire.

« Avec les Flyers, je l’avais pas réalisé sur le coup, mais quand t’es dans la Ligue nationale, il faut que tu saches ce que tu peux apporter. Où tu cadres dans l’équipe ? C’est la fameuse chaise… J’avais marqué toute ma vie et je pensais que j’allais devoir marquer toute ma vie. Mais peut-être que non. »

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Alexandre Daigle en 2003, dans l’uniforme du Wild du Minnesota

« Jacques Lemaire, les gens le connaissent pas beaucoup. C’est un gars qui parle pas, mais en partant, il va te dire exactement ce qu’il veut de toi. Il criait jamais, mais si tu faisais pas ce que t’avais à faire, tu sautais une présence. Ensuite, tu pouvais sécher sur le banc, et après, si ça marchait toujours pas, tu te retrouvais à manger du pop-corn en haut sur la galerie de presse. C’était clair avec lui. À ma première saison avec le Wild, j’ai fini premier marqueur du club… »

Après la deuxième saison au Minnesota, Daigle décide d’aller voir encore plus de pays, et cette fois, c’est en Suisse qu’il dépose son sac et ses bâtons avant de finir sa carrière. « Une très bonne décision et en plus, on a gagné deux championnats en quatre ans ! »

Et maintenant, que reste-t-il de tout ça ? Il reste une autre vie bien loin des projecteurs, à 48 ans, ce qui lui convient très bien, de toute évidence.

Entre le temps passé à diriger son fils dans les rangs pee-wee à Sainte-Julie, ou le temps passé à titre de producteur pour la télé, on sent chez lui que le passé importe bien moins que l’avenir.

On sent que la page est tournée, mais qu’il lui reste un autre récit à écrire. Celui du reste de sa vie.

« Finalement, j’ai joué quoi, 14 ans au hockey professionnel ? J’ai pas eu de blessure majeure, j’ai pas eu de commotion cérébrale. Je suis marié, avec trois enfants en santé… c’est pas si pire ! »

Alexandre Daigle en bref

  • Né à Montréal le 7 février 1975
  • 1er choix au repêchage de 1993 par les Sénateurs d’Ottawa
  • 129 buts et 198 aides en 616 matchs dans la LNH
  • Auteur d’une saison de 137 points en 53 matchs en 1992-1993 avec les Tigres de Victoriaville (LHJMQ)
  • Ses meilleures saisons : 20 buts et 31 aides en 84 matchs avec les Sénateurs en 1993-1994 \ 26 buts et 25 aides en 82 matchs avec les Sénateurs en 1996-1997 \ 20 buts et 31 aides en 78 matchs avec le Wild en 2003-2004