(Tempe, Arizona) En attendant que les Coyotes trouvent un peu de stabilité, le plus grand succès du hockey en Arizona est certainement le meilleur franc-tireur de la génération actuelle, Auston Matthews.

Mais quelque part dans le désert, il y a un Québécois qui sonne l’alarme : pour développer d’autres Matthews, ça prend des patinoires.

Ce Québécois, c’est Ronald Filion, ancien joueur professionnel en France, qui s’est établi en Arizona au terme de sa carrière. Il sait de quoi il parle, d’abord parce qu’il a dirigé un jeune Matthews dans le hockey mineur par ici, ensuite parce qu’il continue à entraîner les Bobcats de l’Arizona.

De Matthews, il se souvient d’un « gars de la gang », qui possédait déjà des talents hors du commun de tireur d’élite. Il n’était pas parfait non plus. « Il n’aimait pas tellement backchecker [se replier], se remémore Filion, amusé, entre deux bouchées de salade. Donc des fois, je devais le garder au banc, juste pour lui envoyer un petit message. Son père faisait de la vidéo pour nous, il ne disait jamais un mot même si je benchais son fils ! Ils étaient juste comme ça. »

Matthews ne lui en a visiblement pas tenu rigueur. L’attaquant a invité Filion au repêchage de 2016, là où les Maple Leafs ont réclamé Matthews au premier rang. C’était la première (et la seule) fois que Filion était invité à un repêchage. Il en a gardé une photo en souvenir.

PHOTO FOURNIE PAR RONALD FILION

Auston Matthews et Ronald Filion

« Il était formidable comme entraîneur, a raconté Matthews, lors de la visite des Maple Leafs au Centre Bell il y a trois semaines. Il était passionné par les jeunes, le développement des joueurs. »

Il est bon pour faire en sorte qu’on ait du plaisir tout en apprenant. Il a été incroyable pour moi et j’ai eu beaucoup de plaisir à jouer pour lui.

Auston Matthews à propos de Ronald Filion

Effet domino sur les arénas

Dans un article de 2020, Forbes rapportait que l’Arizona venait au deuxième rang des États américains pour le pourcentage de croissance du nombre de joueurs, sur une période de cinq ans.

« Il y a eu un gros boom dans la pratique du hockey. Mais là, on manque de patinoires », prévient Filion. Les bouleversements qui touchent le hockey de haut niveau ont un effet domino sur les échelons inférieurs.

Les Coyotes ayant quitté le Desert Diamond Arena, ils contribuent à faire du tout nouveau Mullett Arena un amphithéâtre des plus achalandés. Ils le monopolisent en effet pour leurs 41 jours de match. L’Université Arizona State utilise quant à elle les installations pour ses programmes masculin et féminin. Ça ne laisse pas beaucoup d’heures de glace pour les autres…

Avant la construction du Mullett Arena, Arizona State utilisait l’Oceanside Ice Arena, qui servait aussi au hockey mineur. Or, « Oceanside sera détruit. Il y avait 14 équipes qui jouaient là. On les met où ? », se demande Filion.

Ce qui l’inquiète, c’est que la compétition pour les meilleurs athlètes est vive. Matthews aurait très bien pu bifurquer vers le baseball, comme son père. Sauf qu’il est tombé amoureux du hockey en assistant à un match des Coyotes, et il a été « rescapé ». Mais c’est une exception et Filion aimerait que le hockey se donne les meilleures chances de retenir les meilleurs athlètes, avant qu’ils optent pour le football, par exemple.

« Le hockey grossit, mais si on n’a pas plus de patinoires, ça ne marchera pas. Ce n’est pas toujours le p’tit gars qui est bon dans le pee-wee qui sera spécial plus tard. »

Si on est obligés de se concentrer seulement sur l’élite à un jeune âge parce qu’on manque de glace, on va perdre des joueurs. Pour en développer, ça te prend une masse critique.

Ronald Filion

Cette rareté des patinoires contribue à un cercle vicieux qui fait grimper les coûts, un autre frein à la croissance. « Tu te sens mal quand tu payes 500 $ l’heure pour une glace, dit-il. Aussi, sept fois par année, on prend l’avion pour aller jouer contre les meilleures équipes dans les tournois. »

Il estime à 20 000 $ les coûts pour les jeunes qui veulent jouer au plus haut niveau, à partir de l’âge de 14 ans. « Pour les plus vieux, c’est plus cher parce qu’on engage des coachs qui viennent de la BCHL, par exemple. Il faut qu’on les paye comme il faut, sinon ils vont retourner travailler là-bas ! »

Filion est toutefois heureux de compter sur Taylor Burke, « probablement le meilleur propriétaire d’arénas en Arizona », dit-il. « Il va construire une troisième patinoire pour nous à Scottsdale. Mais ça va prendre trois ans avant que ce soit prêt. »

De Trois-Rivières à l’Arizona

C’est pour jouer dans une obscure ligue, la WCHL, que Filion est arrivé en Arizona, de la France, en 1998. L’aventure a été de courte durée, mais il a ensuite toujours travaillé dans le hockey, dans différents rôles, notamment celui d’entraîneur-chef des Roadrunners de Phoenix, en ECHL, de 2005 à 2007. Il a aussi participé à des projets de construction d’aréna, en Californie. « [Mais] je voulais tellement coacher. C’est ça que j’aime. Les grands coachs — pas moi, là ! — disent tous que coacher, c’est une drogue. C’est vraiment ça. » En revenant en Arizona, il a notamment pu renouer avec son vieil ami Claude Lemieux, son ancien coéquipier dans le midget AAA de même que chez les Draveurs de Trois-Rivières et le Canadien junior de Verdun. Le fils de Lemieux, Brendan, fait d’ailleurs lui aussi partie des joueurs de la LNH formés en Arizona ces dernières années. Filion ne détesterait pas revenir au Québec, mais veut attendre que ses enfants, âgés de 16 et 13 ans, soient un peu plus vieux.

Leçons de vie…

Filion n’a jamais pu jouer dans les meilleures ligues nord-américaines, même s’il a connu une carrière intéressante dans la LHJMQ. Mais il reconnaît qu’il ne s’est pas aidé. « À 19 ans, je me suis blessé, se souvient-il. Mais ensuite, j’ai dit une couple de conneries dans les journaux à propos d’Yvon Lambert, mon coach à Verdun. J’étais un jeune frustré qui pensait tout savoir ! Il m’avait benché et je suis sûr qu’il avait raison. Depuis ce temps-là, je le croise de temps en temps et chaque fois, je m’excuse ! » Son conflit avec Lambert avait mené à une transaction aux Castors de Saint-Jean et quelques mois plus tard, le Canadien junior se qualifiait pour la Coupe Memorial. Ses déclarations l’ont donc privé d’une participation au tournoi. « J’ai fait un mauvais move au mauvais moment, reconnaît-il. Mais tout arrive pour une raison. Ce sont des messages comme ça que je passe à mes jeunes. Je suis très fort sur les leçons de vie. N’importe qui peut former un bon joueur de hockey. Mais les leçons de vie, c’est encore plus important. »