Il devait rester en place au moins jusqu’à la fin de cette saison de misère, mais à l’évidence, la situation était devenue intenable. Dominique Ducharme a été démis de ses fonctions d’entraîneur-chef du Canadien, à peine un an après avoir été nommé à ce poste. Retour en sept temps sur une étrange expérience de 105 matchs, qui a vu le Québécois toucher au sommet de son sport… et à ses bas-fonds.

La promotion

Le Canadien amorce en lion la campagne 2020-2021, raccourcie à 56 matchs en raison de la pandémie de COVID-19, mais il perd rapidement son erre d’aller.

Après une séquence malheureuse de six défaites en huit matchs, le directeur général Marc Bergevin juge que son équipe a besoin d’une « nouvelle voix » derrière le banc. Le 24 février 2021, il montre la porte à l’entraîneur-chef Claude Julien et à l’entraîneur associé Kirk Muller, puis annonce que Dominique Ducharme assurera l’intérim jusqu’à la fin de la saison.

Le natif de Joliette avait été embauché deux ans plus tôt comme adjoint de Julien après avoir fait sa marque dans les rangs juniors, remportant la Coupe Memorial en 2013 avec les Mooseheads d’Halifax, puis deux médailles, dont l’une d’or, au Championnat mondial junior.

Les avis sont unanimes : le Tricolore a sous la main un communicateur hors pair, adoré des joueurs qui ont joué pour lui dans la LHJMQ. L’optimisme est de mise.

Les débuts

Les changements derrière le banc entraînent souvent un regain de vie chez les équipes en difficulté. L’arrivée de Ducharme a toutefois un résultat… mitigé.

Il faut dire qu’il arrive au beau milieu d’un creux de vague de Carey Price, qui coûte d’ailleurs son poste à l’entraîneur des gardiens Stéphane Waite.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Stéphane Waite et Carey Price

Plusieurs joueurs se cherchent. Le duo de défenseurs composé de Shea Weber et Ben Chiarot n’est pas aussi efficace que la saison précédente. Le trio de Phillip Danault, Tomas Tatar et Brendan Gallagher a lui aussi perdu des plumes.

On peine à trouver de la régularité, mais les choses se mettent peu à peu en place. Le Canadien récolte une moyenne de deux points sur trois pendant tout le mois de mars et se retrouve au début d’avril avec un confortable coussin en milieu de classement de la division Nord. Il devrait atteindre les séries éliminatoires sans trop d’inquiétudes.

Les écueils

La suite est moins glorieuse. Les blessés s’accumulent : Ben Chiarot, Carey Price, Brendan Gallagher, Shea Weber, Tomas Tatar… Jonathan Drouin quitte subitement l’entourage de l’équipe pour des raisons personnelles ; on apprendra des mois plus tard que l’attaquant compose depuis des années avec des troubles d’anxiété et du sommeil, et qu’il ne reviendra pas au jeu de sitôt.

Le calendrier est compressé au possible, avec des matchs à reprendre en raison d’une pause imposée par une éclosion de COVID-19 dans l’équipe. Le CH ne remporte que 7 de ses 21 derniers matchs. L’accession aux séries n’est confirmée qu’à l’avant-dernière rencontre.

Au premier tour, les Maple Leafs attendent le Canadien. Les Torontois ont amassé 18 points de plus au classement, et ce, malgré un calendrier raccourci de 56 matchs.

Personne ne s’attend à un long printemps.

La magie

Les séries éliminatoires s’amorcent du bon pied, mais Auston Matthews et sa bande prennent les choses en main et signent trois victoires convaincantes de suite.

En retard 1-3, le CH prend la route de Toronto sous le nuage noir d’une élimination imminente. Or, un petit miracle se produit. Sous l’impulsion d’un Carey Price intraitable, de buts en prolongation de Nick Suzuki et de Jesperi Kotkaniemi et d’une performance collective inspirée lors du septième match, le Canadien gagne les trois deniers duels et accède au deuxième tour, à la surprise générale.

C’est contre les Jets de Winnipeg que ça se passera, eux qui viennent de balayer les Oilers d’Edmonton. Le Canadien sert la même médecine aux Manitobains : quatre victoires consécutives, en route vers la demi-finale.

Nouvelle série, nouvel adversaire de taille. Les Golden Knights de Vegas n’ont pas de faiblesse évidente, mais encore une fois, le CH fait mentir les experts. Carey Price remporte le duel des gardiens, et les jeunes Nick Suzuki et Cole Caufield mènent les pointeurs du club. La série se conclut sur un but gagnant d’Artturi Lehkonen en prolongation lors du sixième match, présenté à domicile le soir de la fête nationale. La province est en liesse alors que le Canadien accède à la finale de la Coupe Stanley pour la première fois depuis 1993.

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Le but d'Artturi Lehkonen propulse le Canadien en finale de la Coupe Stanley.

Déception pour Dominique Ducharme : après avoir contracté la COVID-19 pendant le premier séjour de son équipe à Vegas, il doit s’isoler et suivre de loin les exploits de son club. Son adjoint Luke Richardson le remplace jusqu’au début de la grande finale disputée contre le Lightning de Tampa Bay.

Le Canadien arrive cette fois au bout de ses ressources. Contre les champions en titre, la tâche était trop lourde. La troupe de Ducharme s’incline en cinq rencontres, mais d’aucuns soulignent la persévérance de ses hommes.

Rare point d’interrogation concernant l’entraîneur : la décision d’envoyer Jesperi Kotkaniemi dans les gradins pour les deux derniers matchs de la série. Qu’à cela ne tienne, Ducharme signe, au cours des jours suivants, une prolongation de contrat de trois ans, et on retire la mention « intérimaire » à son titre officiel.

L’été meurtrier

La suite des évènements, pour le Canadien, n’a rien à voir avec Dominique Ducharme, mais elle aura un impact direct sur son travail.

La saison morte est dévastatrice pour la direction du club. On apprend que la carrière du défenseur Shea Weber était probablement terminée, ce qui s’est confirmé depuis. Phillip Danault signe un contrat avec les Kings de Los Angeles, et Corey Perry, avec le Lightning de Tampa Bay. Jesperi Kotkaniemi accepte une offre hostile des Hurricanes de la Caroline. Tomas Tatar ne reçoit pas de nouvelle offre et part pour le New Jersey.

Pour combler tous ces départs et ces absences, Bergevin acquiert des joueurs de remplacement qui auront des impacts mitigés : David Savard, Christian Dvorak, Mike Hoffman…

D’autres absences de taille s’ajoutent au camp d’entraînement. La plus importante : celle de Carey Price. Après une opération à un genou, sa guérison ne se passe pas comme prévu. Le gardien annonce en outre, à la surprise générale, qu’il se joint au programme d’aide aux joueurs de la LNH pour soigner une dépendance aux substances. Cela a pour effet de retarder sa rééducation, qui subit deux régressions. Après 45 rencontres, il n’a toujours pas joué, et il est loin d’être acquis qu’il jouera avant la fin du calendrier.

Joel Edmundson, membre important de la défense de l’équipe, est dans la même situation. Celui qui semblait souffrir d’une blessure mineure au dos en octobre n’a pas encore joué lui non plus.

L’hécatombe

Le terme « faux départ » n’est sans doute pas assez fort pour décrire le début de saison du Tricolore : cinq défaites et aucun point au classement en cinq matchs.

Après une dégelée à Buffalo, l’entraîneur-chef y va d’une rare sortie adressée à ses joueurs : « Ça fait trois mois qu’ils se font dire qu’ils sont bons, qu’ils sont beaux, qu’ils sont extraordinaires. À un moment donné, c’est comme quand tu dis à ton jeune de ne pas mettre la main sur le poêle. Il faut qu’il l’essaye, il la met. Je pense qu’ils l’ont ressenti. »

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Cole Caufield (22) et Jeff Petry (26)

Quelques victoires s’ajoutent enfin au compteur, mais l’équipe ne trouve jamais son rythme. On invoque le long parcours en séries et l’été court qui a suivi pour justifier la fatigue observée dès les premières semaines. Les blessures s’accumulent presque aussi rapidement que les défaites. Certains joueurs, à commencer par le défenseur Jeff Petry, ne sont plus l’ombre d’eux-mêmes. Cole Caufield est en panne sèche.

Le 28 novembre, alors que l’équipe est au 29e rang du classement général, le directeur Marc Bergevin et son bras droit Trevor Timmins sont congédiés. Jeff Gorton est immédiatement embauché à titre de vice-président sénior aux opérations hockey, et quelques semaines plus tard, l’ex-agent de joueurs Kent Hughes devient directeur général. Les deux nouveaux patrons laissent entendre que Ducharme restera en poste jusqu’à la fin de la saison.

Or, aussi improbable que cela puisse paraître, le pire est encore à venir.

La fin

C’est après le départ de Bergevin qu’une spirale infernale se met en marche. En 22 matchs, le Canadien ne signe que deux maigres victoires. Les cas de COVID-19 se multiplient dans le vestiaire et atteignent la quasi-totalité des joueurs à un moment ou à un autre. Le 1er janvier, en Floride, Ducharme est forcé de composer avec une formation de 16 patineurs (au lieu de 18). Littéralement tous les joueurs sous contrat avec l’organisation ont été sollicités à ce moment.

Une longue pause au début du mois de janvier permet à l’équipe de reprendre son souffle et à quelques joueurs clés de renouer avec l’action. Rebelote : le succès n’est pas au rendez-vous.

On atteint le fond du baril à la fin du mois de janvier : des défaites successives de 8-2, 5-4, 7-2 et 6-3 laissent le Canadien et ses gardiens Samuel Montembeault et Cayden Primeau fortement ébranlés. Au retour de la pause du match des Étoiles, le 8 février, le club subit peut-être son revers le plus humiliant : 7-1, à domicile, contre les Devils du New Jersey, équipe de fond de classement.

C’en est fait pour Ducharme. Il est devenu évident qu’il n’a plus de solutions pour relancer ses joueurs et que ces derniers n’ont plus le cœur à l’ouvrage.

Le 9 février, le Québécois est congédié. Sa première expérience comme entraîneur-chef dans la LNH se conclut après seulement 83 matchs de saison, déclinés en 23 victoires, 46 défaites et 14 revers en prolongation ou en tirs de barrage. À ceux-ci s’ajoutent 13 victoires et 9 défaites en séries éliminatoires.

Dominique Ducharme n’aura jamais eu l’occasion de diriger l’équipe pendant une saison complète, encore moins pendant une saison dite « normale ».

Les prochaines semaines diront si Martin St-Louis, son ex-coéquipier à l’Université du Vermont, saura faire mieux avec l’effectif en place.