L’hécatombe à l’infirmerie du Canadien n’a pas des conséquences néfastes sur tout le monde. C’est aussi la chance pour certains joueurs de disputer des matchs inespérés dans la LNH et – qui sait ? – de laisser une belle impression pour la suite. C’est le cas du défenseur Corey Schueneman. La Presse a discuté avec des gens de hockey qui l’ont connu.

L’embauche de Corey Schueneman par le Rocket de Laval, le 2 juillet 2020, n’a pas exactement semé la panique dans les salles de rédaction de Montréal.

Mais Jean-François Houle, qui était alors entraîneur adjoint pour le club-école des Oilers d’Edmonton, à Bakersfield, avait vu passer la nouvelle.

« Je le voyais jouer quand il était à Stockton, dans notre division, et je l’avais aimé, nous raconte celui qui est maintenant l’entraîneur-chef du Rocket. J’ai appelé Joël [Bouchard], je lui ai dit : “Tu viens de ramasser un bon joueur ! Il est sur la pente ascendante.” »

Houle avait vu juste : Schueneman était effectivement en progression. Son contrat de juillet 2020 en était un de la Ligue américaine seulement. Mais en avril dernier, au milieu d’une saison au-delà des attentes, le Tricolore, sur la recommandation de Scott Mellanby, lui offrait un contrat de la Ligue nationale en bonne et due forme.

Et voilà que le 28 décembre, Schueneman a fini par disputer un premier match dans la LNH. Les circonstances ont certes aidé : Jeff Petry, Ben Chiarot et Chris Wideman étaient absents en raison de la COVID-19, Joel Edmundson n’a pas encore joué cette saison, la carrière de Shea Weber est compromise, Chris Chelios commence à être vieux pour revenir au jeu et Doug Harvey est mort en 1989.

N’empêche qu’atteindre la LNH à 26 ans est un exploit rarissime.

Lever la tête

« Il n’est pas bon défensivement. » « Ce n’est pas un joueur assez intelligent. » Sur Twitter, le soir du premier match de Schueneman, Ryan Ballard a rappelé ces critiques dont Schueneman faisait l’objet, plus jeune, en relayant une vidéo du Canadien.

Ballard, c’est l’agent de Schueneman. Il a connu le jeune homme pendant ses années au niveau bantam, dans sa région natale de Detroit. Il l’a donc vu parfaire son jeu au fil des ans.

« Il devait améliorer deux choses, explique Ballard au bout du fil. D’abord, son jeu défensif. Il était très offensif jusqu’aux rangs juniors. Donc au collège, ils ont insisté là-dessus. Et il devait apprendre à lever la tête quand il contrôlait la rondelle. Car en jouant la tête bas, il ne pouvait pas réussir des jeux à haute vitesse comme il doit en faire chez les professionnels.

Il a eu la chance d’être très bien dirigé. Mais le joueur ne doit pas seulement recevoir l’enseignement ; il doit aussi avoir la volonté de l’appliquer.

Ryan Ballard, agent de Corey Schueneman

L’entraîneur Andy Murray, qui l’a dirigé pendant quatre ans à l’Université Western Michigan, confirme. « À sa première année, il jouait avec la tête baissée, et ça nuisait à sa prise de décision. Il se rendait rapidement à la rondelle, mais c’était sa décision ensuite qui faisait défaut », analyse Murray, joint à son domicile au Minnesota.

Schueneman y a donc mis du sien. Ça n’a pas fait de lui un grand défenseur offensif – il a amassé 21 points en 37 matchs à sa dernière saison dans la NCAA –, mais ses efforts étaient certainement remarqués. Du moins par ses coéquipiers.

Murray faisait remplir à ses joueurs, au début de chaque saison, un questionnaire où ils devaient nommer leurs 4 meilleurs coéquipiers dans 12 catégories. Par exemple : le plus respecté, le meilleur communicateur, le travailleur le plus acharné, etc.

« Corey a fini 1er ou 2e dans les 12 catégories, se rappelle Murray. Donc, nous l’avons nommé capitaine. »

Par contre, les équipes de la LNH ne le remarquaient pas autant. Il a donc dû se contenter d’un contrat de la Ligue américaine avec Stockton, à sa sortie du collège, puis d’un autre contrat des ligues mineures, celui du 2 juillet 2020 avec Laval.

« Ce n’est pas comme si plein d’équipes appelaient, admet Ballard. Mais les recruteurs du Canadien ont été bons pour discerner un joueur qui pouvait encore progresser. »

La persévérance

Avec du jeu sobre mais efficace, avec un coup de patin fluide, avec aussi un concours de circonstances inimaginable il y a à peine quelques semaines, Schueneman a eu droit à sa chance.

En 3 matchs, il a obtenu son premier point dans la LNH et a été sur la patinoire pour un seul des 14 buts accordés par le CH (et c’était en désavantage numérique). Sa tenue lui a valu, à plusieurs reprises, les éloges de Marc Denis pendant la diffusion des matchs à RDS.

Évidemment, quand les joueurs blessés et malades reviendront, c’est fort probablement à Laval qu’il poursuivra sa progression.

« Il peut continuer à améliorer son patin et ses pivots, estime Houle. Il est conscient de ses lacunes et il travaille là-dessus. Il doit aller chercher les rondelles plus vite en fond de territoire. Et il doit garder son jeu simple. C’est quand il essaie de compliquer les choses qu’il se met en difficulté. Dès qu’il voit une palette, il doit faire la passe ! »

N’empêche que son parcours suscite l’admiration. « Ses parents ont de quoi être fiers, croit Andy Murray. Il n’a rien eu de facile. Il a joué junior jusqu’à 20 ans, il n’a pas joué beaucoup avec nous à sa première année et a fini dans le rôle de capitaine d’une des meilleures équipes au pays. Il n’a pas eu de contrat de la LNH tout de suite, donc il a commencé avec un contrat de la Ligue américaine et a été renvoyé dans l’ECHL. »

« C’est un bel exemple pour nos jeunes dans la Ligue américaine, ajoute Houle. C’est un exemple de persévérance. Il montre que tu peux te développer sur le tard même si tu n’es pas repêché. »

(Encore) de bons mots pour Harvey-Pinard

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Rafaël Harvey-Pinard

Avant de raccrocher avec Jean-François Houle, on tente une question toute simple : de tous les joueurs du Rocket qui ont été rappelés, qui sont ceux qui t’ont le plus impressionné dans les trois matchs du Canadien la semaine dernière ? « C’est sûr que j’ai toujours aimé Rafaël Harvey-Pinard, sa façon de compétitionner, de se positionner devant le filet, a répondu Houle. Il doit continuer à travailler sur ces détails-là pour rester dans la Ligue nationale à temps plein. Lukas Vejdemo, je l’ai beaucoup aimé en désavantage numérique. Il avait de bons angles, un bon bâton. On est fiers de tous les joueurs qui sont montés. Ce n’est pas évident pour eux avec tous les blessés, mais ils ont donné un effort honnête. » Harvey-Pinard avait aussi été le premier nom mentionné par Jonathan Drouin, en point de presse, et Stéphane Robidas, dans notre édition lundi, l’avait quant à lui nommé en deuxième. Le petit numéro 49 se fait remarquer…