Le Canadien semble avoir une relève fort prometteuse en défense, la meilleure depuis un bon moment, avec entre autres ce trio de jeunes constitué d’Alexander Romanov, Mattias Norlinder et Jordan Harris. Étions-nous aussi élogieux envers les espoirs des années et des décennies précédentes ?

Il y a eu un certain emballement pour Jarred Tinordi, choix de premier tour en 2010, et Nathan Beaulieu, choisi lui aussi au premier tour, l’année suivante. Mais leur développement pouvait-il se comparer à celui de Romanov, Norlinder et Harris ?

Dès ses débuts chez les Knights de London, plusieurs mois après le repêchage, Tinordi nous a montré les limites de son talent offensif.

« C’est difficile pour lui parce qu’il n’est pas habitué à jouer autant, m’avait confié son entraîneur et directeur général Mark Hunter en novembre 2010. Il se fatigue alors et il commet des erreurs avec la rondelle. Mais nous avons besoin de l’utiliser souvent pour remporter des matchs. Il me rappelle un peu Hal Gill, mais c’est un meilleur patineur, et il est un peu plus robuste. »

Hunter le voyait éventuellement dans la LNH.

« Jarred va jouer dans la Ligue nationale, c’est sûr. Il a encore des choses à améliorer, mais il est ici pour ça. À la fin de la saison, je souhaite qu’il soit plus fort physiquement, mais nous y travaillons en gymnase du lundi au mercredi parce que nous ne jouons jamais en début de semaine. Dans deux ans, Jarred cognera à la porte du Canadien. »

En janvier 2011, je concluais : « En défense, les difficultés en début de saison du premier choix de l’équipe en 2010, Jarred Tinordi, dans la Ligue junior de l’Ontario, ont de quoi inquiéter. Il avait été bon en matchs préparatoires à Montréal, mais je ne fonde pas de grands espoirs sur lui. Au mieux, un Hal Gill en plus rapide et robuste. »

Tinordi a été nommé capitaine des Knights de London l’année suivante et a participé au Championnat du monde junior avec les Américains, mais son apport offensif est demeuré très limité. Il semble finalement s’être fait une niche dans la LNH, à 28 ans, avec les Predators de Nashville.

Le talent offensif de Beaulieu a toujours été reconnu. Il a amassé presque un point par match à Saint John, dans la LHJMQ, après son année de repêchage.

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Nathan Beaulieu

On espérait chez le Canadien le voir suivre les traces d’Andrei Markov, mais ses carences défensives inquiétaient déjà.

« On connaît son talent offensif, mais il a des choses à améliorer s’il veut atteindre la Ligue nationale », me confiait son entraîneur dans la Ligue américaine, Sylvain Lefebvre, en décembre 2012.

Beaulieu en était alors à sa première année chez les professionnels et il venait d’avoir 20 ans.

« On veut qu’il soit fiable dans sa zone. Qu’il prenne de meilleures décisions avec la rondelle. Qu’il ne quitte pas son territoire trop tôt. On veut pouvoir être tranquilles quand il est sur la glace. Il s’améliore, mais il doit travailler sa constance. Il doit apporter ses bottes de travail à l’aréna, comme on dit. C’est un long processus pour lui et les autres jeunes défenseurs de l’organisation. »

La prudence était donc de mise dans ces deux cas. Malgré ses travers, Beaulieu a atteint la LNH et il y est toujours, comme Tinordi, mais ailleurs.

McDonagh, Subban, Fischer et Carle

Avant eux, il y a eu ce groupe composé de Ryan McDonagh, P.K. Subban, David Fischer et Mathieu Carle. McDonagh et Subban ont été repêchés aux premier et deuxième tours en 2007, Fischer et Carle, aux premier et deuxième tours en 2006.

Subban n’a pas traîné longtemps dans les mineures, à 20 ans, avant de terminer la saison avec le Canadien et se révéler en séries éliminatoires. Il n’allait pas tarder à devenir le meilleur défenseur offensif du Tricolore depuis Chris Chelios.

On connaissait encore très peu McDonagh à Montréal lorsque Bob Gainey l’a échangé aux Rangers de New York avec Chris Higgins, en 2009, pour obtenir Scott Gomez. Il venait de terminer sa deuxième saison à Wisconsin, dans la NCAA, et obtenu un modeste 16 points en 36 matchs.

Son entraîneur des Badgers, Mike Eaves, ne l’avait pas comparé à Ryan Suter, mais à… Mike Komisarek !

« Ryan n’est pas le style de joueur à transporter la rondelle d’un bout à l’autre de la patinoire, m’avait-il dit. Ce n’est donc pas le défenseur offensif typique. Mais sa façon de défendre son territoire, son positionnement, son acharnement, sa force physique, sa première passe et surtout, ses nombreuses mises en échec percutantes me rappellent Komisarek. Vous seriez surpris à quel point il est solide sur ses patins. Il aime frapper, vous verrez. »

On a saisi l’étendue du talent de McDonagh deux ans plus tard, avec les Rangers, dont il est ensuite devenu le capitaine. Il vient de remporter la Coupe Stanley avec le Lightning de Tampa Bay.

Fischer, lui, n’était déjà plus dans les plans en 2009. Il venait de connaître une troisième saison difficile à l’Université du Minnesota. Un an plus tôt, son entraîneur Mike Guentzel lui avait fait un compliment de taille, mais incité quand même à la prudence.

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David Fischer

« David Fischer et Paul Martin [un ancien de l’université établi chez les Devils du New Jersey] ont le même type de physique et leur progression a été plus lente au début. Mais à sa dernière année avec nous, Paul était impeccable sur le plan du positionnement, tant du corps que du bâton. David travaille là-dessus.

« David a des chances de percer dans la Ligue nationale. Mais nous sommes en mode attente pour l’instant. Il doit devenir un joueur de premier plan chez nous avant de songer à passer à l’autre niveau. Nous aurons une idée plus claire dans deux ou trois ans. »

Fischer n’est jamais devenu un défenseur important au Minnesota et il n’a jamais été choisi par l’équipe américaine pour le Championnat du monde junior.

Mathieu Carle était l’un des bons défenseurs de la LHJMQ. Le Canadien a pu le repêcher avec le choix de deuxième tour obtenu des Sharks de San Jose. Ceux-ci ont cédé un choix de deuxième tour pour s’avancer du 22e au 16e rang du premier tour, en 2006. Le Canadien était convaincu de pouvoir encore repêcher Fischer après le 20e rang.

Carle a connu de belles saisons offensives chez les juniors, mais pas assez pour participer au Championnat du monde junior. Il a eu un bel impact pendant quelques saisons dans la Ligue américaine, avant de s’exiler en Europe. Il a joué trois matchs avec le Canadien.

En rétrospective, une conclusion s’impose : les espoirs actuels du Canadien en défense ont accompli beaucoup plus au même âge que la majorité de ceux des 20 dernières années.

D’ici deux ans, Kaiden Guhle et Jayden Struble pourraient se comparer à Norlinder, Harris et Romanov. Oublions les comparaisons folles avec Nicklas Lidstrom ou Vladimir Konstantinov. Mais si deux ou trois de ces cinq-là parviennent à percer le top 4 ces prochaines années, on pourra parler d’un succès.