Des foules de 350 spectateurs. Des actionnaires qui préparent un putsch. Des joueurs qui méprisent leur patron. Deux séries de 10 défaites consécutives. Tout ça, à la veille d’un déménagement dans un aréna flambant neuf de 80 millions.

Rien ne va plus chez les Olympiques de Gatineau.

Que s’est-il passé ? Comment cette franchise modèle – sept fois championne de la LHJMQ – est-elle devenue le mouton noir de la ligue ?

PHOTO TIRÉE DU COMPTE TWITTER DE JEAN-FRANÇOIS PLANTE, LE DROIT

Où sont les spectateurs ? Les joueurs des Olympiques de Gatineau et de l'Armada de Blainville-Boisbriand ont joué devant des gradins vides lors de leur dernier affrontement à Gatineau.

J’ai recueilli les témoignages de sept personnes. Toutes ont une connaissance intime des rouages de l’équipe. Toutes m’ont aussi raconté la même histoire.

Celle d’un homme ambitieux. Passionné. Dévoué.

Tellement épris de son club qu’il est en train de l’étouffer. De l’asphyxier.

Voici cette histoire.

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Alain Sear aime le hockey. Plus que la moyenne des ours. « Dès que je suis arrivé en Outaouais, à 15 ans, je suis devenu un partisan des Olympiques », me raconte-t-il. À l’époque, il fréquente le centre Robert-Guertin, mais aussi les autres arénas de la région. Il s’implique notamment auprès de l’Association de hockey mineur d’Aylmer, dont il assume la présidence.

PHOTO PATRICK WOODBURY, LE DROIT

Alain Sear, directeur des opérations hockey des Olympiques de Gatineau

En parallèle, sa carrière dans le milieu des affaires décolle. Et vite. À 30 ans, son entreprise de gestion des déchets connaît du succès. Ça lui permet, en 2004, de réaliser son rêve : devenir copropriétaire des Olympiques de Gatineau.

Dès les premières heures, Alain Sear affiche clairement ses ambitions. Pas question de rester sur les lignes de côté. Il s’implique corps et âme pour assurer la réussite de la franchise. « Je l’ai fait pendant plusieurs années sans être rémunéré. Pour la passion et la bannière. »

Il devient rapidement président du club. Puis directeur général adjoint. Depuis deux ans, il est directeur des opérations hockey. Le Marc Bergevin des Olympiques.

Tous reconnaissent ses talents de négociateur et de recruteur. Même ses ennemis. Mais son penchant pour la microgestion dérange.

Au fil des ans, il a congédié un grand nombre d’employés. D’autres sont partis, tannés de la culture d’entreprise. Tous conviennent que le taux de roulement est anormalement élevé, même pour un club de hockey junior.

Il s’est mis beaucoup de monde à dos. Ses employés. Ses associés. Des dirigeants de la ligue et des autres équipes. Des agents. Des parents.

Dans le vestiaire, cette saison, il existe même un chant de ralliement parmi les joueurs. « F… You Sear. »

L’anecdote, d’abord rapportée par le journaliste Mathieu Locas (Cogeco), m’a été confirmée vendredi par une source indépendante.

Alain Sear reconnaît qu’il a pu commettre des erreurs lors de son mandat comme président de l’équipe. Mais il estime que c’est de l’histoire ancienne.

« Il y a deux ans, à la demande de mes associés, j’ai eu un [nouveau] carré de sable. Ils m’ont demandé de m’occuper des opérations hockey. C’est ce que je fais aujourd’hui. Malheureusement, les gens m’associent encore au passé. Avec les erreurs que j’aurais pu faire [à cette époque]. La question que je me pose, c’est : combien de temps je serai jugé sur mes années de présidence ? Est-ce que je peux commencer à être évalué sur les résultats du club ? »

Difficile, soutiennent mes sources. Car Alain Sear et les Olympiques ne font qu’un. Il contrôle le vestiaire. Les transactions. Les négociations. Le conseil d’administration. Cet automne, pendant une léthargie, il a même voulu descendre derrière le banc des joueurs pour les parties à l’étranger.

Ç’a été très, très mal reçu.

Après quelques jours de réflexion, à contrecœur, Alain Sear a renoncé à son plan.

Deux mois plus tard, les Olympiques traversent une autre crise. Une deuxième séquence de 10 défaites consécutives. L’équipe occupe le 17e rang de la LHJMQ. À un point de la dernière place. Loin des objectifs fixés au début de la saison.

Les partisans en ont ras le bol. Et ils manifestent bruyamment.

En novembre, lors d’une cérémonie pour retirer le chandail d’un ancien joueur, ils ont hué le président Martin Lacasse. Vendredi, ils ont lancé une pétition pour réclamer le départ d’Alain Sear. Le président du comité des partisans, Martin Lahaie, s’est déchaîné sur les réseaux sociaux. « ASSEZ, C’EST ASSEZ ! Ce sont NOS Olympiques », a-t-il écrit sur Twitter.

Mercredi, les Olympiques ont annoncé une foule de 1361 spectateurs. « Dans les faits, il y avait entre 300 et 350 personnes », m’a confirmé le journaliste Jean-François Plante, du quotidien Le Droit. Il a pris une photo au moment des hymnes nationaux. La section derrière le banc des joueurs est vide.

Les dirigeants de la LHJMQ ont vu la photo sur Twitter. « C’est troublant », reconnaît le directeur des communications de la ligue, Maxime Blouin.

« C’est sûr que nous sommes inquiets. L’équipe s’apprête à déménager dans un nouvel aréna et les gradins sont vides. Le commissaire est préoccupé. Il s’implique personnellement dans le dossier. »

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Si le commissaire Gilles Courteau intervient, c’est que la chicane est prise parmi les actionnaires. Le consortium est divisé en deux groupes.

Les loyalistes, fidèles à Alain Sear.

Les putschistes, qui veulent tenir un vote de confiance lundi pour chasser Sear.

Pour l’instant, les loyalistes sont plus nombreux. Ils sont cinq : le président Martin Lacasse, Éric Pigeon, Paul Prégent, François Beaudry et Sear lui-même. Les rebelles sont quatre : Louis Brisson, Jocelyn Cayer, Daniel Gingras et Gilles Laplante. Un 10e actionnaire, Gerry Groulx, est moins impliqué dans l’organisation. Il serait plutôt de tendance loyaliste.

J’ai parlé à trois personnes au courant de la stratégie des putschistes. Ces actionnaires sont très inquiets. Dans 18 mois, les Olympiques déménageront dans un nouvel amphithéâtre de 80 millions financé par le privé. Le gestionnaire de l’aréna – un OBNL – mise sur le partage des revenus de billetterie avec les Olympiques pour survivre. L’équipe n’aura pas deux chances de réussir sa première impression. Et avec 350 spectateurs par partie, c’est clair que l’OBNL est à risque, fait-on valoir.

Même son de cloche à la ligue. « Gatineau est un marché important pour nous, et le déménagement, c’est une opportunité extraordinaire pour la franchise », indique Maxime Blouin.

Si la tentative de putsch échoue lundi, il restera quatre options :

• le statu quo;

• un rachat des putschistes par les loyalistes;

• de nouveaux propriétaires;

• une mise en tutelle par la ligue.

Alain Sear privilégie évidemment un des deux premiers scénarios. Il dit comprendre l’exaspération des partisans et des actionnaires. Du même souffle, il demande plus de temps pour terminer la reconstruction entamée il y a deux ans.

« Je vais te poser une question, me dit-il. Pourquoi, au camp d’entraînement, la vague était-elle positive ? […] C’était le 15 septembre. Nous sommes rendus au 15 décembre. Il n’y a plus rien de bon. D’après moi, les gens sont attirés par les équipes gagnantes. Si on n’était pas en 17e place, si on était en 14e, 13e ou 12e, il n’y aurait pas autant de grogne. »

Il est convaincu que l’avenir sera radieux. Que le club sera compétitif en 2022, lorsque le déménagement sera terminé et que l’organisation sera peut-être l’hôte du tournoi de la Coupe Memorial. Pour me convaincre, il fait valoir les quatre choix de première ronde des Olympiques au prochain repêchage.

Mais au sein de l’équipe, tous ne partagent pas son enthousiasme.

« C’est vrai, on possède quatre choix de première ronde. Sauf que les espoirs repêchés doivent vouloir jouer pour nous. Ça, ce n’est pas acquis. Ce qu’on entend, c’est qu’il y a de plus en plus d’agents et de parents réticents », me confie un membre de l’organisation qui a exigé l’anonymat, par crainte de représailles.

La prochaine semaine sera cruciale pour l’avenir de la franchise. Une des plus prestigieuses de la LHJMQ. Dans les circonstances, le statu quo ne me semble pas une option viable. Les joueurs ont besoin d’un meilleur environnement pour se développer. Ils méritent mieux que des foules de 350 personnes.

Et les partisans, eux, ont droit à un club mieux géré.