(Buffalo) La semaine dernière, on vous a raconté l’histoire de Dylan Cozens, qui deviendra vraisemblablement le quatrième joueur natif du Yukon à atteindre la LNH. Mais dans ce repêchage 2019, la palme de l’exotisme revient sans contredit à Jordan Spence.

Quand on rencontre le petit défenseur des Wildcats de Moncton, coté 59e espoir nord-américain par la Centrale de recrutement de la LNH, on découvre un jeune homme souriant, qui a la conversation facile, sans aucun accent.

Dans les circonstances, il est ahurissant d’apprendre qu’il est né en Australie, a grandi au Japon, a commencé à jouer au hockey à Osaka, et qu’il est arrivé à l’Île-du-Prince-Édouard à 13 ans, parlant seulement japonais et pas un seul mot d’anglais !

« En plus, avec l’accent par ici, les gens parlent très rapidement, donc j’avais beau essayer, je ne comprenais pas du tout !, se souvient Spence. Mais je n’ai pas eu le choix. Je me levais le matin, mon père me parlait en anglais. L’école, la télévision, c’était en anglais. Le hockey aussi. Ça m’a peut-être pris un an avant d’avoir des conversations normales. »

Et question d’ajouter un peu au défi d’apprendre l’anglais, Spence s’est inscrit à une école d’immersion française.

PHOTO DANIEL ST. LOUIS, FOURNIE PAR LES WILDCATS DE MONCTON

Jordan Spence dit s’inspirer des défenseurs Torey Krug et de Tyson Barrie, qui connaissent du succès dans la LNH.

« C’est formidable de voir à quel point les jeunes sont des éponges à cet âge-là, s’émerveille son père, Adam, au bout du fil. Ce qui l’a aidé, c’est qu’il avait passé quelques printemps au Canada auparavant, donc ça l’a intégré à cet environnement, il était accepté par ses pairs. Mais avec l’immersion, c’était difficile, car il entendait des mots en français, devait vérifier la traduction en anglais et il faisait ce processus dans sa tête en japonais. Il composait avec trois langues. »

« Aujourd’hui, comme il s’entraîne dans la région de Montréal, il se tient avec Jakob Pelletier, Samuel Poulin et Alexis Lafrenière, donc ça parle français autour de lui. Il comprend tout, mais c’est difficile pour lui d’entretenir une conversation. »

La mère de Jordan Spence est japonaise. C’est avec elle, et avec ses oncles, qu’il continue à parler japonais du mieux qu’il peut.

« J’ai passé la majeure partie de ma vie au Japon. Je veux que cette identité continue à faire partie de moi, c’est ce que je suis. Je ne veux pas perdre la langue. » — Jordan Spence

Son père, lui, a grandi à l’Île-du-Prince-Édouard et a toujours joué au hockey, que ce soit sur glace ou en patins à roues alignées. Il était donc normal qu’à Osaka, il tente d’initier son fils aux patinoires. Spence avait 5 ans quand il a commencé à jouer.

« Il y avait peut-être cinq patinoires dans la région. Il a commencé sur une patinoire où il y avait simplement une surface glacée, sans gradins ni rien, explique Adam Spence. Mais ce que j’aimais, c’est que les enfants jouaient purement pour l’amour du sport. Les réseaux sociaux commençaient à peine. Aucun parent, aucun jeune ne connaissait de joueurs dans la LNH. Ils ne jouaient pas pour atteindre la LNH ou pour être recrutés par une bonne école secondaire américaine. »

Douce revanche

L’enfance au Japon, ça donne une histoire humaine intéressante à raconter, aucun doute. Mais ce parcours atypique ajoute aussi une couche d’intrigue à son dossier pour les équipes de la LNH.

C’est qu’il s’est développé beaucoup plus tard que ses pairs, puisqu’il a d’abord joué dans un pays où le hockey n’a pas exactement la cote. En arrivant au Canada, il y avait un certain retard à rattraper.

Ce retard s’est fait sentir en 2017, son année de repêchage pour la LHJMQ. Ignoré par toutes les équipes, il a donc disputé son année de 16 ans au niveau junior A à Summerside, dans sa province d’adoption.

Puis, l’an dernier, les Wildcats l’ont repêché, et n’ont pas regretté leur choix. Spence a conclu la saison avec 49 points en 68 matchs. Ses récompenses : le trophée Raymond-Lagacé (meilleur défenseur recrue de la LHJMQ) et une place avec Équipe Canada au Championnat du monde des moins de 18 ans.

« Si je n’ai pas été repêché, je ne crois pas que ce soit parce que les équipes craignaient que j’aille jouer dans la NCAA. Je pense qu’elles ne voulaient pas de moi, tout simplement. J’étais petit. J’ai été déçu, c’était un choc. Mais ça m’a fouetté. »

« Après ce repêchage, j’ai travaillé encore plus fort. Je savais que je pouvais jouer au prochain niveau. Je me suis entraîné aussi fort que possible. J’ai vécu beaucoup d’émotions, mais au bout du compte, je pense que de ne pas avoir été repêché à ma première année m’a permis d’être où je suis aujourd’hui. »

Alors, où en est-il aujourd’hui ? À 5 pi 10 po et 164 lb, ce défenseur droitier aura beau manger ses croûtes, sa taille restera toujours un handicap. C’est pourquoi il dit s’inspirer de Torey Krug et de Tyson Barrie, des arrières qui ont contourné cet obstacle et qui connaissent du succès dans la LNH.

« Des défenseurs comme ça, tu en as de plus en plus besoin. Ses habiletés sur patins me laissent toutefois perplexe. Les petits défenseurs de la LNH ont tous un très bon coup de patin. » — Un recruteur de la LNH

« Il va devoir développer cet aspect. La bonne nouvelle, c’est que ça s’améliore en travaillant sur la glace et en gymnase, ajoute Marc-André Dumont, qui a affronté Spence neuf fois la saison dernière, quand il dirigeait les Screaming Eagles du Cap-Breton. Il doit aller chercher de la vitesse pour être efficace au prochain niveau. »

Spence a rencontré 18 organisations la semaine dernière à Buffalo. Aucun doute : au moins une équipe sera prête à parier qu’il corrigera cette lacune avec les années.