Inconsciemment, ou consciemment, tout le monde souhaitait une lutte entre le PGA Tour et le circuit LIV Golf sur le dernier neuf de retour du Tournoi des Maîtres. Les gentils contre les vilains. Les héros contre les méchants. Comme dans un classique du cinéma intergalactique. À l’image des plus grands films, le côté lumineux de la force l’a emporté, grâce à la magie de Jon Rahm.

L’histoire de Rahm ne figurait pas sur les affiches principales de la 87e édition du tournoi, en début de semaine. Et pourtant, il avait gagné trois des cinq premiers tournois de l’année, il était le meilleur boursier, en plus d’occuper le troisième rang mondial.

Cependant, d’autres récits ont fait ombrage au sien. Des scénarios tout aussi captivants. La possible défense du titre de Scottie Scheffler, l’éventuel grand chelem de Rory McIlroy, le retour de Tiger Woods et, surtout, cette lutte à finir entre les deux circuits rivaux du golf professionnel : le PGA Tour et la série LIV Golf.

Une animosité sans précédent. Les deux clans s’étaient donné rendez-vous au tournoi le plus significatif de tous. Là où l’histoire rencontre le prestige. Là où les champions ne meurent jamais. Là où les légendes naissent et où le réel devient mythique.

Les déserteurs avaient bien l’intention de gâcher la fête. Et c’est passé près d’arriver.

Au terme de la troisième ronde, dimanche matin, Brooks Koepka, vainqueur du dernier tournoi du circuit saoudien, avait une avance de deux coups sur Rahm. L’Espagnol représentait le meilleur espoir du PGA Tour.

Koepka, l’enfant terrible du golf, avait le beau jeu. Il avait été sans faille lors des trois premières rondes. Il avait cependant été chanceux en jouant la deuxième ronde vendredi matin, car il a pu être épargné par la pluie et les changements d’horaire imprévus. Il faut toutefois reconnaître l’excellence de son jeu, malgré tout.

D’autant plus qu’avant de connaître des blessures successives au genou gauche, au genou droit et aux hanches et de quitter pour l’autre circuit, Koepka était le joueur le plus terrifiant à affronter. Déterminé et accro à la victoire, il avait été le meilleur joueur au monde entre 2017 et 2019, en gagnant quatre titres majeurs. Il était intouchable. Surtout en tournois majeurs et encore plus quand il était en avance. Il n’avait jamais perdu lorsqu’il était en tête après trois rondes. En santé, il est toujours l’un des meilleurs joueurs au monde.

Comme il y a une première à tout, Rahm lui a fait payer son irrégularité en ronde finale. La flamme ayant allumé l’Américain lors des trois premières rondes s’est éteinte. Il est vrai, après tout, que sur le circuit LIV Golf, les joueurs sont habitués de jouer seulement 54 trous.

Rahm a donc profité des dérives de son partenaire de jeu pour avancer et surfer en eau tranquille jusqu’au 18e trou.

Lorsqu’il a calé son 276e coup du tournoi, bon pour un cumulatif de -12, il a accoté son fer droit sur sa cuisse gauche et il a levé les bras dans les airs. Comme s’il venait de déchirer le ruban mettant fin à une course. Parce qu’en réalité, ce Tournoi des Maîtres a ressemblé en tous points à un marathon.

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Jon Rahm célèbre sa victoire sur le vert du 18e trou.

« Je ne savais pas comment réagir jusqu’à mon troisième coup au 18», a révélé le champion juste avant de se faire remettre le veston vert par Scottie Scheffler.

Entrer dans l’histoire est sa plus grande satisfaction : « C’est pour ça que je joue au golf », a dit le premier Européen à avoir remporté le Tournoi des Maîtres et l’Omnium américain.

Rahm : sans faute

Trois arrêts de jeu, des départs au petit matin, une température capricieuse, des arbres qui s’effondrent et des rondes entrecoupées par la nuit.

Cette édition du Tournoi des Maîtres a été particulière du début à la fin. Par son environnement, son contexte et son déroulement.

En ronde finale, toutefois, tout était parfait. Comme le site de l’Augusta National. Le soleil s’est couché sur le triomphe d’un conquistador ravi, mais épuisé, de retour au premier rang mondial.

Dès le troisième trou, Rahm s’est servi de son arme de prédilection pour creuser l’écart entre Koepka et lui. Il a envoyé un roulé gauche-droite au fond de la coupe pour compléter l’oiselet, tomber à -10 et se rapprocher à un coup de la tête.

La chaîne a commencé à débarquer au trou suivant pour Koepka. Il a échappé son coup de départ sur la droite, et ça s’est terminé avec un boguey. Il y avait alors une égalité au sommet. Tout était permis. Comme quoi aucune avance n’est suffisante dans ce tournoi.

Pour le reste de la ronde, Rahm n’a pas été extraordinaire, mais il a été intelligent, patient et efficace. Voyant que Koepka était en train de s’autosaboter, le joueur de 28 ans a choisi la prudence.

Pendant ce temps, Koepka jugeait mal ses approches, en plus d’être imprécis sur ses coups roulés. Pourtant, ces deux phases du jeu ont été son pain et son beurre lors des derniers jours. « J’ai juste joué de manière très moyenne, a-t-il précisé, débiné après la ronde finale. Je n’ai pas eu de chance. […] J’ai frappé de bons coups, mais je n’atterrissais pas aux bons endroits. Je ne sens pas que j’ai mal joué, mais ce n’était juste pas assez. »

Lorsque Koepka s’effondrait, Rahm se levait. Comme au sixième. L’Américain a dépassé la coupe de plusieurs verges avec son wedge. L’Espagnol a calé un long roulé pour la normale. Au huitième, Koepka a effectué un coup de départ erratique sur la gauche. Rahm a placé son approche à quelques pouces du fanion. Au 14e, le joueur du LIV s’est entêté à forcer la note. Le représentant du PGA Tour a placé une frappe depuis les épinettes à faible distance du trou.

« J’ai senti que l’oiselet au huitième était un moment clé. […] Je voulais surtout sortir du Amen Corner avec une normale », a expliqué Rahm.

Finalement, il a repris six coups sur Koepka en l’espace d’un après-midi. Une véritable démonstration de force et de caractère. Il a remis une carte de quatre oiselets et un seul boguey pour 69 (-3) et un cumulatif de -12, quatre coups devant Phil Mickelson et Brooks Koepka.

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Jon Rahm fait l'accolade à son rival Brooks Koepka après la confirmation de sa victoire.

Il s’agit du deuxième titre majeur de Rahm après l’Omnium américain remporté en 2021. Il devient aussi le quatrième espagnol à enfiler le veston vert. Cette statistique lui a d’ailleurs fait plaisir, puisqu’il gagne le Tournoi des Maîtres exactement 40 ans après son idole et compatriote Seve Ballesteros, dont ç’aurait été l’anniversaire dimanche. « C’est incroyablement significatif. Et de finir le tournoi comme je l’ai fait, avec une normale à la Seve, c’était une manière de lui rendre hommage et je savais qu’il était avec moi aujourd’hui. »

Une bataille de tous les instants

Le PGA Tour fait belle figure. Il sort gagnant de cette première véritable bataille face au circuit saoudien.

Les joueurs de la ligue pilotée par Greg Norman ont toutefois bien paru. Phil Mickelson, l’un de membres névralgiques du LIV, a grimpé jusqu’en deuxième position grâce à une ronde d’anthologie.

Il est devenu, à 52 ans, le plus vieux participant à terminer dans le top 5.

L’homme aux lunettes fumées ostentatoires ne figurait même pas sur le tableau principal des meneurs en début d’après-midi, à -1.

Lui et son partenaire Jordan Spieth ont lutté comme des forcenés pour ne pas se faire oublier. Les deux anciens champions ont joué de manière inspirée. Ils ont été exquis sur les verts, ne ratant jamais une occasion de faire bondir la foule.

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Phil Mickelson (à gauche) et Jordan Spieth sur le terrain d’Augusta

Mickelson, toujours le pouce en l’air en guise de remerciement, a remis une carte de 65 (-7), en jouant notamment cinq coups sous la normale sur le neuf de retour. Jordan Spieth, tout aussi flamboyant et efficace, a été porté lui aussi par le désir de faire parler de lui. Contrairement à son partenaire de jeu, il a craqué seulement au dernier trou. Il a complété sa journée avec une carte de 66 (-6), en quatrième position.

Deux rondes improbables, mais certainement plus divertissantes que celles offertes par Viktor Hovland et Patrick Cantlay. Ce duo jouait juste avant le groupe de tête, mais il n’aura jamais été une réelle menace.

Si la lutte à deux accaparait toute l’attention, personne dans le tableau des aspirants ne voulait s’en laisser imposer.

En milieu de ronde, Scottie Scheffler, Spieth, Sahith Theegala, Russell Henley, Gary Woodland, Cameron Young et Mickelson étaient tous à -6, à quelques coups des meneurs. Et comme on a déjà assisté à des cafouillages monumentaux dans le Amen Corner, notamment, Rahm et Koepka n’étaient pas à l’abri de se faire rattraper par tous ces requins affamés.

Ça n’aura pas été le cas, mais ce dimanche pascal aura été à la hauteur des attentes forgées à l’égard de ce que doit être un tournoi majeur, surtout à l’Augusta National.

Ultimement, la bande des gentils a eu le meilleur, mais celle des vilains n’a pas dit son dernier mot. La suite, parce qu’il y en aura une, trois à vrai dire d’ici la fin de la saison, attirera bon nombre de curieux.