Vingt ans avant de se retrouver en NASCAR, deux pilotes en herbe se sont croisés pour la première fois. Retour aux origines d'une rivalité annoncée.

Vingt ans avant de se retrouver en NASCAR, deux pilotes en herbe se sont croisés pour la première fois. Retour aux origines d'une rivalité annoncée.

Richard Spénard était là quand tout a commencé.

C'était en 1987, à la piste de Shannonville, en Ontario. Cette année-là, de la soixantaine d'élèves de l'école de pilotage Spénard-David allaient émerger deux jeunes hommes au talent hors normes: Jacques Villeneuve et Patrick Carpentier.

Le premier venait d'avoir 16 ans et avait suivi ses premières leçons de pilotage à l'école Jim-Russell de Mont-Tremblant, l'année précédente. Le second, plus jeune de quelques mois, n'avait pas encore l'âge d'obtenir son permis de conduire.

Ça n'a pas empêché Carpentier de vite faire la preuve de ses habiletés. «Le jour de sa première compétition, la piste était trempée, raconte Spénard. Il n'avait aucune expérience dans ce genre de situation, mais il avait mangé la compétition. Il l'avait emporté haut la main et démontré un talent naturel impressionnant.»

Carpentier travaillait comme mécanicien pour payer son cours de pilotage. «On n'avait pas le choix: Patrick n'avait pas d'argent, mais alors pas du tout. Un jeune de 15 ans n'a pas 2000$. Et son père n'avait pas les moyens.»

Villeneuve était censé jouer les mécanos lui aussi, mais Spénard avait plus de difficulté à le convaincre de travailler. «Il arrivait de Monaco et il était déjà un peu une vedette à cause de son nom», se souvient-il. Comme Jacques n'aimait pas tellement plonger ses mains dans la graisse de moteur, Spénard lui avait donné le mandat de repeindre les murs du garage de l'école. «Quand il est devenu champion du monde, le logo qu'il avait peint est devenu une oeuvre d'art! Personne ne voulait l'effacer», dit Spénard en riant.

Qui était le meilleur à l'époque? «Les deux avaient un coup de volant, des aptitudes et une intelligence très comparables, sauf que l'un était moins discipliné que l'autre, répond leur ex-entraîneur. Jacques n'était pas aussi raffiné que Patrick. Il se sortait de piste et avait des accrochages. Mais de temps à autre, on voyait qu'il avait hérité de certaines qualités de son père. Il était rapide sur un tour. Il avait des éclats de vitesse qui nous faisaient dire : Ce gars-là n'est pas un manche à balai.»

Deux duels

Depuis les beaux jours de l'école Spénard-David, les routes de Villeneuve et Carpentier ne se sont pas croisées très souvent. Ils se sont affrontés en piste à deux reprises seulement. Ça explique sans doute pourquoi ceux qui les connaissent disent que les rapports entre les deux, quoique cordiaux, restent limités.

Le premier face-à-face remonte au Grand Prix de Trois-Rivières de 1992. C'est l'année où Carpentier a remporté le volet canadien du championnat de Formule Atlantique, pendant que Villeneuve, après trois années en F3 italienne, devenait vice-champion de Formule 3 au Japon.

Player's avait décidé de frapper un grand coup en invitant Villeneuve à prendre le départ de l'épreuve remportée par son père, Gilles, en 1976. «Il y avait deux raisons, explique Jean-Claude Torchia, alors directeur des commandites du cigarettier. Player's était le commanditaire du GP de Trois-Rivières et c'était le 10e anniversaire de la mort de Gilles. On a décidé de prendre l'initiative d'inviter Jacques parce qu'on voulait attirer une foule importante et parce qu'on pensait qu'il avait le talent.» Un pari payant: Villeneuve a terminé deuxième, tandis que Carpentier finissait septième.

Les deux Québécois ont croisé le fer une autre fois, la saison suivante, à Mosport, toujours en Atlantique. Après sa performance de Trois-Rivières, Jacques avait décroché un volant dans l'écurie Player's naissante. Carpentier, lui, connaissait une année de misère avec l'équipe ontarienne Ethnic Ad. À sa seule course de la saison, il a terminé quatrième, deux rangs derrière Villeneuve.

Plus personne ne doutait alors du potentiel de Villeneuve. Il n'en avait pas toujours été ainsi. «Quand Jacques s'est retrouvé au Japon, il a offert des performances sérieuses. Mais avant, s'il n'avait pas eu le nom de Gilles, il n'aurait pas passé, dit Spénard. En Italie, il ne finissait pas ses courses. Ses résultats étaient médiocres. Si Carpentier avait été dans la même situation, ça n'aurait pas fonctionné.»

L'avenir

À l'aube de leur carrière en NASCAR, qui de Villeneuve et Carpentier a le plus de chances de connaître du succès? Spénard hésite. «Le talent pur et le coup de volant sont comparables. Ça va être au niveau du travail que la différence va se faire. J'ai l'impression que Patrick est plus flexible que Jacques, qui a eu la vie pas mal plus facile. Il va falloir que Jacques aime ça en maudit pour faire l'effort nécessaire.»

C'est sans doute la plus grande interrogation qui subsiste au sujet de Villeneuve, toujours à la recherche d'un commanditaire majeur. Un pilote habitué à vivre dans le confort - et l'isolement - de son motorhome sera-t-il prêt à faire les sacrifices qu'impose l'éreintant calendrier du NASCAR? Voudra-t-il, métaphoriquement, se mettre les mains dans la graisse de moteur? Les prochains mois promettent d'être instructifs.