Pour la première fois depuis cinq ans, des Formule 1 vont s'élancer dimanche d'une grille de départ d'un circuit américain. Le pays de l'Oncle Sam a toujours entretenu des relations houleuses avec ce sport automobile. La F1 ne s'y est jamais imposée. Pourquoi cela n'a-t-il pas fonctionné par le passé? Ce retour - vers le futur - peut-il être gagnant? Pistes de réflexion.

«Les Américains sont chauvins, ils ne sont pas passionnés par la F1. À part leurs grands sports, il n'y a pas grand-chose qui les intéresse. C'est un pays de gros moteurs, de grosses bagnoles et de brasse-camarade. Et c'est ce qui leur plaît davantage, aux Américains.»

Ancien journaliste sportif, Gilles Boursier a couvert la Formule 1 pendant plus de 15 ans et en a vu, des Grands Prix aux États-Unis, de Watkins Glen à Long Beach, en passant par Detroit et Phoenix. L'explication - sociale - du désamour des Américains envers la F1 est limpide, pour lui. Et partagée.

«Le concept du héros aux États-Unis, c'est un gars ordinaire qui fait des choses extraordinaires. C'est un gars tout à fait abordable. Que l'on trouve dans les séries automobiles américaines. Les pilotes de F1, eux, se cachent d'un motor-home à l'autre, ils ne parlent à personne. Ce sont donc deux mondes différents. [...] En Amérique, on vend des pilotes. En Europe, on vend des écuries», souligne Normand Legault, ancien promoteur du Grand Prix du Canada à Montréal.

Les Américains ont le plus souvent perçu la F1 comme une série européenne. Comme ils n'en sont pas les instigateurs et les vainqueurs, ils n'y voient aucun intérêt.

Ce chauvinisme et cette culture n'expliquent pas à eux seuls les échecs récurrents de la F1 aux États-Unis. Les promoteurs n'ont pas toujours fait les bons choix. Le circuit de Detroit en plein centre-ville s'est révélé un enfer pour les pilotes dans les années 80: un parcours bosselé, des bouches d'égout un peu partout, des virages aveugles... Personne ne l'a regretté. Phoenix a été «un désastre total», selon Gilles Boursier. À Las Vegas, en 1981 et en 1982, on a carrément aménagé une piste dans un vaste stationnement situé derrière des casinos. Dallas? Personne ne s'en souvient...

Autant d'artifices nettement insuffisants. «Tous les efforts faits à Phoenix ou à Indianapolis l'ont été dans des lieux qui ne sont pas des terreaux favorables», estime René Fagnan, ancien journaliste pour les magazines Formula et Pole-Position.

Mais les meilleurs moteurs d'un engouement populaire restent les pilotes et les écuries. Les Américains ont été plus ou moins présents sur les circuits de F1 et autour jusqu'au début des années 80. Depuis, c'est le désert. L'Amérique a enfanté deux champions du monde de F1: Phil Hill en 1961 et Mario Andretti en 1978.

«La F1 a fonctionné aux États-Unis dans le temps de Mario Andretti. Cela a décollé au Canada quand Gilles Villeneuve est arrivé. Qui savait qu'il y avait une course à Mosport Park, en Ontario, avant qu'il arrive?», fait remarquer Marc D'Orsonnens, grand amateur de F1 et ancien pigiste.

Les rares fois où la F1 a fonctionné, ce fut pendant les heures de gloire des pilotes américains. Mais aussi en des lieux précis. Watkins Glen a été populaire. La course de Long Beach a bien fonctionné jusqu'à ce que Bernie Ecclestone se montre trop gourmand financièrement - déjà à l'époque - pour les promoteurs locaux. «Cela a fonctionné à Watkins Glen, où on n'a pas un amateur typique de NASCAR, puis à Long Beach, avec un auditoire différent et avec une culture du circuit plutôt routier et non pas ovale», indique René Fagnan.



Retour gagnant?

Quand est venu le temps de déterminer le lieu de la renaissance de la F1 au sud de la frontière, le choix d'Austin, au Texas, a par conséquent surpris beaucoup d'observateurs. Une petite ville, dans un État du Sud. Dans un contexte où le dernier pilote américain en piste a été Scott Speed en 2007, dernière année de course à Indianapolis, un énième échec.

La question se pose à nouveau: est-ce que cela va marcher? «Pour cette année, quand vous regardez les ventes de billets, c'est presque complet. Ce qui garantit un succès. Maintenant, la question est: est-ce que cela va continuer?», se demande l'ancien champion du monde Mario Andretti.

Toutes les personnes interrogées répondent en choeur: sans pilote et sans écurie américains, point de salut.

«Il est beaucoup plus facile d'avoir un pilote américain qu'une écurie américaine, explique Normand Legault. S'il fallait une équipe, il faudrait aller dans la Silicon Valley de la F1, qui est en Angleterre. Il faut embaucher des centaines de personnes. Et tout cela nécessite énormément d'argent. Plusieurs centaines de millions de dollars par an sur un minimum de cinq ans.»

Si le marché américain est suffisamment important pour accueillir deux Grands Prix, il y a tout de même un autre écueil. «Il n'y a pas ou peu d'entreprises américaines partenaires en F1 aujourd'hui, souligne M. Legault. Il n'y a aucun grand nom en F1, car ils ne connaissent pas ce sport et la F1 ne s'intéresse pas à eux. C'est un dialogue de sourds entre les entreprises et le public américain d'une part et la F1 d'autre part.»

D'aucuns estiment que les Américains auraient tout intérêt à concentrer leurs efforts sur une seule course au calendrier, en terrain propice. Sans quoi, il va falloir éduquer le public.

«La F1 reste très technologique et très stratégique. Je ne suis pas sûr que les spectateurs comprennent tout ça. C'est un monde complètement différent de ce à quoi les Américains sont habitués», conclut René Fagnan.

La course n'est pas gagnée.

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Photo: AP

Le circuit d'Austin, au Texas, accueillera le Grand Prix de Formule 1 des États-Unis en fin de semaine.

LES PRINCIPAUX CIRCUITS DE F1 AUX ÉTATS-UNIS

Austin est la 10e ville américaine à accueillir un Grand Prix de Formule 1. Depuis 1950, année des débuts de la F1, Indianapolis, Watkins Glen, Long Beach et Detroit ont été les principales villes-hôtes. La petite histoire retiendra qu'il y a eu également une course à Sebring (1959), Riverside (1960), Phoenix (1989 à 1991), Las Vegas (1981 et 1982) et même Dallas (1984).

Indianapolis - Indiana (1950 à 1960 et 2000 à 2007)

Le mythique circuit a reçu la Formule 1 dès ses débuts en 1950. Cette première expérience sur l'immense anneau a duré 10 ans. Pour le retour de la F1 aux États-Unis en l'an 2000, l'anneau a été amputé de moitié et le tracé serpentait à l'intérieur de l'ovale. Le fiasco de 2005 sonnera le glas de la F1 à Indy deux ans plus tard.

Watkins Glen - New York (1961 à 1980)

Pour beaucoup d'amateurs et de journalistes de l'époque, le Grand Prix de Watkins Glen était une course dans un champ au fin fond d'un rang. Situé à 300 km au nord-ouest de New York, le circuit, très rapide, a été agrandi en 1971. Il a été relativement populaire.



Long Beach - Californie (1976 à 1983)


Long Beach a sans doute été le meilleur endroit aux États-Unis où tenir un Grand Prix de Formule 1. Le tracé a été considéré comme «le circuit urbain américain le plus réussi» avec des virages rapides et des chicanes lentes. Mais des modifications au tracé, en 1982, ont rendu la course moins intéressante. Les organisateurs se sont ensuite tournés vers le CART, moins exigeant financièrement que la F1.



Detroit - Michigan (1982 à 1988)


Articulé autour du siège social de General Motors en plein centre-ville, le tracé urbain du Grand Prix de Detroit comportait plusieurs virages à angle droit, de multiples plaques d'égout, un revêtement bosselé et des puits dangereux pour le personnel à pied. Les pilotes n'ont jamais regretté cette course qui tournait dans le sens contraire des aiguilles d'une montre.

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Photo: AFP

Le fiasco du Grand Prix des États-Unis de 2005 a sonné le glas de la F1 à Indianapolis deux ans plus tard.

L'HISTOIRE DE LA F1 AUX ÉTATS-UNIS

1950: Dès la première année d'existence de la Formule 1, les 500 milles d'Indianapolis sont intégrés au calendrier du championnat du monde. Au départ de cette course hybride, les pilotes américains participants aux 500 milles sont aux côtés de quelques pilotes de F1.

1960: La Formule 1 essuie un premier échec aux États-Unis. Non seulement les pilotes locaux ne sont pas intéressés par les épreuves européennes, mais les pilotes européens eux-mêmes sont plutôt tentés par le championnat américain AAA, devenu en 1956 le championnat USAC (United States Auto Club).

1961: Au volant d'une Ferrari, Phil Hill devient le premier Américain champion du monde de Formule 1.

1966: Le pilote américain Dan Gurney fonde sa propre écurie de Formule 1, Eagle. L'aventure durera à peine quatre ans.

1974: L'ancien pilote américain Roger Penske se lance à son tour dans l'aventure F1. Créée en 1966, son écurie Team Penske était jusqu'alors dans le championnat Can-Am. Faute de commanditaire majeur, Penske se retire de la F1 à la fin de l'année 1976.



Photo: archives AP

Johnny Parsons, vainqueur des 500 milles d'Indianapolis en 1950.

1978: Avec 8 positions de tête et 6 victoires durant la saison, Mario Andretti (sur Lotus) devient le deuxième et - à ce jour - le dernier Américain à avoir remporté le titre de champion du monde de F1.

1980: Shadow est à ce jour la dernière écurie à consonance américaine à disputer un championnat du monde de Formule 1. Après de nombreuses non-qualifications et un seule course disputée, son fondateur, Don Nichols, jette l'éponge. Cela faisait huit ans que son équipe était en Formule 1.

1982: Les États-Unis comptent trois Grand Prix de F1 au calendrier: Long Beach le 4 avril, Detroit le 6 juin, Las Vegas le 25 septembre.

2000: Neuf ans après la dernière épreuve en sol américain - à Phoenix -, et tout juste 50 ans après la dernière course disputée à Indianapolis, la F1 revient sur le circuit d'Indy.

2005: Cette année-là, le Grand Prix des États-Unis, de retour à Indianapolis depuis l'an 2000, s'avère sans doute le plus grand fiasco de l'histoire de la F1. Six voitures seulement prennent le départ. Après l'éclatement d'un pneu lors des essais libres du vendredi, les autres équipes ne participent pas à la course.

2007: Grand espoir américain, Scott Speed aura fait une saison et demie en F1. Au Grand Prix d'Europe, sur le circuit du Nürburgring, il abandonne dès le deuxième tour au volant de sa Toro Rosso. C'est au terme de cette course qu'il est viré et remplacé par un certain... Sebastian Vettel. Il n'y a jamais eu d'Américain en F1 depuis.

2012: Le F1 est de retour aux États-Unis, cinq ans après le dernier Grand Prix disputé à Indianapolis. Austin est la 10e ville américaine à accueillir le Grand cirque.

Sources: Forix et Stats F1

Photo: archives La Presse

La Lotus de Mario Andretti.