Anachronique et prestigieux, traditionnel et pourtant résolument avant-gardiste, le Grand Prix de Monaco est la plus belle épreuve du Championnat du monde de F1. Christian Tornatore est le commissaire général de cette épreuve mythique.

Natif de Monaco, il a grandi en suivant les exploits des grands pilotes, dans le Grand Prix bien sûr, mais aussi dans le célèbre rallye. Aujourd'hui, toujours passionné par le sport automobile, c'est lui qui supervise «sur le terrain» l'organisation des deux courses.

Vendredi, il nous a guidé dans les coulisses du Grand Prix et, si vous croyez que c'est complexe d'organiser une épreuve de F1 sur l'île Notre-Dame, essayez d'imaginer à Monaco!

Le port de la principauté est minuscule, coincé entre la Méditerranée et les Alpilles. Il n'y a pratiquement qu'une route pour y accéder, aussi tortueuse que le circuit lui-même, et c'est un casse-tête d'y amener chaque année non seulement les voitures qui participent au Grand Prix et aux épreuves de soutien, mais aussi toute l'infrastructure du Grand Prix.

«Nous avons la chance d'avoir un appui inconditionnel des autorités et de la communauté monégasque, explique Tornatore. D'autres circuits célèbres ont accueilli la F1 par le passé, mais nous étions sans doute les seuls à avoir les moyens de préserver notre héritage.

«Cela nous a permis de faire évoluer le Grand Prix conformément aux exigences de la F1 moderne, sans rien sacrifier de ce qui a fait la réputation de l'événement.»

C'est vrai que Monaco concilie avec un rare équilibre d'une part une histoire riche et prestigieuse, et d'autre part, une organisation à la fine pointe du luxe et de la technologie. Nulle part ailleurs les paddocks sont-ils plus «hi-tech», les vedettes plus nombreuses sur les yachts.

Et pourtant, le circuit n'a pratiquement pas changé depuis le premier Grand Prix, en 1929. «Toute la tradition part de là; le tracé du circuit est un peu sacré ici et ce serait d'ailleurs impossible d'y toucher en raison de la géographie de Monaco», explique Tornatore en montrant du bras les eaux du port, toutes proches.

«Les derniers travaux importants, en 2002-2003, étaient devenus nécessaires en raison de la désuétude des anciens puits de ravitaillement. Les équipes n'avaient que quelques mètres carrés pour ranger les voitures et le matériel. Et le personnel s'entassait dans une petite loge, au-dessus, où il devenait vite impossible de respirer...» rappelle le commissaire général, en désignant les nouvelles installations, plus conformes aux standards des autres circuits.

«Nous avons réussi à gagner 5000 mètres carrés sur la mer, dans le port, et nous avons pu réaménager la partie basse du circuit, sans vraiment en modifier le tracé. Avec les années, nous avons aussi pu aménager des paddocks sur les nouveaux quais ou même sur des plateformes flottantes, comme le fait Red Bull de façon assez spectaculaire...»

Il y a ceux qui aiment... et les autres

Partie intégrante de l'histoire de Monaco, le Grand Prix n'en a pas moins des adversaires dans la communauté. «Je ne dis pas que tout le monde ici apprécie le Grand Prix, reconnaît Tornatore. Mais ceux qui n'aiment pas peuvent partir et ils ne s'en privent pas. Ils libèrent de cette façon des logements qui sont bien utiles pour loger les équipes et tous les visiteurs.»

Les moyens du Grand Prix sont importants, on l'a dit, et ils ne sont pas que financiers. Pour faciliter l'organisation, la principauté procède chaque année à la fermeture de toutes les écoles à partir du milieu de la semaine. Des arrangements sont aussi consentis aux entreprises dont les employés ne peuvent (ou ne veulent...) pas travailler normalement en raison de l'événement.

Amorcée il y a quelques semaines, la préparation du Grand Prix ne s'achève que dimanche matin, avec les dernières retouches à la loge princière, devant laquelle on procédera à la remise des trophées après la course.

«L'événement mobilise des centaines d'employés et de bénévoles, explique Tornatore. Quand on est monégasque, comme moi, c'est une source de fierté de participer à la réussite du Grand Prix.»

Loin d'être assis sur son succès, l'Automobile Club de Monaco prépare l'avenir et c'est encore Tornatore qui en est le maître d'oeuvre.

«Vous l'avez dit, nous travaillons entre le passé et le futur, la tradition et l'avant-gardisme. Notre Grand Prix des voitures historiques côtoie sans problème notre Rallye des énergies alternatives au calendrier de nos épreuves et nous avons d'autres projets. Le sport automobile est une tradition bien ancrée dans la Principauté et elle le restera encore longtemps.»

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Une course tragique

Est-ce parce qu'une grande actrice y a longtemps régné, Monaco offre un cadre tragique à son Grand Prix. Seulement deux pilotes y sont décédés, mais l'accident de Lorenzo Bandini, en 1967, a marqué les esprits. L'Italien est mort des suites des brûlures subies lorsque sa Ferrari s'est renversée puis a pris feu à la sortie de la chicane. C'est l'intervention d'un autre pilote, le prince Michel de Bourbon-Parme, qui a permis de le libérer, malheureusement trop tard. L'Italien Alberto Ascari avait eu plus de chance, en 1955, quand il avait été miraculeusement repêché dans les eaux du port par les sapeurs pompiers après avoir perdu contrôle de sa Lancia.

Le roi, c'est Senna

Monaco est une principauté, mais s'il fallait y couronner un roi ce serait sûrement Ayrton Senna. Considéré par plusieurs comme le pilote le plus doué de l'histoire de la F1, le Brésilien s'est imposé à six reprises dans ce Grand Prix et il y a toujours été compétitif. C'est d'ailleurs là qu'il a failli remporter sa première victoire, en 1984, au volant de la pourtant peu compétitive Toleman. Senna venait de reprendre près d'une minute au favori Alain Prost sur une piste rendue très glissante par un déluge, lorsque le directeur de course, Jacky Ickx, a décidé d'arrêter l'épreuve. L'ancien pilote belge n'a plus jamais dirigé le Grand Prix...

Des paddocks à l'hôtel

Destination huppée pour les touristes fortunés, Monaco compte plusieurs hôtels prestigieux et les membres des équipes s'y déplacent habituellement à pied. Plusieurs pilotes y habitent ou y ont un «pied-à-terre». C'était justement le cas d'Ayrton Senna et les plus vieux journalistes racontent encore comment le Brésilien s'était réfugié directement dans son appartement, en 1988, après avoir heurté un mur à 11 tours de l'arrivée. Senna avait pourtant une avance de près d'une minute sur son coéquipier Alain Prost. Les patrons de McLaren, inquiets, l'ont cherché longtemps avant qu'on songe à aller sonner chez lui...