Stuart Morrison regarde la course de son bureau, dans le paddock du circuit international de Sakhir. À l’écran, devant lui, la monoplace de Romain Grosjean percute la barrière de plein fouet. « J’ai vu la boule de feu. Je savais que c’était une de nos voitures », raconte le directeur des communications de l’écurie Haas.

À ce moment, le 29 novembre 2020, la planète entière imagine le pire. Équipes, pilotes et amateurs retiennent leur souffle.

« Immédiatement, tu te dis : c’est mauvais, sans doute le pire crash dans lequel je vais être impliqué », poursuit Morrison.

« Ensuite, tu reçois le flux d’informations. Est-il correct ? Nous essayons de fermer les communications quand ça arrive, alors il n’y a que quelques personnes qui se parlent entre elles. »

Moins de trois ans plus tard, l’homme de 48 ans est installé dans le quartier général de Haas, au Grand Prix de Miami, pour raconter ses souvenirs à La Presse. Derrière nous, à travers la vitre qui donne sur le village des équipes, on peut apercevoir Romain Grosjean, en grande conversation avec Kevin Magnussen.

En huit ans chez Haas, cette crise est la plus importante que Stuart Morrison a gérée.

« Nous avons un bon système de communication, c’était important. Ultimement, il était correct, donc nous avons relayé cette information d’abord. Ensuite, il a passé quelques jours à l’hôpital. »

PHOTO TOLGA BOZOGLU, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Les secouristes tentent d’éteindre la voiture en feu de Romain Grosjean sur le circuit de Sakhir le 29 novembre 2020.

Sauvé par l’arceau de sécurité, Grosjean s’en est sorti pratiquement – et miraculeusement – indemne, avec des cicatrices aux mains.

« Cet accident a créé l’équivalent d’une semaine de travail de fou, se souvient Morrison. Tous les médias du monde voulaient en parler. J’avais des demandes non seulement des médias du sport automobile, mais aussi de Good Morning America, CNN… Tous ces médias qui, normalement, n’auraient pas couvert la course. »

Morrison et Montréal

Notre rencontre avec Stuart Morrison a lieu le 7 mai, quelques heures avant la course à Miami. Tête rasée, barbe bien taillée, ses lunettes transparentes sur le nez, le sympathique Écossais accorde près d’une demi-heure de son temps à La Presse. Devant lui, deux exemplaires du livre Surviving to Drive, écrit par le directeur principal de Haas, Guenther Steiner, et paru deux jours plus tôt.

Si le nom et le visage de Stuart Morrison sont inconnus aux Montréalais, Montréal est loin d’être inconnu à Stuart Morrison. Le natif de Glasgow, en Écosse, a habité dans la métropole pendant 12 ans, de 2004 à 2015. Sa femme, Jennifer, a grandi à Montréal. Le couple et ses deux enfants sont partis pour l’Angleterre quand le père de famille a été embauché par Haas, en 2015, alors que l’écurie faisait son arrivée en F1.

Chaque année, Morrison a hâte de monter dans l’avion en direction du Québec pour le Grand Prix du Canada. Sa belle-famille et plusieurs de ses amis y résident toujours. « Je le vois comme une course à la maison pour moi », dit-il.

Morrison a eu tout un parcours comme relationniste dans le sport automobile avant son embauche par Haas. Diplômé en études cinématographiques et médiatiques, il a commencé dans le domaine au sein de la Série Formula Palmer Audi. Au fil des années, il a travaillé pour des pilotes canadiens, des commanditaires et des équipes.

PHOTO JOAN MONFORT, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Kevin Magnussen

En tant que directeur aux communications chez Haas, Morrison est responsable d’une équipe de trois personnes. Parmi ses tâches : planifier les horaires de Magnussen et Nico Hülkenberg, gérer les demandes médiatiques, piloter les relations publiques de Guenther Steiner, créer du contenu pour les réseaux sociaux… et plus encore.

C’est lui qui, après chaque journée de qualifications et chaque course, accompagne les pilotes de Haas aux entrevues des télévisions, puis des médias écrits. Une tâche pas toujours aussi évidente qu’elle en a l’air, surtout quand la séance en piste ne s’est pas déroulée comme prévu.

« Ça peut être une des choses les plus difficiles parce que tu gères quelqu’un qui est frustré et la première chose que tu dois faire, c’est de mettre une caméra de télévision devant lui. »

Est-ce que c’est aussi amusant et glamour que ça en a l’air, voyager d’un bout à l’autre du monde ? lui demande-t-on.

« Ça l’est et ça ne l’est pas. Pour les plus jeunes, c’est une belle opportunité d’être payé pour voir le monde. […] Les gens ne publient que ce qu’il y a de mieux sur Instagram et la télé ne montre que le bon côté des choses. Mais nous faisons de longues journées. Nous faisons face à plusieurs défis et ça fait partie du job, mais ce n’est pas nécessairement toujours glamour. »

Tiens, nous voilà interrompus par Guenther Steiner, qui pose une question d’horaire à Morrison. « Je suis très chanceux ; Guenther comprend le rôle des médias, il comprend combien c’est important de servir les médias », nous dit Morrison une fois Steiner parti.

PHOTO SIMON GALLOWAY, FOURNIE PAR HAAS F1 TEAM

Stuart Morrison, à droite, en compagnie de Guenther Steiner, directeur principal de Haas

Une belle vie

Travailler en Formule 1, pour un père de deux enfants, exige des sacrifices. Au fil des années, Stuart Morrison a raté les anniversaires de ses enfants et de sa femme à plus d’une reprise.

Les familles des gens en Formule 1 sacrifient beaucoup de choses aussi parce que c’est tellement demandant. Mais personne ne met de fusil sur notre tête. Nous le faisons parce que nous sommes passionnés.

Stuart Morrison

Quand on lui demande combien de temps il prévoit œuvrer dans ce domaine, Morrison hésite. « Ça change de course en course », dit-il. S’il souhaite rester en F1 « encore longtemps », il entend diminuer le nombre de voyages.

« Le sport automobile m’a offert une belle vie. J’ai beaucoup d’amis dans la business. […] Peut-être qu’un jour, je vais me réveiller et je vais savoir que c’est l’heure. Mais pour l’instant, je ne sais pas. Alors je vais continuer. »