(Los Angeles) « Tous ces trucs qui se sont passés entre nous, ça n’a jamais été de l’aversion. C’est ce que font des frères » : géant au cœur brisé, Shaquille O’Neal évoque avec émotion sa relation entre querelles, respect mutuel et rapprochement, avec Kobe Bryant, mort dimanche.

« Je ne vais pas bien. Je n’ai pas mangé, pas dormi. Je regarde toutes les cassettes (de leurs matchs ensemble, NDLR). J’en suis malade. Ça va faire mal longtemps. J’ai un petit frère, mais j’ai vraiment perdu un frère », dit « Shaq », la gorge nouée, sur sa baladoémission The Big Podcast.

Depuis dimanche matin et ce terrible accident d’hélicoptère survenu au nord-ouest de Los Angeles, qui a emporté Bryant à 41 ans, sa fille Gianna, 13 ans, et sept autres personnes, le monde du sport et la NBA sont en deuil.

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La grande famille des Lakers, elle, reste inconsolable et peine même à trouver les mots.  

De Jerry West, qui, le premier, a vu l’immense potentiel de Kobe en le repêchant en 1996 à 17 ans, à la légende Kareem Abdul Jabbar, en passant par Magic Johnson qui le qualifia de plus grand Laker de l’histoire, sans oublier LeBron James qui s’est promis de « perpétuer son héritage ».  

Traduction : ramener le trophée de champion NBA dans la maison pourpre et or en juin, dix ans après le dernier en date remporté par Bryant.

« Le meilleur duo »

Shaquille O’Neal a lui aussi sa place au panthéon de la franchise californienne. Il fut avec son ancien coéquipier un acteur majeur dans la conquête du triplé 2000-2001-2002 et se rappelle de cette épopée glorieuse mais ô combien orageuse.

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Shaquille O’Neal et Kobe Bryant, en 2000

« Nous sommes toujours le meilleur duo jamais créé. Cela ne changera jamais », affirme-t-il. « Non seulement nous avons gagné trois championnats, mais nous les avons vraiment écrasés ».

Si l’alliance entre O’Neal, monstre de domination à l’intérieur, et Bryant, insatiable tireur de précision, a tout balayé pendant ces trois saisons, leur guerre d’égos n’a cessé de prendre de l’ampleur.

Bryant, qui suscite alors autant d’admiration que de détestation pour son génie noyé dans l’arrogance et l’individualisme, voudrait être LA star de l’équipe. Mais c’est O’Neal qui reçoit les lauriers en étant désigné meilleur joueur des trois finales remportées ensemble.

Les flèches que se décochent les deux hommes seront toujours plus empoisonnées.  

En 2003, Bryant, qui fait face à une accusation de viol, finalement abandonnée par la suite, joue quand même les matchs entre ses convocations au tribunal. O’Neal trouve qu’il tire trop et déclare qu’il devrait faire plus de passes. Bryant, lui, estime auprès de la police qu’il aurait dû payer cette femme pour garder le silence sur leurs rencontres, « comme le fait Shaq ».

L’alchimie sur les parquets en prend un coup et les Lakers échouent à décrocher une quatrième victoire en finale face à Detroit. O’Neal demande à partir. Le lendemain, Bryant, qui a gagné le bras de fer interne, signe un nouveau contrat avec les Lakers.

« Et si ? »

« Tout ce qui s’est passé s’est produit », concède O’Neal. « Beaucoup de gens aiment voir le côté négatif mais je pense qu’ils le font en tant que fan des Lakers. Cela aurait été une histoire plus horrible si nous avions échoué. »

L’histoire veut que « Shaq » a remporté un quatrième titre en 2006 avec Miami, et que Bryant, volant de ses propres ailes, l’ait dépassé en offrant à L. A. ceux de 2009 et 2010.  

« Ça m’en fait juste un de plus que Shaq », répondit Kobe lorsqu’on lui demanda ce que ce cinquième sacre signifiait pour lui.

O’Neal a pris sa retraite en 2011 et Bryant en 2016. Le temps a aidé à réconcilier les deux hommes sur la base d’un « respect mutuel » qui s’est transformé en « très bonne relation » selon Bryant.  

« Notre relation était celle de frères », prolonge O’Neal. « J’ai un frère. Nous nous battons tout le temps mais je l’aime. J’adore Kobe (de la même manière) ».

« Je suis le premier à dire : “Hé, j’ai quatre bagues et je sais que je n’aurais pas pu en avoir trois sans lui. Parfois, je me dis "et si ?" », poursuit O’Neal, qui ne saura jamais combien Bryant et lui auraient pu gagner de titres s’ils étaient restés ensemble. Peut-être autant que Magic Johnson et Kareem Abdul-Jabbar, cinq fois sacrés…  

Mais les regrets se situent ailleurs pour « Shaq » : « j’aurais aimé que nous communiquions plus. J’aimerais qu’il soit là. J’aimerais pouvoir lui dire quelque chose ».