Quand Benoît Huot est revenu des Jeux paralympiques de Sydney avec six médailles au cou, à l'automne 2000, il n'a pas compris le silence médiatique qui a suivi. Plus que déçu, le jeune nageur de 16 ans en était fâché, frustré. Il s'est donné comme ambition de faire rayonner son sport, son monde, son Mouvement.

Près de 20 ans plus tard, il peut dire mission accomplie. Ils étaient quelque 150 personnes, jeunes et moins jeunes, de toutes les sphères et de tous les échelons du sport, pour l'ovationner, mardi matin, au moment où il a annoncé sa retraite. Et encore, la tempête de neige en avait retenu d'autres à Toronto.

De mémoire, aucune conférence de presse de fin de carrière d'un athlète québécois n'a eu un tel retentissement depuis celle d'Alexandre Despatie en juin 2013.

Meilleur ami de Huot, l'ex-plongeur était d'ailleurs l'animateur de l'événement qui s'est déroulé à l'Institut national du sport du Québec, à proximité de la piscine olympique, la «deuxième maison» du nouveau retraité, celle où il a franchi des millions de mètres dans l'eau.

«Le tour de la piscine est maintenant complété», a résumé l'homme de 35 ans, qui appréhendait ce moment «depuis 10 ans».

Toujours aussi à l'aise devant un micro, il n'a craqué que deux fois, à la toute fin de son discours, quand il a remercié ses parents, Lucie et Gilles, qui ont transmis les bonnes valeurs à ce petit garçon «avec une méchante tête de cochon», sa soeur Geneviève et sa conjointe Annie, qui lui a «donné le plus beau cadeau de la vie», sa «princesse Mila-Grace», née le 30 septembre en pleine santé.

Benoît, lui, est né avec une malformation à la jambe droite, un pied bot. Trente-cinq ans plus tard, son père Gilles est encore très ému quand il raconte la naissance de son fils. Grand sportif, il avait hâte de pouvoir jouer au hockey et au baseball avec son premier garçon.

«J'étais en colère, j'ai même eu de la misère à l'accepter, a expliqué M. Huot. Mais quand il est tombé dans la natation, je me suis dit: enfin, il a trouvé sa voie.»

Son pied était complètement retourné, le gros orteil touchant au talon, explique sa mère Lucie. Opéré à 3 mois, il a porté des plâtres et des orthèses pendant des semaines. Le processus de guérison s'est tellement bien passé qu'encore aujourd'hui, Huot se fait demander ce qu'il fait parmi les athlètes handicapés.

«Tous les jours», a précisé le principal intéressé, qui s'en est offusqué pendant un temps «Tu expliques les catégories, tu le partages, et les gens comprennent. C'est correct. C'est important de faire de l'éducation, et ça a été ma mission. Sinon, comment veux-tu augmenter la notoriété du Mouvement paralympique?»

Même s'il courait un peu moins vite que ses amis, le jeune garçon n'a jamais souffert de son handicap, soulignent ses parents. «Il a été bien encadré, il s'est ajusté à son pied bot», a expliqué Mme Huot.

Mark Tewksbury et Philippe Gagnon

Si Benoît Huot n'a jamais vraiment pu jouer au hockey, il s'est découvert un talent et une passion à la piscine de Saint-Hubert. L'entraîneur Guy Dorion, qui est devenu un «deuxième père», l'a pris en charge alors qu'il avait 8 ans et l'a mené jusqu'à l'équipe nationale.

Allumé par la médaille d'or de Mark Tewksbury aux Jeux olympiques de Barcelone en 1992, Huot a eu une véritable révélation cinq ans plus tard en voyant Philippe Gagnon, qui avait le même handicap, gagner des médailles aux Jeux du Canada. «Grâce à lui, j'ai découvert les sports paralympiques et compris que je pouvais y être admissible.»

Les deux nageurs ont été coéquipiers aux Jeux de Sydney, les premiers de Huot, où ils ont gagné l'or ensemble dans un relais. Encore inconnu, ce «jouvenceau arborant l'unifolié» était lancé, comme l'a relaté mardi le président du Comité paralympique canadien, Me Marc-André Fabien, qui était dans les gradins en Australie. «Benoît incarne la détermination, la soif de vaincre, mais toujours avec gentilhommerie.»

En 2004, Huot a vécu une première consécration aux Jeux paralympiques d'Athènes, où il a remporté cinq médailles d'or et une d'argent. Attendu à Pékin, quatre ans plus tard, il s'est cassé les dents, terrassé par un virus et dérangé par la montée d'un rival brésilien, André Brasil. «C'est là où j'ai le plus appris comme athlète et sur moi-même, où j'ai commencé à me poser les vraies questions. Ça a été un peu une révélation.»

Dans les circonstances, sa médaille d'or au 200 m quatre nages individuel, à Londres en 2012, est la course dont il est le plus fier.

Huot a disputé ses cinquièmes et derniers Jeux paralympiques à Rio de Janeiro en 2016. L'arrivée d'un groupe de nageurs ukrainiens, dont la réalité du handicap a fait l'objet de débats, a représenté un autre genre de défi. Après une semaine difficile, il a gagné le bronze au 400 m libre, enregistrant son meilleur temps à vie.

«Dans ses yeux, j'ai vu un peu de chien», a souligné le directeur général de Natation Canada, Ahmed El-Awadi, dans son hommage. «J'ai compris que c'est ça, un vrai héros. Quelqu'un qui est tombé et qui a surmonté un défi en suivant son coeur au maximum.»

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Pendant un temps, Huot a caressé l'idée de se rendre jusqu'aux Jeux paralympiques de Tokyo, l'an prochain, pour comprendre qu'il n'y aurait été qu'un participant.

«J'ai toujours été un gars super compétitif, a-t-il noté. Je sentais que je pouvais faire une plus grande contribution à l'extérieur des bassins que comme athlète. J'ai réalisé que tous mes rêves et mes objectifs sportifs ont été atteints. C'est le temps d'accrocher mon Speedo.»

Au total, Huot a remporté 20 médailles paralympiques, dont 9 d'or. Il est aussi monté sur le podium 32 fois à 6 championnats du monde. Il a abaissé plus de 60 records mondiaux.

Il a surtout pris le relais de Chantal Petitclerc, venue féliciter cet ami improbable mardi, et mis en lumière un univers sportif méconnu du grand public, tout en s'assurant qu'une coéquipière comme Aurélie Rivard, également présente entre trois séances d'entraînement à la piscine olympique, soit prête à porter le flambeau dans son sillage.

«Avec le recul, c'est vraiment ça qui me rend le plus fier», a dit Huot en saluant les Bruny Surin, Alexandre Bilodeau, Russell Martin et autres Marianne St-Gelais venus l'honorer. «Je suis très heureux des médailles, bien évidemment, mais c'est l'héritage [que je laisse] qui me plaît davantage. Je quitte avec le sentiment du devoir accompli.» Et ce n'est certainement pas fini.

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Photo Martin Chamberland, La Presse

Benoît Huot et sa fille Mila-Grace

Le palmarès de Benoît Huot

Compétitions internationales

20 médailles paralympiques (9 or, 5 argent et 6 bronze)

32 médailles en Championnat du monde IPC

4 médailles aux Jeux du Commonwealth (1 or (2010), 2 argent (2006), 1 bronze (2002))

Détenteur de plus de 60 records du monde dans sa catégorie

Jeux paralympiques

2016 - Rio de Janeiro: 1 médaille bronze (400 m libre)

2012 - Londres: 1 médaille d'or et record du monde (200 m QNI), 1 médaille d'argent (400 m libre), 1 médaille de bronze (100 m dos), porte-drapeau canadien à la cérémonie de clôture

2008 - Pékin: 4 médailles de bronze (50 m libre, 100 m libre, 400 m libre, 200 m QNI)

2004 - Athènes: 5 médailles d'or (50 m libre (record du monde), 100 m libre (record du monde), 400 m libre, 100 m papillon (record du monde), 200 m QNI (record paralympique), 1 médaille d'argent (100 m dos)

2000 - Sydney: 3 médailles d'or (50 m libre (record du monde), 200 m QNI (record paralympique), 4 x 100 m QNI (record du monde), 3 médailles d'argent (100 m libre, 400 m libre, 100 m dos)

Source: benoithuot.com