(Las Vegas) Pendant des années, les sports professionnels, notamment le basketball et le baseball, ont interdit les publicités de boissons alcoolisées dans les stades et arénas pour éviter leur télédiffusion durant les matchs. C’était un appui à la lutte contre l’alcool au volant.

Mais en 2009, durant la pire récession depuis la Grande Dépression, ces ligues ont vu leurs revenus fondre quand les grands annonceurs – constructeurs automobiles, banques, etc. – ont sabré leurs budgets publicitaires. Elles ont alors signé de lucratifs contrats avec des distillateurs annonçant rhum, téquila, vodka et autres alcools forts, et leur publicité est souvent bien en vue.

Propriétaire des Mavericks et de casinos

Cela montre comment tout peut changer du jour au lendemain, surtout quand de l’argent est en jeu. On en a vu un autre exemple la semaine dernière quand Miriam Adelson, actionnaire de contrôle de Sands Corporation, un exploitant de casinos, a conclu une entente pour acheter une participation majoritaire dans les Mavericks de Dallas, de la NBA.

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Miriam Adelson, actionnaire de contrôle de Sands Corporation, qui exploite des casinos, a vendu pour 2 milliards d’actions de l’entreprise pour acheter les Mavericks de Dallas. On la voit ici écoutant un discours de Donald Trump durant le Republican Jewish Coalition Annual Leadership Summit, le 28 octobre dernier, à Las Vegas.

« Les familles Adelson et Dumont sont honorées de se voir confier cette grande concession », ont-elles déclaré dans un communiqué.

Depuis le célèbre scandale des Black Sox en 1919, les grandes ligues professionnelles se sont tenues loin de l’univers du jeu. Le pari sportif était interdit aux joueurs, arbitres et propriétaires pour protéger les résultats des matchs de tout soupçon d’irrégularité.

Dans certaines ligues, comme la NFL, toute participation dans les casinos est proscrite. Ainsi, Dan Rooney, principal actionnaire des Steelers de Pittsburgh, a dû racheter les parts de ses frères dans l’équipe : ils possédaient des pistes de course à New York et en Floride. La NBA n’a pas de règle de ce type. Des propriétaires ont été liés à des casinos, notamment Tilman Fertitta, actuel propriétaire des Rockets de Houston.

« Si le pari sportif est permis, les incidents normaux du football – remises et passes ratées, revirements, pénalités, choix de jeu – alimenteront inévitablement la conjecture, la méfiance et les accusations d’avoir perdu par exprès ou truqué le pointage », disait en 2012 Roger Goodell, commissaire de la NFL.

La prudence de cette époque fait vieux jeu aujourd’hui, alors que le pari sportif – jadis l’apanage des casinos et des preneurs aux livres – a été légalisé dans des dizaines d’États. Parier sur son sport demeure interdit aux joueurs, arbitres et propriétaires, mais l’industrie du jeu a été accueillie à bras ouverts par le sport professionnel.

Il y a un guichet de pari dans certains stades de la NFL, comme celui des Commanders de Washington. Les sites de pari sportif s’annoncent désormais dans les stades ainsi qu’à la télé durant les matchs, y compris le Super Bowl, avec diverses promotions pour attirer de nouveaux clients.

Les ligues ont aussi fait volte-face au sujet de Las Vegas, capitale du pari sportif et, à ce titre, ville interdite durant des années. Aujourd’hui, la LNH, la NFL et la WNBA y ont des équipes. Le mois dernier, les propriétaires du baseball majeur ont approuvé à l’unanimité le déménagement des A’s d’Oakland à Las Vegas. La NBA y a organisé des matchs des Étoiles, une ligue estivale et un nouveau tournoi intrasaison. Une expansion y est envisagée. Tous les grands sports professionnels seraient alors présents dans la ville du péché, autrefois boudée.

« Les ligues s’ajustent à l’évolution des lois et des mœurs, ainsi qu’à la montée en popularité de différentes entreprises et catégories », explique Marc Ganis, consultant auprès de nombreuses équipes et ligues. « Cela inclut l’examen des règles de propriété, des commandites et de la publicité. »

Le Super Bowl à Las Vegas

L’adoption de Las Vegas par la NFL est peut-être la plus surprenante, étant donné la réputation conservatrice de la ligue. Les Raiders ont pu s’y installer en 2017. La ligue y a organisé le Pro Bowl et le repêchage universitaire. Et en février, la tenue du Super Bowl à Las Vegas effacera toute distance pouvant subsister entre la ligue et la ville.

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Les Raiders ont pu s’installer à Las Vegas en 2017.

Le repositionnement des ligues a été à la fois pratique et stratégique. Tout a changé en 2018 quand la Cour suprême a jugé inconstitutionnelle une loi interdisant le pari sportif dans la majeure partie du pays. Des dizaines d’États ont légalisé cette activité, éclipsant les sommes dépensées à Las Vegas. La NFL permet désormais aux propriétaires d’investir dans des casinos sans pari sportif, mais limite à 5 % leur participation dans les casinos où on parie sur les sports.

Las Vegas est devenue fréquentable sans changer. « C’est que les jeux d’argent sont presque partout aujourd’hui », dit Michael Green, historien à l’Université du Nevada à Las Vegas. « Ils sont aussi légitimes que n’importe quelle grande entreprise. »

La ville de Las Vegas est relativement petite, avec une population régionale d’environ 2,5 millions d’habitants, mais elle soutient les Raiders et les Golden Knights, car elle est une destination permanente, attirant environ 40 millions de touristes par an.

Ces visites à Las Vegas exposent « tout un nouveau segment de population au pari sportif », dit Jay Kornegay, vice-président des courses et du pari sportif chez Westgate Resorts.

Il y a à peine 20 ans, rappelle l’historien Michael Green, la NFL avait empêché Las Vegas de faire de la publicité durant le Super Bowl.

Pour mesurer à quel point les choses ont changé, M. Green conclut en posant une question rhétorique : « Rappelez-moi où est le prochain Super Bowl, déjà ? »

Cet article a été publié initialement dans le New York Times.

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